PROLOGUE
Ambiance Paradis - Dieu.
DIEU
Du haut de mon Jardin, éternelle demeure
Où je suis consigné, l’Humanité se meurt
D’une étrange façon. Point de bruit de canon,
Les Hommes tombent seuls sans implorer mon nom.
Il y a bien des voix, j’en entends par moments ;
Mes fidèles sujets, les derniers, clairement.
Où sont les autres voix ? Où sont-elles passées ?
À qui profitent-elles ? Pourquoi me délaisser ?
Si les Hommes m’oublient, ma mort est annoncée.
Alors je rejoindrai tous les dieux évincés.
Je suis un immortel, je ne peux pas mourir !
Et pourtant, le fait est : je me sens dépérir.
Ne m’abandonnez pas, juifs, musulmans, chrétiens !
Croyez toujours en moi, peu m’importe qui tient !
Je me contenterai de l’une de vous trois.
Je n’exige pas plus, sinon garder mes droits,
Lesquels sont essentiels pour toujours espérer.
Je n’ai besoin que d’une à bien considérer.
Pourquoi s’embarrasser de tant de religions,
Vouloir surenchérir jusqu’à l’indigestion ?
Vous êtes des milliards, au lieu de me bercer
De vos voix plaintives, l’effet vient s’inverser.
Alors arrangez-vous pour ne plus m’ignorer !
Je ne suis pas très fier, me voilà à pleurer
Comme un simple mortel, à redouter la mort,
À mendier de l’amour, quêter du réconfort.
Quel pleurnichard, je fais ! Je dois vous décevoir.
Heureusement pour moi, vous ne pouvez me voir.
Ni même m’entendre, c’est là où le bât blesse
Car je n’ai jamais su répondre à vos détresses.
Soi-disant Tout-Puissant, je serais ! Imposteur !
Menteur ! Usurpateur ! Spoliateur ! Amateur !
Ah, le beau créateur ! Assez de m’insulter.
Je dois me secouer, il est temps d’exister.
Si je veux réussir, à tout prix m’imposer,
Il est nécessaire de me coaliser.
Il est temps de prendre mon destin par le col,
Et qui peut mieux m’aider qu’un vieux copain d’école ?
J’ai toute confiance en mon frère ennemi.
Nous chercherons ensemble à revoir la copie.
Il connaît les Hommes sur le bout de ses doigts.
J’ai foi en son savoir, il en sait plus que moi.
Bien, avant sa venue, je vais m’alimenter
De quelques prières et d’amabilité.
Noir.
VERSET 1
Ambiance Théâtre.
Claire, puis Frank.
CLAIRE
« Toutes des salopes sauf ma femme ! disait-il... Ce que ça peut être con un homme quand il décide du jour au lendemain de ne plus voir la femme qui est devant lui mais la mère de ses enfants. Alors que je le gâtais dans la salle de bains… il… il… » Eh merde ! (Regarde le manuscrit)… » Il eut la lucidité de me dire… »
Bruit discret - une ombre ou une forme passe sur un des côtés de la scène.
CLAIRE
Frank ! C’est toi ?... Frank ! (Elle se dirige vers la chaise, boit une gorgée, lit son texte) « Il eut la lucidité de me dire… » (Frank apparaît derrière elle.)… Oh, tu m’as fait peur !
FRANK (Un sac à dos dans une main)
Pardon. Bon, je file. Je te laisse fermer, pense à bien éteindre.
CLAIRE
Eh ! Tu l’as lu, je le sais, je t’ai vu le terminer dans la loge. Alors ?
FRANK
Euh... oui… ton manuscrit… On en parlera à la maison, tu veux bien ?
CLAIRE
S’il te plaît, je veux savoir maintenant. Sans rentrer dans les détails, dis-moi tes premières impressions.
FRANK (Embarrassé)
Tu veux savoir… Ecoute, mon chou…
CLAIRE
A ce point ?
FRANK
Je vais être à la bourre, ce serait plus constructif d’en parler plus longuement… sur l’oreiller ! C’est bien ça, non ? L’oreiller…
CLAIRE
L’oreiller est fait pour consoler, pour adoucir les peines de la journée, signer la paix, pas pour débattre.
FRANK
C’est bien ce que je dis, sur l’oreiller pour signer la paix.
CLAIRE
O.K, j’ai capté, dis-moi simplement ce que tu n’as pas aimé, s’il y a des choses à revoir. Au moins ça.
FRANK
Tout. Tout. Déjà le titre : « Mes trois porcs d’attache » Porc : p-o-r-c ! C’est lourd. Très lourd. Franchement, j’ai été très surpris que tu aies écrit ça, mon chou
CLAIRE
« Ça », comme tu dis, est une farce comme on en jouait au Moyen Âge. C’est du théâtre de foire dans le sens noble du terme.
