Sur le chemin d’Allah

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Ce texte est un huis-clos
6 jeunes soldats français sont prisonniers de djihadistes quelque part au Moyen-Orient.
La France ayant refusé de payer une rançon, leurs geôliers s’aprêtent à les décapiter en les filmant pour diffuser les vidéos sur les réseaux sociaux.
Mais un homme étrange intervient, il n’est manifestement pas des leurs. Un prisonnier? apparemment non. Un journaliste ? Non plus. Un humanitaire : encore moins…
En tout cas, il leur sauve provisoirement la vie en leur faisant faire de la lecture…

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« L’esprit de la pièce, dans la mesure où elle en a, c’est que rien n’est plus grotesque que le tragique, et il faut l’exprimer jusqu’à la fin, et sur­tout à la fin»

(Samuel Beckett)

Présentation

Ce huis-clos se déroule quelque part au Moyen-Orient, dans une région reti­rée, aux mains des Jiha­distes.

Les personnages :

6 jeunes militaires français, prisonniers des Jihadistes : Malik, Brahim, Ah­madou, Stéphane, Habib et Jean.

- Jean est le chef. Ses camarades et subordonnés lui reprochent d’être anti-musulman, voire raciste.

- Stéphane est marié à une maghrébine, il va se radicaliser au fur et à mesure de ce travail avec cet homme

- Ahmadou est lui aussi musulman, mais plutôt d’une éducation soufi, mys­tique. Mais il est profondément marqué par le racisme anti-noir en France. Du coup il va se radicaliser

- Habib a déjà un discours assez radical contre les Français qu’il taxe de ra­cistes et anti-musulmans.

- Brahim est laïc, détaché de la religion, et même critique à l’égard de l’Is­lam tonitruant. Il est parfois traité d’athée.

- Malik est modéré, il croit en le dialogue des religions.

Et il y a surtout un homme mystérieux, qui ne fait pas partie des Djiha­distes. Il est habillé à l’occidentale. Il dit qu’il est traducteur, en particulier de l’arabe au français. D’où sa place centrale dans ce qui arrive.

Notes 

Pour les versets du Coran et pour les paroles de Mahomet, j’ai utilisé les tra­ductions officielles.
Par ailleurs, c’est juste pour créer un effet d’étonnement sur le lecteur que j’ai choisi de mettre en arabe les quelques formules musulmanes que les musul­mans ré­pètent tou­jours en arabe, même quand ils parlent dans une autre langue :

باسْمِ اللهِ الرَّحْمَانِ الرَّحِيمْ

Au nom d’Allah le Clément Miséricordieux

صَلَّى اللهُ عَلِيهِ وسَلَّمْ

Que Dieu le bénisse et lui accorde la paix

سبحانهُ وتعالَى

Qu'il soit exalté et glorifié

صَدَقَ اللهُ العَظِيمْ

Allah le Tout-Puissant a dit vrai

« Nous aimons la mort sur la voie de Allah,

autant que vous ai­mez la vie »
(Abdallah Azzam, le principal théoricien du Djihad en Afghanis­tan)

« Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu’à en faire un grand carnage »

(Coran)

« Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le chemin d'Allah, soient morts. Au contraire, ils sont vivants auprès de leur Sei­gneur qui les comble de Ses subsistances, et joyeux de la Vertu qu'Allah

leur a accor­dée »

(Coran)

« Je suis le prophète de la miséri­corde [et] je suis le pro­phète du car­nage »

(Mahomet)

Acte - 1

Scène – 1

Une pièce sombre

Les murs nus sont décorés de quelques affichettes de musiciens et rappeurs
On apprendra plus tard qu’elle appartenait à un jeune de ce village qui est mort lors d’un récent bombardement

D’un côté il y a une chaise et une table basse

Et en face, deux vieux canapés décharnés

La porte s’ouvre

On entend des psalmodies lancinantes du Coran

6 jeunes entrent, un par un

Le dernier est poussé, il a failli tomber si ce n’était l’un des ses camarades qui l’a retenu

La porte se referme derrière eux

Les jeunes restent debout, serrés les uns contre les autres, tel un troupeau de bêtes cernées par des prédateurs

ils sont paniqués

Long silence

Peu à peu ils se mettent à se parler en chuchotant, puis à voix un peu plus audible

D’abord ils se font la bise en silence, pleurent en se prenant dans leurs bras, en se tenant les mains

Jean  : - Allez les gars, c’est pas le moment de se laisser abattre. Un peu de dignité, on est l’avant-garde de l’armée française…

Tout le monde se reprend, comme en garde-à-vous

Ils se forcent à sourire quelque peu

Jean  : - Voilà, j’aime mieux comme ça. Faut garder la tête haute face à ces sauvages !

