Drôles de Fripouilles

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Trois bookmakers douteux, plus bêtes que méchants, Alfred Rondin, Gus Simplet et Barnabé Baratin, projettent de truquer une course de chevaux. Ils séjournent dans une auberge de campagne proche de l’hippodrome, tenue par le colonel et Mme Badinet, qui débutent dans le métier et dont ils sont les premiers clients. Ajoutez à cela un escalier gagné par la pourriture, un panneau secret, une femme de chambre qui a des vapeurs, une histoire d’amour et vous obtiendrez une comédie déjantée, pleine de rebondissements et de joyeuses absurdités. Drôles de Fripouilles est la première pièce de John Chapman. Elle a été créée au New Theatre à Oxford en 1954 et a connu un succès extraordinaire, puisqu’elle est restée à l’affiche à Londres pendant 4 ans et 1475 représentations. C’est lors d’une des reprises de la pièce en 1957 que John Chapman rencontre Ray Cooney, qui jouait le rôle de Barnabé Baratin. Commence alors une amitié de toute une vie et une collaboration artistique fructueuse.

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John Chapman

Drôles de
Fripouilles

(Dry Rot)

Adaptation française de
Frédéric Saint-Martin

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Le colonel Badinet

Mme Badinet, sa femme

Suzanne Badinet, sa fille

Berthe, la bonne

Alexandre Danbois

Alfred Rondin

Gustave Simplet

Barnabé Baratin

Steven Piggott

La sergente Thirez

L’action se déroule dans le hall d’accueil du Veau Qui Tète, une auberge normande transformée en hôtel. Nous sommes loin de la ville.

Acte I

Scène 1 Le hall d’accueil de l’auberge, le matin.

Scène 2 Le même décor. Trois jours plus tard.

Acte II

Scène 1 Le même décor. Au petit matin du jour suivant.

Scène 2 Le même décor. Huit heures plus tard.

Scène 3 Le même décor. Le même après-midi.

Acte I

Scène 1

L’action se déroule dans le hall d’accueil d’une auberge normande située à la campagne. Elle est gérée par Henri Badinet, colonel retraité de l’armée d’Indochine, et son épouse Doris. Ils sont aidés en cela par Berthe Barbon, une femme de chambre.

Sur l’avant-scène droite se situe la cheminée, sur l’arrière-scène droite des portes-fenêtres menant au jardin. Au centre du mur du fond, un petit escalier conduit à un palier suivi d’un couloir qui part vers la gauche et mène à l’étage. Directement sous le palier se trouve la porte d’entrée. Il y a une autre porte menant à la cuisine à l’avant-scène gauche et encore une donnant sur la salle à manger sur l’arrière-scène gauche. Sur le mur du fond, des deux côtés de la porte d’entrée, se trouvent des fenêtres. Entre la porte de la cuisine sur l’avant-scène gauche et la porte de la salle à manger sur l’arrière-scène gauche se trouve un petit bar. Entre la salle à manger et la porte d’entrée il y a un panneau qui s’ouvre dans le mur. Décoration murale liée aux courses de chevaux

C’est le matin. Quand le rideau se lève, Badinet apparait sur le balcon du palier venant de sa chambre au fond du couloir, vêtu d’une chemise, d’un pantalon et de sa robe de chambre. Il appelle.

Badinet. Doris !

N’obtenant aucune réponse, il retourne dans le couloir. Mme Badinet entre depuis la cuisine, portant un plateau avec le petit-déjeuner et le journal. Elle le pose sur la table et appelle.

Mme Badinet. — Henri !

N’obtenant aucune réponse, elle retourne dans la cuisine. Badinet revient sans sa robe de chambre et avec un foulard autour du cou.

Badinet. — Doris !

Toujours pas de réponse. Il ressort. Mme Badinet, revient, portant un deuxième plateau.

Mme Badinet. — Henri !

Elle va sous le balcon pour prendre une chaise. Badinet entre en enfilant sa veste.

Badinet, ne la voyant toujours pas. — Doris !!

Mme Badinet, sortant de sous le balcon. Oui, mon chéri ?

Badinet. — Ah, tu es là !

Il descend.

Mme Badinet. — Oh, Henri ! Tu es déjà réveillé ?

Badinet, légèrement sarcastique. — Non, ma chérie, je suis somnambule.

