Un homme est assis dos public sur un fauteuil rouge pivotant, il regarde en face de lui la silhouette en carton d'une star de cinéma.
Lui – Regarde-moi ! Regarde-moi !
Il fait pivoter son fauteuil dos à la silhouette en carton. Noir. Musique.
L'homme s'installe sur le canapé devant une table basse. Il découpe une photo.
Sonnerie interphone.
Lui – Oui ?
Elle – C’est moi !
Lui – Je vous ouvre.
Un temps. Elle entre dans la pièce.
Elle – Bonjour, bonjour.
Lui – Bonjour.
Elle. Vous allez bien ?
Lui. Ça va, merci et vous ?
Elle – ça va.
Elle va poser son manteau et revient avec une blouse de travail.
Lui – Vous avez dit « c’est moi » à l’interphone ! Vous savez que c’est ce que disent les voleurs lorsqu’ils veulent se faire ouvrir la porte d’un immeuble, et systématiquement, ça marche, on leur ouvre !
Elle – Oui, mais enfin si c’était un voleur, ce ne serait pas ma voix !
Lui – On ne fait pas attention, d’autant que par l’interphone les voix sont déformées.
Elle – Il faut être plus à l’écoute. En plus ma voix est particulière.
Lui – Il n’y a pas que votre voix qui est particulière. Bon, et puis cessez d’avoir toujours réponse à tout, à partir de maintenant vous répondrez : « C’est Maria ».
Elle – Oui, mais attention, c’est que des Maria, il y en a beaucoup. Et puis généralement les voleurs viennent faire des repérages, ils sauront que je viens tous les mercredis et vendredis matin à la même heure, et que je réponds : « C’est Maria ». Non… je dirai : « C’est Maria Sanchez » et je vous donnerai mon numéro de carte d’identité. Tenez, je l’ai là, vous allez noter le numéro. Comme ça, vous serez sûr que c’est bien moi.
Lui – Mais c’est idiot ! Si les voleurs sont derrière à vous épier, ils n’ont qu’à noter le numéro.
Elle – Mais je le dirai tout bas !
Lui – Oui ben déjà que je n’entends pas grand-chose quand vous parlez normalement, alors tout bas ! Non, ce qu’on va faire, c’est qu’on aura un mot de passe.
Elle – Mais c’est pareil, ils l’entendront et ils le noteront !
Lui – Mais non, parce qu’on le changera toutes les semaines.
Elle – Non mais attendez, ce n’est pas la résidence de la reine d’Angleterre ! Et si j’oublie le mot de passe ou que je l’ai mal noté, vous ne m’ouvrirez pas, vous serez trop content, vicieux comme vous êtes ! Je serai obligée de rentrer chez moi, j’aurai perdu trois heures, parce que bien sûr, vous ne me les paierez pas. Déjà que je touche un salaire de misère. Tout ça pour votre mot de passe à la con ! De toute façon, qu’est-ce que vous avez à voler ici ? En plus, vous restez tout le temps chez vous, vous êtes neurasthénique. Par conséquent, je continuerai à dire : C’est moi, que ça vous plaise ou non !
Lui – Bon, bon, calmez-vous ! J’essayais de faire de l’humour. Mais vous prenez tout au premier degré, vous démarrez au quart de tour, vous n’avez aucun humour. Votre salaire, permettez-moi de vous faire remarquer, est supérieur à la moyenne du quartier, la concierge me l’a confirmé. Et je ne suis pas vicieux, je n’ai jamais eu à votre égard de geste déplacé. Où avez-vous été cherché que j’étais vicieux ? Vous vous méprenez sur mon compte. Quant à neurasthénique, vous connaissez le sens du mot « neurasthénie », vous ?
Elle – Vous le prenez de haut ? « Permettez-moi de vous faire remarquer ! » Permettez-moi de vous faire remarquer, à mon tour, que la concierge fait des ménages pendant les heures où elle devrait être à sa loge, elle ne digère pas de ne pas être votre femme de ménage, évidemment, pour elle c’est l’idéal, elle est sur place et ça lui ferait double salaire. « Je n’ai jamais eu, à votre égard de geste déplacé. » Non, vous ne m’avez jamais mis la main aux fesses, je traduis ! Mais je vois bien vos petits regards lubriques. « Vous vous méprenez sur mon compte. » Mais vous vous méprenez également sur le mien ! Neurasthénie : neur du grec neuros, nerf, et asthénique, asthénos sans résistance ou absence ou perte de force.
Lui – Bravo ! Je suis épaté. Je ne savais pas que j’avais une femme de ménage agrégée de médecine. Regard lubrique, vous êtes complètement parano ! Elle veut intervenir. Oui, c’est bon, vous me donnerez l’étymologie plus tard. Allez twitter mon nom sur "balancetonporc" pendant que vous y êtes ! Mais jusqu’à preuve du contraire, je suis votre employeur, et j’aimerais bien que vous effectuiez les tâches pour lesquelles je vous paye, c’est-à-dire, entre autres, le linge à repasser qui s’accumule dans la salle de bains. Je sais, le repassage, ce n’est pas votre truc ! Je pourrais peut-être vous donner des cours, remarquez, en échange, je ferais appel à vos services en tant que spécialiste de la psychiatrie, pour soigner ma neurasthénie.
Elle – Il n’y a pas de problème, si vous me payez au tarif horaire d’un psychiatre, j’accepte avec grand plaisir. Ne vous inquiétez pas, votre cas n’est pas si désespéré, je pense qu’en six mois, avec une bonne thérapie cognitive, vous irez déjà beaucoup mieux !
Lui – Oui, ben en attendant, sortez la planche à repasser et allez chercher le linge ! Non, mais ! Je t’en foutrais, moi, de la thérapie cognitive !
Elle – Je me ferais un plaisir de vous expliquer le principe, en dehors de mes heures de service, bien entendu ! Je ne voudrais pas compromettre nos bonnes relations de travail !
Il lui fait comprendre, d’un geste, d’aller chercher la planche à repasser. Elle revient avec le fer, il va chercher la planche. Elle lui demande : Au fait, vous m’avez acheté du Fabulon ?
Lui – Mais je vous ai déjà acheté une centrale vapeur « supergliss » qui sera livrée dans deux jours, vous ne voulez pas un robot non plus, pour repasser à votre place !
Elle – Si ! C’est une bonne idée, ça me laisserait le temps de faire des choses plus intéressantes.
Elle commence à repasser.
Lui – Ecoutez, chez moi, vous êtes femme de ménage, c’est peut-être pas très intéressant, je vous l’accorde, mais je n’ai pas demandé une Françoise Dolto.
Elle – Elle savait peut-être très bien faire le ménage, Françoise Dolto.
Lui – C’est possible, mais elle était psychiatre ou psychanalyste, je sais plus !
Elle – Pédiatre et psychanalyste, spécialiste de l’enfance, pas des adultes mûrs immatures.
Lui – Non, mais dites donc, c’est pour moi que vous dites ça ? Je ne vous permets pas !
Elle – Je faisais de l’humour ! Vous prenez tout au premier degré…
Lui – C’est pas de l’humour, c’est de l’insolence. Et puis, concentrez-vous un peu, regardez ! Vous allez me faire des faux plis ! Mettez la chemise bien à plat ! Bon, poussez-vous !
Il attrape le fer et prend sa place. C’est quand même pas compliqué !
Elle va s'asseoir sur une chaise.
Elle – Oh lala ! Ce que vous êtes maniaque ! Maniaque et neurasthénique, et ben dites-donc, vous n’êtes pas gâté !
Lui –...