FRANK
Très bien, très bien. Seulement mon chou, te rends-tu compte de ce que tu as écrit ? C’est quand même… euh… enfin, c’est limite… euh…
CLAIRE
C’est quand même quoi ? C’est limite quoi ?
FRANK
C’est quand même très vulgaire et violent…
CLAIRE
Et limite quoi ?
FRANK
Pornographique.
CLAIRE
Pas toi ! Tu ne vas pas t’y mettre aussi. Oh, Frank ! Mon Frank ! Toi, qui considères le théâtre comme un laboratoire d’expérience artistique, comme un espace libre à toutes les paroles. Nous sommes des artistes, Frank, nous avons une longueur d’avance sur la société, nous participons à son évolution. Le trait est grossier, je te l’accorde, c’est normal, c’est une farce ! Grossier mais pas vulgaire ; insolent mais pas violent ; provocateur mais pas pornographique. Comment peux-tu dire ça, toi ?
FRANK
Selon toi, participer à l’évolution de notre société c’est se pavaner à poils sur scène pendant une heure trente avec une tête de cochon et un tire bouchon dans le derrière ?
CLAIRE
Premièrement, si tu as bien lu, je ne serai pas la seule à porter une tête de cochon ; deuxièmement, je spécifie bien que la comédienne peut se vêtir d’un bustier, d’une guêpière ou d’une culotte couleur chair ; troisièmement, je ne serai pas la première comédienne à jouer seins nus sur scène et dernièrement, c’est plus profond que ça !
FRANK
Tu as le sens de la formule, toi.
CLAIRE
Le cochon dénonce l’hypocrisie de l’homme religieux ! L’homme veut la femme cochonne, ça l’excite alors qu’il déteste sa représentation ! Je renvoie tous ces religieux à leur frustration sexuelle, à leur perversion !
FRANK
Premièrement, ce ne sont pas tous les religieux qui détestent le cochon, et… et dernièrement, je vois où tu veux en venir, et tu as raison : il y a un public pour tout et ton texte a nécessairement un public, mais pas dans ce théâtre.
CLAIRE
Qu’en sais-tu ?
FRANK
Notre public connaît notre programmation depuis des années. Il vient pour ça. Pour se distraire.
CLAIRE
Pour des sujets futiles, quoi !
FRANK
Des sujets du quotidien. Le couple n’est pas un sujet si futile que ça. C’est un sujet éternel qui se décline à l'infini. Notre public alterne entre le rire sincère et le rire coupable. Et ce rire est un miroir dans lequel reflète la face pudique, intime de sa personnalité. Et là, pour le coup, je me plais à penser que nous participons à l’évolution de sa réflexion sur le mariage, le célibat, le libertinage, la sexualité, l’amour tout genre confondu. Et puis c’est très gratifiant de faire rire !
CLAIRE
J’en ai assez de jouer des comédies sous la ceinture ! Assez de jouer les putes, les nymphos, les courtisanes, les pétasses, les frustrées.
FRANK
Je comprends, seulement, tu le fais bien, mon chou. Le public t’adore. Il vient pour toi, pour voir ton énergie. Le désir que tu suscites aussi. Il n’est pas là pour t’entendre agresser les croyants, surtout en ces temps difficiles.
CLAIRE
C’est donc ça ! Tu as peur des réactions du public.
FRANK
C’est à prendre en compte mon chou…
CLAIRE
Arrête de m’appeler « mon chou » ! Incroyable, tu as la pétoche… Tout le reste, c’est du bla bla…
On entend les cloches d’une église qui annonce l’heure.
FRANK
Ah, l’église annonce les cinq coups de 17 heures. On continuera cette conversation à la maison, je dois partir, Bruno m’attend pour les costumes.
CLAIRE
Ce texte est aussi une démarche féministe, de mon droit à disposer de mon corps comme je l’entends ! Une femme ni coupable, ni victime. Maîtresse et esclave, passive et active, humiliée et méprisante. Ne sens-tu pas l’opportunité de sortir ton théâtre de l’anonymat ?
FRANK
Sortir de l’anonymat pour faire la « Une des Faits Divers », oh que non ! Je n’ai pas cette prétention. Je suis propriétaire d’un théâtre de quarante places au fin fond du pays ! Je ne pèse pas lourd. Il est ouvert à des amateurs et à quelques professionnels comme toi. Il y a des lieux pour ton texte, comme pour le nu.
CLAIRE
Si tu m’aimais, tu le monterais.
FRANK
C’est parce que je t’aime que je refuse de monter ce projet, mon ch… Tu as entendu l’église ? Elle est à l’autre bout de la ruelle. Une ruelle que tu empruntes chaque fois que tu viens au théâtre, qu’empruntent...