Débordement

Une jeune femme cherche une rencontre, espère une rencontre digne des histoires épiques, digne des grandes batailles dans lesquelles parfois les liens les plus forts sont ceux que l’on partage avec son meilleur ennemi. Elle est prête à tous les sacrifices pour faire exister un face à face superbe, un rendez-vous unique. Au long de son monologue fiévreux, la jeune femme erre dans les rues qu’elle espère dangereuses à la recherche d’un prochain ou d’une prochaine pour assouvir ses désirs de rencontre et de promesses. Plongée dans une ville trop éclairée, convoquant au fil de sa déroute les figures amies de Don Quichotte, du Caravage, de Max Guevara ou d’Asja Lacis, elle cherche dans le clair-obscur les premiers signes d’une nuit enfin pleine.

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DÉBORDEMENT

 

 

0 — prologue

Une traque est un long chemin qui mène d'un point A à un point B : le point B étant en constante transition, il pousse le point A dans une évolution analogue. 

Un personnage est une stratégie ancienne et approuvée qui attribue à un point A ou B une justification.

Une histoire est un procédé, fait de métaphores et de comparaisons, permettant de rendre concret une loi géométrique.

À cette heure, l’histoire est la traque d'un personnage. Et si le personnage ne sait pas exactement qui il cherche, il sait que lorsqu’il va croiser la route de cet autre, il le reconnaîtra : comme on reconnaît très précisément son camarade dans l’urgence de la situation. 

Depuis combien d’années le personnage est-il sur la route? Il ne le sait pas; car ici, le temps importe peu. Dans quels territoires le personnage a-t-il erré? Il ne peut le dire avec précision; car le monde est vaste et reste inconnu. 

Si le personnage ne cherche pas tant une personne (les rues sont peuplées de personne), il poursuit l’image qu’il a longtemps forgée, l’idée qu’il s’est depuis longtemps faite de la personne qui peut et qui doit l’attendre dans le dédale des rues de cette ville ou d’une autre — quelque chose que nous pouvons appeler rencontre ou affrontement, ou bataille, ou déclaration, ou amour ou collision, ou promesse.

Dans le clair-obscur encore possible de certaines zones, chose certaine le destin se dessine à force d’obstination, de persévérance : un vieux théorème, une maxime gravée au fronton d’un temple abîmé, un bateau, un drapeau, un symbole, la ligne de fuite qui coupe en transversal.

Il en est du destin comme des coups de feu ou des coups de foudre : toujours quand on s’y attend le moins qu’il frappe le plus fort.

 

1 — éclipse en plein jour 

Quand je te regarde, je ne peux pas m’empêcher de voir une cible, et de me voir moi qui te vise, et qui attends ce petit éclat, flèche en diagonale dans ta face de cible, moi, à bander un arc dans le seul espoir d’allumer des brasiers surgis de l’obscurité comme on en voit dans les films épiques : au crépuscule, tôt le matin avant l’aube, ou tard le soir après les débats, un archer, sur la colline, fondu dans la nuit qui attend les combats brillants au zénith, ou caché dans cette lueur bleutée des game over belliqueux, l’archer décoche une flèche enflammée et c’est un météore qu’on voit traverser le ciel champ de bataille, certains se disent « Une étoile qui s’éteint… » et en une seconde, une demie seconde, la flèche touche sa cible et embrase tout — je veux être cette archère qui illumine ta face avec ce feu qui en même temps qu’il embrase tout te terrifie, un, embrase, deux, terrifie, mais dans le court laps de temps entre le premier mouvement et le second, tu aurais vécu de quoi, on pourrait dire une révélation, une espèce d’éclipse à l’envers, et pendant le laps de temps, tu aurais eu la chance de voir le soleil en pleine nuit et avant que la peur gagne les ventres, tu aurais eu au coeur cette lumière incroyable parce que sortie de nulle part et ce n’est pas encore la mort qui te vient mais quelque chose de la joie,

 

2 — crépuscule médiéval

j’aimerais être comme ces assassins du Seizième Siècle dans l’Italie du Caravage qui ne commettent des délits que dans l’obscurité des ruelles sombres sans risque de croiser le regard, même à la pleine lune, d'une ruelle suffisamment sombre pour ne pas voir autre chose que l’arme brillante dans ma main assurée et non contaminée par les empathies dégoulinantes : siècle trop éclairé qu’est notre siècle, plus possible d’assassiner calmement, sereinement, gentiment, normalement, aveuglément, aveuglément impossible quand toute la lumière on la veut partout, impossible aveuglément, même dans les ruelles toujours un lampadaire, a minima un néon oblique pour jeter la lumière, alors que je ne veux pas voir, bénis soient les aveugles, bénis et idolâtrés soient les aveugles, la dernière race encore capable d’assassiner sans souffrir le miroir et le tranchant des regards en retour, nous sommes des chiots à peine sortis du ventre maternel et nous nous apitoyons les uns les autres avec nos regards tendres et ronds, nous sommes incapables du moindre acte un peu solide, incapables de la moindre conséquence un peu sérieuse, je regrette de ne pas être née plus tôt au temps du Caravage, pour zoner dans les ruelles mal famés de Milan, ville coupe-gorge, j’imagine, je sais pas, mais certainement plus coupe-gorge que nos ruelles à nous de nos jours, de nos jours où tout est tout de suite éclairé par ces lampadaires à basse consommation mais consommation pareil et lumière pareil et pas d’impunité possible, je regrette tellement ces époques bénies où le meurtre n’était pas tout de suite jugé, suspecté, soupçonné de mauvaise intention : il y des meurtres de ruelles qui sont autrement plus délicats que certaines déclarations d’amour faites au grand jour et à la vue de tous, il y a des meurtres qui ont la délicatesse des mains tendues et la beauté des promesses tenues, je suis sûre qu’un règlement de compte au crépuscule médiéval d’une Rome en clair-obscur serait un duel plus fort que tous nos affrontements stagés et fakes,

 

3 — catastrophe pour recommencer 

et dans ma course, je ne suis pas encore désespérée de ne pas t’avoir trouvée, moi qui ai pourtant couru plus de territoires que certaines personnes ne pourront jamais parcourir en trois ou quatre vies, moi qui me rends compte à peine de tout le chemin qui m’a mené jusqu’ici, moi qui prends conscience de l’obstination dont est capable un humain qui cherche un autre humain, et, c’est vrai, ce soir, je ne dis pas ce soir pour dire quelque chose, je dis ce soir parce qu’on sent ces moments importants, ils sonnent différemment, j’ai appris de vieilles musiciennes grecques l’écoute des variations, et le discernement précis d’un soir qui ne résonne pas comme un autre soir, comme ce soir, où je sens comme...

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