Plagiat

Depuis la publication de son premier roman, couronné par le Prix Goncourt, Alexandre jouit d’une réputation d’auteur à succès, et en perçoit les dividendes. On l’attend au Ministère de la Culture pour lui remettre la Croix de Chevalier des Arts et des Lettres. C’est alors qu’il reçoit la visite d’une inconnue, qui pourrait bien remettre en cause cette belle réussite…

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Scène 1

Alex est assis à son bureau, travaillant à son discours. Frédérique, style bon chic bon genre, arrive.

Fred – Tu es déjà prêt ?

Alex – J’en conclus que toi tu ne l’es pas encore...

Fred – On a largement le temps, non ? C’est dans deux heures.

Alex – Bien sûr. Et puis je peux encore refuser...

Fred – Refuser le Prix Nobel de littérature, ça peut être assez distingué. Il y a des précédents. Jean-Paul Sartre, Bob Dylan...

Alex – Je crois que Dylan a accepté, finalement.

Fred – Mais la Croix de Chevalier des Arts et des Lettres... Je ne connais personne qui l’ait refusée.

Alex – Tu as raison, ce serait ridicule. Je vais attendre qu’on me propose le Nobel, et j’aviserai à ce moment-là.

Fred – Tu as prévu un discours ?

Alex – Il est là. J’étais en train de l’apprendre. Rassure-toi, ce ne sera pas très long. Je déteste les discours...

Fred – Je te ferai réciter dans la voiture...

Alex – Qu’est-ce que je ferais sans toi.

Fred – La même chose, j’imagine.

Alex – Mais ce serait beaucoup moins amusant... (Frédérique balaie la pièce du regard.) Tu as perdu quelque chose ?

Fred – Tu n’as pas vu mon portable ?

Alex – Non... Tu veux que je t’appelle ?

Fred – Je vais chercher encore un peu. J’ai besoin de me dire que je peux encore retrouver mon portable toute seule.

Alex – En me demandant si je ne l’ai pas vu...

Fred – J’espère que tu commences par remercier ta femme, dans ton discours.

Alex – J’avais plutôt mis les remerciements à la fin, mais si tu préfères que je commence par là...

Fred – Je vais prendre quelques exemplaires du Goncourt, au cas où.

Alex – Ah, ce Prix Goncourt... Parfois je me demande si ça n’a pas été une malédiction.

Fred – Pourquoi tu dis ça ?

Alex – Je n’ai rien écrit depuis.

Fred – Tu n’avais pas écrit grand chose avant non plus.

Alex – Merci de me le rappeler.

Fred – Ça reviendra. Il faut que tu trouves un sujet, c’est tout.

Alex – Oui...

Fred – Et puis il y a des écrivains qui n’écrivent qu’un seul chef d’œuvre dans leur vie. Alain-Fournier, par exemple. À part Le Grand Meaulnes...

Alex – Oui, mais lui il est mort au front en 14, un an après avoir écrit son best-seller. Ça explique qu’il n’en ait pas écrit d’autres...

Fred – Tout le monde sait qu’un Goncourt, on a besoin parfois de quelques années pour s’en remettre.

Alex – Certains romanciers ne s’en remettent jamais. Je me demande si je n’aurais pas mieux fait de rester prof. Et continuer à éditer mes œuvres à compte d’auteur.

Fred – Allons... Tu te vois enseigner la littérature dans un lycée de banlieue, devant une quarantaine d’analphabètes en survêtements à capuches ?

Alex – Ne dramatisons pas. Normalien, agrégé... Je n’aurais jamais passé le périphérique. J’aurais enseigné dans un lycée catholique, devant une vingtaine de filles à papa en jupes écossaises, prêtes à tout pour obtenir de bonnes notes sans ouvrir un bouquin...

Fred – D’accord... Vu comme ça, je comprends mieux tes regrets. Fais-moi penser à mettre un code parental sur la télé. J’ai l’impression que quand je ne suis pas là, tu regardes de drôles de films.

Alex – C’est vrai qu’en tant que romancier, la plupart de mes fans sont plus proches de l’âge de la ménopause que de la puberté.

Elle s’approche de lui et lui prodigue un geste tendre.

Fred – N’oublie pas que ta première fan, c’était moi.

Alex – Je m’en souviens très bien.

Ils s’embrassent. Elle se dégage de son étreinte.

Fred – Allez, il faut que tu finisses ton discours... Mais si ça te manque à ce point, je ressortirai mon kilt de temps en temps, c’est promis.

