Avant l’ouverture de rideau, on pourra passer la chanson « Les comédiens » de Charles Aznavour.
ACTE 1
SCENE 1
BERANGERE
Bérangère est seule, au milieu de la scène. Elle a son portable à l’oreille.
BERANGERE – Pas de souci je te dis… La maison est complètement vide pour la semaine : aucun danger. Oui oui : je m’étais postée à l’angle de la rue et je me suis assurée qu’ils partaient. (Consultant sa montre.) Ca fait bien deux heures maintenant. Tout est sous contrôle ! Under control !... Et 2 000 euros, ça ne refuse pas, surtout en ce moment. Là, il faut vraiment que je te laisse… J’ai encore une ou deux bricoles à régler avant leur arrivée.
Bérangère gagne la terrasse.
SCENE 2
ARCHIBALD
Bruit de clés. Un homme, très élégamment habillé, entre, une valise à la main. Son portable sonne.
ARCHIBALD (visiblement ravi) – Ah ! C’est vous… Bonjour… Allons : pas de Monsieur Darras entre nous. Archibald suffira, voyons… Vous êtes en route ?... Vers quelle heure pensez-vous arriver ?... Selon le trafic, naturellement… Prenez votre temps… Nous aurons toute la soirée… (Il range son portable.) Voilà une affaire qui s’annonce très bien… Oui : très très bien !
Archibald se frotte les mains, se regarde dans le miroir et grimpe l’escalier.
SCENE 3
BERANGERE puis PATRICE
Retour de Bérangère. Elle arrange les magazines posés sur la table basse.
On frappe à la porte.
BERANGERE (regardant sa montre) – Pile à l’heure !
Bérangère va ouvrir. Un homme en chemisette colorée et bermuda fleuri est sur le pas de la porte. Il a un sac de voyage à la main.
BERANGERE – Bonjour !
Patrice entre. La porte reste entr’ouverte.
PATRICE (exubérant) – Salut la compagnie ! Alors celle-là, c’est ma formule préférée
BERANGERE – Tiens donc
PATRICE – Je la sors dès que je rencontre quelqu’un
BERANGERE – Ah…
PATRICE (rigolant) – Je vous parle de ma formule, hein, pas de méprise !
BERANGERE – Oui oui
PATRICE – Un peu longue mais elle plaît toujours… Là encore, je pense à ma formule
BERANGERE – J’avais compris
PATRICE – Ca c’est bien… Parce que des fois, y’en a qui ne la saisissent pas… (Goguenard.) Toujours ma formule, hein ? Bon… Il faut tout de suite vous dire que je suis dans une troupe de théâtre alors forcément, salut la compagnie, ça s’impose !
BERANGERE – Ravie de l’apprendre
PATRICE – Moi aussi : ravi de la prendre… (Lui serrant la main.) Votre main !... Patrice… Patrice Berger… (Pouffant.) Patrice, mais pas triste !
BERANGERE – J’en ai l’impression… (Réfléchissant.) Une troupe de théâtre : en voilà une coïncidence
PATRICE – Pourquoi ?
BERANGERE (esquivant) – Oh ! Pour rien, pour rien… Mais c’est amusant…
PATRICE – Ah ça, nous, on fait dans le comique. « Les tréteaux se couchent tard », c’est le nom de notre troupe
BERANGERE – Vous m’en direz tant
PATRICE – Ca, sans être bûcheron, je peux en débiter ! « Les tréteaux se couchent tard » : bien trouvé, pas vrai ?... Bon, je vous l’avoue : ce n’est pas de moi, mais c’est joliment léché quand même, hein ?... (Il donne un coup de coude à Bérangère.) Tréteaux, rapport au théâtre… (Chantonnant, en essayant d’imiter Charles Aznavour.) Les comédiens ont installé leurs tréteaux, ils ont dressé leur estrade et tendu des calicots…
BERANGERE (l’interrompant) – Très bien
PATRICE – Le chant ou l’imitation ?
BERANGERE – Je vous laisse juge
PATRICE – On n’est qu’une troupe d’amateurs mais, sans prétention, on se défend pas mal… On a notre public
BERANGERE – Je vous le souhaite
PATRICE – La saison dernière, on a joué « Un pétard dans le placard »
BERANGERE (fausse) – Passionnant
PATRICE – C’était une comédie explosive… (Rigolant.) Rapport au pétard !
BERANGERE – Oui oui
PATRICE – Et l’année d’avant « Mon coiffeur, il me défrise ! »
BERANGERE – Tout un programme
PATRICE – Pour cette pièce, il y avait autant de mise en scène que de mises en pli
BERANGERE – Hum…
PATRICE – Je jouais le coiffeur
BERANGERE – Ah ?