Jean met sa main sur sa bouche
Tous scrutent minutieusement la salle

Long silence angoissant

Malik rompt le silence

Stéphane regarde ses bras et ses pieds

Stéphane  : - Ah putain, ça fait du bien de pas être tout le temps enchaîné, même en cellule…

Brahim  : - Tu parles ! Là, à l’entrée, quand ils m’ont enlevé ces putains de chaîne, je me suis senti léger, léger…

Malik  : - Depuis combien de temps on ne s’est pas retrouvés ensemble comme ça ? Un mois ? Deux mois ? Plus encore ? Putain j’ai plus aucune notion du temps...

Jean  : - Un mois et demi ! On avait dit qu’il fallait absolument compter les jours, chaque jour un petit trait sur un coin du mur…

Stéphane  : - Tu parles… moi j’ai perdu la tête à être tout seul toute la journée sans voir aucun de vous, pas même pendant les deux petites sorties pour les besoins...

Jean  : - Ben oui, faut compter jour après jour, sinon tu deviens fou. Et plus encore avec ce putain de haut parleur qui débite nuit et jour des charabias in­sipides...

Habib (d’une voix ferme)  : - Parle pas comme ça du Coran !

Malik  : - Moi ça m’a aidé, autrement je serais devenu fou…

Ahmadou  : - Moi aussi. Ça m’a rappelé quand mes parents nous emme­naient au pays, chez mon grand-père, c’était un marabout…

Silence

Stéphane  : - La dernière fois qu’on s’est vus ensemble c’était pas drôle, les gars...

Brahim  : - C’est quand ils nous ont forcés à assister à l’exécution des trois soldats américains...

Malik  : - J’devrais pas vous le dire, les gars, mais ce jour-là j’ai pissé dans mon froc quand j’ai vu comment ils les décapitaient avec leurs putains de coutelas...

Stéphane : - Moi aussi je me suis pissé dessus… et pourtant je gardais les yeux fermés...

Brahim  : - C’est des sadiques, des fous…

Les autres (tout en se tournant dans tous les sens) : - Tais-toi, tais-toi… Chut !

Jean (à voix basse) : - Mais tais-toi, ils sont sûrement en train de nous écou­ter…

Tous se mettent à chercher du regard où pourrait être la caméra ou les mi­cros

Malik  : - A mon avis s’il nous ont sortis comme ça, ensemble, ça doit être notre dernier jour…

Stéphane  : - J’ai bien peur que oui…

Brahim  : - Ah non, ça peut pas être pour ça. Ils avaient pas besoin de nous emmener ici, l’abattoir où ils coupent les têtes, c’est de l’autre côté…

Stéphane  : - On reste calmes, les gars, c’est sûrement pour nous faire faire quelque chose de louche… du genre à nous faire lire de faux aveux devant la caméra...

Jean  : - On ne fera rien du tout !

Tout le monde le dévisage

Jean  : - C’est moi et moi seul qui décide si on doit accepter ou pas…

Habib  : - Et au nom de quoi tu décides à notre place ?

Jean  : - Je suis votre chef, et on est des militaires…

Habib  : - Non mais… c’est déjà à cause de toi qu’ils nous ont eus, et tu veux continuer à nous enfoncer encore dans ta merde ?

Jean  : - Toi, l’armée ça t’a pas appris à fermer ta gueule, j’aurais dû te lais­ser retourner en taule…

Habib éclate de rire

Habib  : - Ah ça, ça m’étonnerait… parce que, mon petit gars, c’est qu’il t’en fallait de la chair à canon… y a qu’à voir comment tu nous mets toujours de­vant toi...

