1.

Laurent est chez Vickye

 

Un petit salon. Vickye est très mignonne, Laurent très maussade.

Laurent - … Longtemps j’ai voulu me faire incinérer mais aujourd’hui, je me demande. Est-ce que la crémation n’est pas une lâcheté au fond ? Est-ce que ça n’est pas juste un moyen d’éviter le lent pourrissement du corps ?… Une sorte de raccourci… Cela dit, je suis paresseux, je hais me battre et je n’ai aucune volonté. La crémation me va très bien. C’est cohérent.

Vickye - T’es un comique, c’est ça ?

Laurent - Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Vickye - Je te connais. Je t’ai déjà vu à la télé, dans une émission d’Arthur.

Laurent - C’est possible.

Vickye - Oui, je me souviens. Tu es drôle.

Laurent - Ah vous trouvez ?

Vickye - Pas ce soir. Tu as l’air déprimé.

Laurent - Un peu. Depuis que Juliette m’a quitté.

Vickye - Qui est Juliette ?

Laurent - Mon ex-femme. Elle m’a quitté parce que j’apprenais des directives européennes par cœur. Quand elle est partie je récitais sans discontinuer la directive européenne sur la réglementation de l’exportation des agrumes cultivés en serre.

Vickye - Ça va mieux maintenant ?

Laurent - Non. On m’a proposé de participer au Festival du Rire de Morlaix.

Vickye - Un festival du rire ? Tu es au bord du suicide.

Laurent - Besoin d’argent…

Vickye - Tu veux boire quelque chose ?

Laurent - Un verre de vin avec plaisir.

Vickye - Je vais le chercher… Mets-toi à l’aise.

Elle sort.

Vickye (off) - J’ai pas de vin. J’ai du Get 27 !

Laurent - Un verre d’eau.

Vickye revient avec un minimum de robe.

Vickye - Alors ?… Les vibrations sont bonnes ?

Laurent - Très bonnes Vickye. Très très bonnes… (Il prend le verre d’eau.) Merci… Excusez-moi, je dois être sinistre probablement.

Vickye - Sinistre.

Laurent - Alors parlons de vous, Vickye… Qu’est-ce que vous aimez faire dans la vie ?

Vickye - Je poursuis mes études.

Laurent - Quoi comme études ?

Vickye - Informatique et anglais.

Laurent - Les deux ?

Vickye - Oui.

Laurent - En même temps ? C’est très courageux.

Vickye - J’ai du mal à payer mes études, ma famille est très pauvre. Alors j’ai besoin d’arrondir mes fins de mois. C’est pour ça que je me suis mise sur Internet. (Elle prend un ordinateur.) J’ai changé mes photos… Regarde.

Laurent (lit) - « Très jolie femme, vingt-cinq ans, étudiante, la peau très douce avec des formes délicieuses, vous propose de passer en votre compagnie des moments câlins, coquins, torrides. Je me déplace ou vous reçois dans Paris. Plus de photos sur le site www point vickye tiret sexygirl point com. Appelez-moi vite. » Ce que j’ai fait… Vickye, c’est pas votre vrai nom ?

Vickye - C’est mon nom d’étudiante… Je tiens à rester discrète.

Laurent - Quand on fait des études, il vaut mieux.

Vickye - Je fais ça uniquement pour financer mes études tu sais.

Laurent - Mais naturellement… D’ailleurs j’ai préparé une enveloppe… Voilà.

Vickye - Merci.

Laurent - Vous pensez aller jusqu’à la licence ?

Vickye - Maîtrise.

Laurent - Bravo.

Vickye - Tu trouves qu’on me reconnaît sur les photos ?

Laurent - On ne voit pas votre visage, mais oui, un peu quand même.

Vickye - Oui, je suis d’accord. Ça me fait peur, je devrais les retirer.

Laurent - Peur de quoi ?

Vickye - Que mon frère me reconnaisse.

Laurent - Vous avez de la famille à Paris ?

Vickye - J’ai un frère. Il n’est pas au courant que je fais… ça. S’il l’apprenait, Cyril deviendrait fou…

Laurent - Ah bon ? Cyril est un peu…

Vickye - Il n’est pas très stable.

Laurent - Pas très stable, c’est embêtant… Et vous avez beaucoup de rendez-vous ?

Vickye - Suffisamment pour viser l’agrégation. (Un temps.) Bon… Tu veux qu’on baise ou pas ?

Laurent - Oui.

Vickye - On va dans ma chambre ?

Laurent - On va dans ta chambre, Vickye.

Vickye - Ça te dérange si je mets du Serge Lama ?

Laurent - Pas du tout… J’aime beaucoup Serge Lama.

La chanson « D’aventure en aventure » de Serge Lama commence pendant que la lumière descend.

 

 

 

 

 

2.

Dans un café

 

Laurent est assis sur la banquette d’un café un peu branché. Il écrit des choses, réfléchit, passe le temps. Sur une chaise perpendiculaire à la banquette, une pile de journaux.

Un homme, la quarantaine, entre et regarde Laurent. Ils échangent un sourire gêné. L’homme est intimidé.

Au bout d’un moment.

Cyril - Bonjour…

Laurent - Bonjour.