PATRICE (riant) – Un personnage rasoir qui frisait le ridicule
BERANGERE – Un vrai rôle de composition dites donc !
PATRICE – Je vais vous faire une confidence
BERANGERE – Si ça peut vous faire plaisir
PATRICE – Eh bien dans la vie, je ne suis pas coiffeur
BERANGERE – Tiens donc
PATRICE – Non : je suis jardinier municipal
BERANGERE – Si vous le dites
PATRICE – Je suis en charge des espaces verts… Attention ! (Epelant.) V E R S, pas les verres pour boire ! Quoique…
BERANGERE – Je vous crois sur parole
PATRICE – Mais quand je suis sur scène, je ne sais pas ce qui m’arrive… Je suis un autre homme… Je me transcende !
BERANGERE – Ouh là ! Tant que ça !
PATRICE – J’avoue que j’ai une prédilection pour les personnages simplets ou balourds
BERANGERE – C’est étonnant
PATRICE (visiblement ravi) – Transcender et prédilection… J’ai enfin pu les placer, et deux d’un coup !
BERANGERE – Un vrai exploit
PATRICE – Ceci dit, je peux jouer tous les rôles
BERANGERE – Oh ! Sûrement
PATRICE (théâtral à l’excès) – « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
BERANGERE – Déroutant… J’en connais un qui serait amusé
PATRICE – Qui donc ?
BERANGERE (esquivant) – Personne… Je… Je soliloquais
PATRICE – A vos souhaits ! (Reprenant ses déclamations théâtrales.) Et celle-là : « C’est un pic, un cap, que dis-je, une péninsule ! »
BERANGERE – Stupéfiant
PATRICE (assez fier de lui) – Hein… Et celle-ci…
BERANGERE – Ca ira largement
PATRICE (un brin déçu) – Ah ?
BERANGERE (directe) – Si nous en venions au fait
PATRICE – Les festivités, j’adore, surtout Noël
BERANGERE – Vous êtes seul ?
PATRICE (taquin) – Oh oh ! Ca vous intéresse ?
BERANGERE (un peu confuse) – Ce n’était pas dans ce sens-là que…
PATRICE (allusif) – Dans un sens ou dans l’autre, je suis preneur !... Pour tout vous dire, eh ben non : je suis célibataire… Pour me consoler, je me dis que j’ai épousé la comédie… C’est déjà ça… Et vous, vous avez quelqu’un ?
BERANGERE – Dites donc : je vous en pose des questions ?
PATRICE (naturel) – Bah oui : vous m’avez demandé si j’étais seul
BERANGERE – Pas faux… En ce moment, je suis seule… (Sans conviction.) Mais c’est très provisoire
PATRICE – Il est des provisoires qui durent
BERANGERE (soupirant) – A qui le dites-vous
PATRICE – Bah : à vous… Entre nous, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué mais c’était
justement des occasions
BERANGERE – Dans la vie, c’est important d’être réaliste
PATRICE – Le neuf, même recyclé et avec défauts d’aspect, vous comme moi, faut plus trop qu’on y compte
BERANGERE – Parlez pour vous !
PATRICE – Il faut être réaliste disiez-vous…
BERANGERE – Hum… Bon : vous êtes du Nord, c’est bien ça ?
PATRICE – Dans le mille Emile ! Dans la cible Lucile ! (Chantonnant.) Les gens du Nord…
BERANGERE (le coupant) – Merci. Et vous venez de Lille ?
PATRICE – Oh là non, malheureuse ! (Avec fierté.) Je suis d’Arras, dans le Pas-de-Calais, là où pousseraient les meilleures endives… Plus précisément de Tilloy-lès-Mofflaines
BERANGERE – Ca vous regarde. Mais vous étiez censés être plusieurs ?
PATRICE – Oui, mais je suis venu comme qui dirait en éclaireur, même si je ne suis pas une lumière… J’en ai profité pour rendre visite à une cousine qui habite à une centaine de kilomètres d’ici… Une cousine éloignée
BERANGERE – Forcément, vu la distance avec Arras
PATRICE – Je ne l’avais pas vue depuis des lustres
BERANGERE – Pour un éclaireur, les lustres, c’est normal
PATRICE – Alors vous, vous avez l’esprit d’à-propos ! Et ce n’est pas pour me déplaire !
BERANGERE – Tant mieux
PATRICE – Vous devriez faire du théâtre vous aussi
BERANGERE – J’y songerai… Et les autres arrivent quand ?
PATRICE – Le gros de la troupe sera là demain… Quand je dis le gros de la troupe, attention : je ne pense pas à Jean-Luc et ses cent dix kilos… Lui, il est boucher à Monchy-le-Preux. Le Jean-Luc, c’est un peu notre comique tripier
BERANGERE – C’est cela oui… Et au total, vous serez combien ?