Habib se tourne vers les autres pour les prendre à témoin

Puis il fusille Jean du regard

Habib  : - Là, regarde, je te le dis devant eux tous : on arrêtait pas de te dire qu’on allait tomber dans un piège, qu’il fallait vite se replier et rejoindre les autres… Et toi qui avançais comme un zombie qui tire sur tout ce qui bouge… y compris des enfants…

Jean  : - Non mais je te rappelle qu’on est en guerre, pas en visite touris­tique…

Habib  : - Ah ça, oui, je peux pas oublier qu’on est en guerre...

Habib soulève son tee-shirt et montre une grosse cicatrice au ventre

Habib  : - C’est écrit là…

Habib  : - Et au final on a fait quoi, dans cette putain de guerre, hein ? Tuer des civils et des civils et des civils...

Jean  : - Tu sais bien que les terroristes se cachent derrière les civils

Habib  : - Et même des enfants

Jean  : - Tu sais bien qu’ils piègent aussi les enfants pour les faire exploser près de nous…

Habib  : - Et ce putain d’enfant tout nu qui était terrorisé par les tirs, et que tu as abattu comme un chien, il était piégé comment, hein ? La bombe était dans son ventre, hein ?

Jean  : - C’est la guerre mon vieux, c’est la guerre… on nous a envoyé ici pour faire la guerre, et on doit faire la guerre...

Habib  : - Mais je te rappelle qu’on est là pour un seul objectif : protéger les populations civiles des massacres que lui font subir les terroristes…

Jean  : - D’où tu sors ça, toi ?
Habib  : - Est-ce que j’ai besoin de te rappeler que c’était le discours du Président de la République ? Et du vote du parlement…

Jean  : - Ah ben mon vieux, si tu fais confiance aux politiciens…

Habib  : - Et en qui je devrais faire confiance, d’après toi ?

Jean  : - On est là parce qu’il y a du pétrole, tout le reste on s’en bat les couilles…

Habib  : - Et c’est ça que t’appelles la France par-ci, la France par-là ? Si c’est ça ta France, je nique la France…

Jean  : - Non mais quoi ? T’es français ou merde ?

Habib éclate de rire

Il se retourne vers les autres

Habib  : - Écoutez les les gars : la première fois que Jean m’a reçu dans son bureau, vous savez ce qu’il m’a dit en premier : tu viens de quel pays ?

Jean (sur la défensive) : - C’était juste pour savoir où tu es né…

Habib  : - Ha ha ! Tu l’avais devant toi sur la couverture de mon dossier : Mantes-la-Jolie… Mais peut-être que tu sais pas que Mantes-la-Jolie c’est en France…

Ahmadou (en fixant vivement Jean du regard)  : - Et à moi aussi, tu m’as posé la même question, alors que c’était marqué que je suis né à Orléans…

Silence prolongé

Scène – 2

la porte s’ouvre

On entend des psalmodies lancinantes du Coran

Un homme d’âge avancé entre, habillé à l’occidentale

La porte se referme derrière lui

Silence

L’homme porte une blouse grise et un vieux cartable, comme les maîtres d’école d’antan. Il marche en s’aidant d’une belle canne sculptée

Et du coup les jeunes l’appelleront spontanément : Maître

L’homme prend place

Il lève les yeux brièvement vers les jeunes, et leur fait signe de s’asseoir en face de lui

Les jeunes s’assoient en s’alignant sagement comme des élèves face à un maître d’école

Silence

L’homme sort deux petites pochettes de son vieux cartable

Il les pose minutieusement sur la petite table

Il ouvre une pochette et en extrait une feuille

Il la parcourt longuement

Silence

Finalement l’homme lève les yeux vers les jeunes

Il parle d’une voix neutre, détachée

L’homme (en français) : - Bonjour !

Tous (surpris)  : - Bonjour !

Silence

Malik  : - Monsieur… euh… Maître, vous parlez notre langue ?

L’homme  : - Oui, j’ai fait des études à la Sorbonne… c’était il y a long­temps…

Malik (chuchotant à l’oreille de Habib)  : - C’est quoi la Sorbonne ?