Cyril - Je vous dérange pas ?

Laurent - Non…

Il s’approche.

Cyril - J’aime beaucoup ce que vous faites.

Laurent - Merci… C’est gentil, merci…

Un temps.

Cyril - Vous me faites rire, c’est très drôle, j’aime beaucoup… vraiment…

Laurent - Merci… merci vraiment.

Cyril - Je peux… je peux vous demander un autographe ?

Laurent - Mais bien sûr. Comment vous vous appelez ?

Il prend un stylo.

Cyril - Cyril.

Laurent - Comment ?

Cyril - Cyril… c’est mon prénom.

Laurent - D’accord… Vous avez un papier ?

Cyril - Euh… (Il prend un journal et le tend à Laurent.) Tenez, prenez ça.

Laurent signe un autographe.

Laurent - « A Cyril, avec toute mon amitié… » Voi… là.

Il lui donne le journal.

Cyril - Merci.

Laurent - De rien… Au revoir.

Cyril ne bouge pas.

Cyril - Je suis allé voir tous vos spectacles…

Laurent - Ah oui ?

Cyril - Tous ! Et j’ai tous vos DVD.

Laurent - Ça me fait plaisir.

Cyril - Vous savez que c’est grâce à vous que j’ai décidé de… de changer de vie ?

Laurent - Ah…

Cyril - Je peux ?

Il n’attend pas la réponse, libère la chaise et s’assoit.

Laurent - C’est-à-dire que je…

Cyril - Je laisse tomber mon ancienne activité et je me lance.

Laurent - Vous vous lancez dans quoi ?

Cyril - Stand up ! Je vais faire du stand up ! Comme vous.

Laurent - Très bien ! Alors… bon courage et sans doute à bientôt.

Cyril - J’ai envie d’être sur une scène, ça me démange ! Je vois bien que je capte l’attention des gens… Je dégage quelque chose de magnétique, c’est comme ça, j’y suis pour rien.

Laurent - C’est comme ça…

Cyril - Je suis drôle.

Laurent - C’est vrai ?

Cyril - J’écris. J’écris des trucs.

Laurent - Quel genre de trucs ?

Cyril - Du vécu. Des trucs du quotidien. Des trucs drôles du quotidien.

Laurent - C’est une bonne idée.

Cyril - J’aimerais bien vous les faire lire.

Laurent - Ah ça par contre ça, c’est pas une bonne idée parce que…

Cyril - Si ça vous dérange pas.

Laurent - Je suis sûr que c’est très bien mais je n’écris jamais pour les autres… Vous êtes quoi ? Comédien ?

Cyril - Non. Avant j’avais un métier un peu particulier. J’étais tueur. Tueur à gages.

Laurent - Ah oui c’est… c’est particulier…

Cyril - Mais j’arrête. Ça devient trop dangereux.

Laurent - D’un autre côté, c’est normal que ce soit un peu dangereux comme métier… tueur. (Cyril est d’accord.) Mais ça consiste en quoi exactement ? On vous désigne quelqu’un, un inconnu…

Cyril - Je ne tue jamais les gens que je connais.

Laurent - Ça doit rassurer vos amis.

Cyril comprend, puis sourit.

Cyril - C’est rigolo ça…

Laurent - Ah bon ?

Cyril - Ah ouais, ça c’est le genre d’humour que j’adore.

Laurent - Merci… Donc vous éliminez les gens comme dans les films sur la mafia ?

Cyril - Pareil. Mais c’est très cher. Deux, trois contrats par an, ça suffit pour vivre très correctement… Vous voulez boire autre chose ?

Laurent - Non, merci, non. Vous n’avez pas peur de laisser des indices ? Qu’on vous retrouve ?

Cyril - Il faut faire un peu attention, mais pas de mobile, pas d’assassin. C’est pour ça qu’on fait appel à des gens comme moi.

Un temps.

Laurent - Bon ben… Je vais y aller… J’ai été ravi de faire votre connaissance.

Cyril - Vous ne me croyez pas.

Laurent - Si, si.

Cyril - Non, vous ne me croyez pas. Vous pensez que je suis cinglé, c’est ça ?

Laurent - Pas du tout !

Cyril - Regardez !… (Il soulève son tee-shirt, il a une arme dans la ceinture.) C’est un vrai, hein, vous pouvez y aller. Normalement je ne suis pas armé mais en ce moment, je me méfie.

Laurent réunit ses affaires.

Laurent - Il faut que… il faut vraiment que j’y aille.

Cyril - Où ?

Laurent - Ben… j’ai des rendez-vous et puis… voilà, je…

Cyril - Vous savez ce qui m’a décidé à vous aborder ?

Laurent - Non !

Cyril sort son téléphone portable.

Cyril - Tenez, regardez ça… Je suis tombé là-dessus par hasard l’autre jour. (Il lit sur un écran du téléphone.) « Très jolie femme de vingt-cinq ans, étudiante, la peau très douce avec des formes délicieuses vous propose de passer en votre compagnie des moments câlins, coquins, torrides. Je me déplace ou vous reçois dans Paris. Plus de photos sur le site www point vickye tiret sexygirl point com. Appelez-moi vite. » Regardez. On la...

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