PATRICE – On aurait dû être sept, mais Régis ne pourra finalement pas venir. Régis Dupont, d’Hamblain-les-Prés… C’est à une dizaine de kilomètres
BERANGERE – D’Arras je suppose ?
PATRICE – Oui… Ah, un sacré comique le Régis ! Il n’en manque pas une !
BERANGERE – Vous devez bien vous entendre alors ?
PATRICE – Pour ça oui ! Dommage qu’il s’appelle Dupont et pas Heure… Régis Heure, ce serait bien pour une troupe de théâtre, non ?
BERANGERE – Vous en avez beaucoup comme ça ?
PATRICE – On ne peut pas s’imaginer !
BERANGERE – Donc, vous serez six
PATRICE – Voilà
BERANGERE – La maison est suffisamment grande pour accueillir tout le monde
PATRICE – Ca, c’est pas de la baraque à frites ! C’est bien pour ça qu’on vous a choisie… La maison, pas vous… Quoique… Et aussi parce qu’elle est toute proche d’Avignon… Depuis le temps que notre troupe veut assister au festival… Alors, quand la Martine a vu votre annonce, elle a sauté dessus… La pauvre !
BERANGERE – Martine ?
PATRICE – Non : l’occasion
BERANGERE (réfléchissant) – Martine ? Oui… C’est elle que j’ai eue au téléphone
PATRICE – C’est l’épouse du Jean-Luc et notre metteuse en scène
BERANGERE – Jean-Luc, Régis, Martine… Voilà des prénoms qu’on n’entend plus
PATRICE – Et je n’ai pas cité ni la Germaine ni la Suzanne
BERANGERE – Ce n’était pas la peine
PATRICE – Avec tout ce monde, j’aurais dû me reconvertir dans la vente d’antiquités… Au fait, c’est quoi votre prénom ?
BERANGERE – Bérangère
PATRICE – Ah… C’est… (Cherchant à se rattraper.) Et vous êtes d’Avignon ?
BERANGERE – Non : de Cavaillon
PATRICE (reluquant la poitrine de Bérangère) – Ah ! Cavaillon, le pays des melons !
BERANGERE (le coupant) – Oui oui
PATRICE – Et vous travaillez dans l’immobilier, c’est ça ?
BERANGERE (gênée) – Euh… Si vous voulez
PATRICE – Oh, moi je veux bien… Je ne suis pas contrariant… Et il vaut mieux être dans l’immobilier que dans l’immobilisme, pas vrai ?... Bon : 2 000 euros la semaine, ça fait cher, mais ce doit être le prix en cette saison
BERANGERE – Je confirme. (Bérangère ouvre la baie vitrée qui conduit à la terrasse.) Regardez : la vue sur le vignoble est magnifique… Vous voyez les deux collines ?
PATRICE (toujours les yeux sur la poitrine de Bérangère) – Je… Très bien…
BERANGERE – On aimerait les parcourir, n’est-ce pas ?
PATRICE – Et comment !
BERANGERE – Et dessous, il y a un petit bois touffu qui ne demande qu’à être exploré
PATRICE – Je suis preneur les yeux fermés
BERANGERE – Il faut quand même que je vous dise qu’il y a un petit hic
PATRICE – Avec un vignoble, c’est normal
BERANGERE – Le portable ne passe pas toujours
PATRICE – Ce n’est pas très grave. Comme dirait Régis : c’est comme une femme, on fera sans. Et un bon rosé vaut mieux qu’un mauvais réseau, non ?
BERANGERE – Je vous fais confiance
PATRICE – Il n’y a plus qu’à s’installer
BERANGERE (songeuse) – Oui…
PATRICE – Quelque chose vous tracasse ?
BERANGERE – Non… C’est juste que je me rends compte que j’ai oublié le double des clés
PATRICE – Ca arrive même aux meilleurs… Tenez, moi, il y a un mois…
BERANGERE – Le mieux, c’est que j’aille les chercher… Je n’en ai pas pour longtemps
PATRICE – Votre agence n’est pas loin ?
BERANGERE (ne comprenant pas) – Mon… ?
PATRICE – Votre agence immobilière
BERANGERE (se rattrapant tant bien que mal) – Ah oui ! Je suis bête des fois
PATRICE – Si ce n’est que de temps en temps… Parce que moi…
BERANGERE – En attendant, n’hésitez pas à utiliser le bar : je l’ai réapprovisionné
PATRICE – Excellente idée !
BERANGERE – Et je vous remets les clés dès mon retour
PATRICE (chantonnant) – Voici les clés, ne les perds pas sur le pont des Soupirs ! Ah ah ! On ne sait jamais : ça peut servir…
BERANGERE – Dites : l’opérette, ça ne vous...