Habib hausse les épaules pour dire qu’il n’en sait pas plus

Silence

Jean  : - Monsieur, ils nous ont dit qu’ils allaient nous décapiter aujourd’hui

L’homme  : - Je sais, je sais...

Malik  : - Et vous allez le faire ici ?

L’homme  : - Non !

Malik  : - Et pourquoi on est là ?

L’homme  : - Parce que j’ai besoin de vous...
Malik (tremblant de peur) : - Mais je vous jure qu’on a tout dit à vos hommes…

L’homme  : - Ce ne sont pas mes hommes !

Silence

L’homme  : - Et je ne vais pas vous faire mal…

Brahim  : - Vous êtes journaliste ?
L’homme  : - Non !

Brahim  : - Vous êtes humanitaire ?

L’homme  : - Non plus !

Silence

Jean  : - Vous êtes prisonnier de guerre comme nous ?

L’homme  : - Non, moi je suis venu ici de mon plein gré...

Jean  : - Ces gens-là sont vos amis ?

L’homme  : - Non, je suis venu voir leur vieux chef, qui est un ancien cama­rade d’université, pour lui demander de libérer le fils d’un autre vieux cama­rade commun qui est mourant, et qui aimerait bien revoir une dernière fois son fils avant de mourir...

Les jeunes se regardent entre eux, intrigués

Silence

L’homme  : - Mais voilà, mon vieil ami n’est pas là, et le jeune prisonnier non plus… et je n’ai guère le choix que d’attendre leur retour...

Silence

Jean   : - Et alors, vous voulez quoi de nous ?

L’homme  : - Je voudrais que vous me fassiez de la lecture...

Tous  : - Quoi ?

L’homme  : - Dans mon métier, je traduis les romans de l’arabe au français et du français à l’arabe…

Malik : - Vous avez traduit le Coran ?

L’homme  : - Non, mais une partie des 1001 nuits

Silence

L’homme  : - Et comme vos geôliers connaissent mon métier, ils m’ont de­mandé de traduire en français quelques uns de leurs textes. Ils m’ont montré des traductions en anglais, et en espagnol…

Silence

L’homme  : - Et j’ai accepté… d’autant que ça me permet de meubler mes journées…

Silence

L’homme  : - Et comme j’ai vu qu’ils préparaient des exécutions, et que vous êtes les seuls prisonniers qui habitez cette cour, j’ai demandé à tester mes traductions sur vous, histoire d’ajuster le niveau de langue...

Tous se regardent en affichant une mine de ne rien comprendre

Jean  : - Vous êtes de notre côté alors ?

L’homme  : - Non ! Ni du vôtre, ni du leur...

Silence

L’homme  : - Je serais plutôt du côté des populations civiles qui subissent vos guerres…

Silence

L’homme  : - Mais bon….

Silence

L’homme  : - Disons que je le fais parce que vous êtes des Français, et que j’ai une vieille dette morale envers la France qui m’avait accueilli si chaleu­reusement… quand j’avais à peu près votre âge...

Silence

Il tend une feuille, et aussitôt Jean ordonne à Malik de la prendre

Malik la prend et se rassoit, y jette un rapide coup d’oeil et dit d’une voix surprise

Malik se tourne vers ses camarades

Malik  : - Putain de merde, c’est en français !

Malik gêné, se tourne vers l’homme

Malik  : - Euh… pardon… pardon Maître !

Il fait circuler la feuille

Et au fur et à mesure que chacun la parcourt, l’effet est le même : éton­nement, incrédulité, et surtout de l’inquiétude

Soudain l’homme sort une feuille de la seconde pochette, et se met à lire.

Les jeunes se serrent les uns contre les autres pour suivre sur leur feuille, dans le silence total

L’homme lit :

Lettre N°1

§- 1

باسْمِ اللهِ الرَّحْمَانِ الرَّحِيمْ

Louange à Allah, que j’implore de me destiner à une mort en shahid, en mar­tyr.

Au nom d’Allah le Clément Miséricordieux, Sei­gneur des mondes, et paix et salut sur le plus noble des messagers, notre Prophète- صَلَّى اللهُ عَلِيهِ وسَلَّمْ. Ainsi que sur sa famille et ses compagnons, comme sur...

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