Alex – À propos, avant que j’oublie, je viens d’avoir Maxence au téléphone.

Fred – Ah oui...

Alex – Il propose qu’on passe Noël ensemble dans son chalet à Megève. On en profiterait pour organiser une séance de signature. Il paraît qu’il y a une très belle librairie, à Megève, et qui marche très bien.

Fred – Ah oui ?

Alex – C’est curieux, ce phénomène. Les bourges du seizième n’ouvrent pas un bouquin de l’année, et dès qu’elles sont en vacances, elles se précipitent à la librairie du coin pour acheter tous les prix littéraires.

Fred – Ces bourges, comme tu dis, ce sont tes lectrices. En tout cas, ce sont elles qui achètent tes bouquins...

Alex – Ça doit être l’air de la montagne. Et puis on s’emmerde tellement aux sports d’hiver.

Fred – Surtout quand on ne fait pas de ski, comme toi.

Alex – Je lui ai proposé de venir dîner à la maison avec Diane la semaine prochaine. Pourquoi pas mercredi ?

Fred – Mercredi, on dîne chez mes parents.

Alex – Ah oui, pardon... Comme d’habitude, c’est le mardi...

Fred – Oui, mais là c’est l’anniversaire de maman, tu as déjà oublié ?

Alex – Disons que ça m’était sorti de l’esprit... Alors jeudi ?

Fred – Jeudi, c’est le vernissage de l’expo de Carla à la Galerie Claude Bernard !

Alex – Excuse-moi. J’avais oublié ça aussi.

Fred – Si un jour tu me quittes, pense à me remplacer par une poupée gonflable et un agenda électronique.

Alex – Il faudrait peut-être qu’on freine un peu sur les mondanités, non ? On s’embourgeoise.

Fred – Tu dis ça, mais au bout d’une semaine, tu t’ennuierais... Bon, je vais finir de me préparer.

Frédérique sort. Alexandre se remet à son discours.

Alex – Madame le Ministre, il y a quelques années déjà, en récompensant mon roman Une autre vie, l’Académie Goncourt reconnaissait en moi un modeste serviteur de la langue de Molière. Vous me faites aujourd’hui chevalier. Mais c’est plutôt en Don Quichotte que je reçois cet insigne honneur. En effet, pour vivre son rêve d’écriture, et tout simplement pour vivre de son écriture, c’est d’abord contre des moulins que doit se battre un jeune auteur...

Frédérique revient.

Fred – Excuse-moi de te déranger, mais... il y a une femme, à la grille. Elle dit qu’elle vient de très loin pour se faire dédicacer ton livre. Et qu’elle attend ça depuis très longtemps.

Alex – Ce n’est vraiment pas le moment... Et puis qu’est-ce que c’est que cette façon de venir sonner à notre porte comme ça, sans prévenir. Où est-ce qu’elle a eu notre adresse, d’ailleurs ? On n’est pas sur le Bottin. À part sur le Bottin mondain, peut-être...

Fred – Je ne sais pas, mais elle insiste. Il y en a pour cinq minutes. Mieux vaut s’en débarrasser tout de suite, sinon elle va revenir. Qu’est-ce que tu veux ? C’est la rançon de la gloire ! Après tout, ce sont tes fans qui nous font vivre...

Alex – OK, je vais lui signer son bouquin.

Fred – Je lui ai dit que tu n’avais pas beaucoup de temps.

Alex – On dit Madame la Ministre ou Madame le Ministre ?

Fred – Aucune idée...

Alex – Du temps où il n’y avait aucune femme ministre, c’était quand même beaucoup plus simple.

Fred – Je la fais entrer...

Frédérique sort.

Scène 2

Alexandre soupire, se rassied et compulse à nouveau le texte de son discours qu’il rature.

Alex – Don Quichotte... Je me demande si je n’en fais pas un peu trop...

Sacha entre.

Sacha – Je vous imaginais plus jeune...

Alex – Excusez-moi, je ne vous avais pas vu entrer.

Sacha – Alors ça ressemble à ça, l’intérieur d’un auteur à succès...

Alex – Désolé, une autre fois, je vous aurais proposé un café et nous aurions bavardé un moment, mais là, je suis un peu pressé...

Sacha – Ah oui... La Médaille de Chevalier des Arts et des Lettres... Vous n’allez pas rater ça...

Alex – Vous êtes au courant ?

Sacha – Votre femme m’a raconté... Enfin,...

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