Mme Badinet. — Alors, viens prendre ton petit-déjeuner.

Badinet, commençant à manger. Depuis combien de temps es-tu levée ?

Mme Badinet. — Une éternité. Je me suis occupée de toutes les corvées pendant que tu ronflais encore.

Badinet. — Je ne ronfle jamais.

Mme Badinet. — Bien sûr, mon chéri. Tiens, ton journal.

Badinet. — Merci. Cela dit, je ne vois pas pourquoi c’est toi qui devrais t’occuper des corvées. Pourquoi diable payons-nous Berthe ?

Mme Badinet. — Elle ne se sent pas très bien aujourd’hui. Elle a de nouveau eu des vapeurs cette nuit.

Badinet. — Encore ! Si elle ne fait pas attention, elle va finir par s’évaporer entièrement. Je ne m’en plaindrais pas d’ailleurs.

Mme Badinet. — Oh, Henri, arrête de rouspéter et finis ton petit-déjeuner.

Badinet. — Je pensais déjà que les domestiques que nous avions en Indochine étaient mauvais, mais alors Berthe, c’est le pompon. Je ne sais pas comment les propriétaires précédents arrivaient à la supporter.

Mme Badinet. — Peut-être, justement, qu’ils n’y sont pas arrivés, et que c’est pour ça qu’ils ont vendu.

Badinet. — N’aurait-il pas été plus simple pour eux de s’en séparer ?

Mme Badinet. — Il est vraiment difficile de lui faire entrer quoi que ce soit dans le crâne. Ils ont probablement pensé que le plus simple était pour eux de partir.

Badinet. — Tu vas voir comment je vais la mater, celle-là, même si je dois utiliser les grands moyens.

Mme Badinet. — Bien sûr, mon chéri. Quoi de neuf dans le journal ?

Badinet. — Rien du tout, exactement comme hier.

Mme Badinet. — Eh bien, c’est déjà une bonne nouvelle. (Elle regarde le journal par-dessus son épaule.) Oh, mais c’est le journal d’hier ! Berthe a dû les inverser.

Badinet. — Allons bon. (Il l’appelle.) Berthe !

Mme Badinet. — Oh, ne l’appelle pas maintenant, Henri, elle est en train de faire la vaisselle.

Elle prend un autre journal sur la table à côté de la porte d’entrée.

Badinet. — Berthe !

On entend un bruit de vaisselle cassée en coulisse.

Mme Badinet. — Je t’avais dit qu’elle faisait la vaisselle.

Badinet. — Chaque fois que je l’appelle, on dirait qu’elle est ailleurs.

Mme Badinet. — Peu importe ; tiens, voici le bon journal.

Elle lui tend le bon journal. Berthe entre, une fille de la campagne à l’air godiche.

Berthe. Vous z’avez fini ?

Badinet. — Fini ? Fini quoi ?

Berthe. — Avec l’plateau.

Badinet. — Pas encore.

Berthe. — Ben, dépêchez-vous. (Elle rapproche son visage de celui du colonel :) J’peux pas vous attendre tout’ la sainte journée.

Badinet, la colère le gagnant. — Quoi !

Mme Badinet, le calmant. — Henri !

Badinet, se maîtrisant. — Du courrier ce matin ?

Mme Badinet. — Pas à ma connaissance.

Berthe. — Ni pour moi

Badinet. — Dommage, j’espérais que nous aurions quelques clients pour le début de la saison hippique.

Mme Badinet. — Nous les aurons bien assez tôt. Après tout, la saison ne fait que commencer, et il fait encore assez froid.

Badinet. — C’est vrai.

Il se remet à lire son journal.

Berthe, qui aime bien papoter. — Ouais, et ici, y fait encore sacrément froid au début du printemps, pas vrai, m’dame ?

Mme Badinet, sur le même ton familier. — Sacrément, ouais.
(Se reprenant :) Heu — Oui, en effet.

Berthe, continuant sur sa lancée. — Mais maintenant qu’les courses vont commencer à l’hippodrome de Deauville, les affaires vont reprendre, vous z’allez voir.

Mme Badinet. — Je l’espère sincèrement.

Berthe. — Oh, ouais, et quand l’été s’ra là, vous z’aurez les couples pour leur lun’ de miel. J’aime bien une bonne lune de miel, pas vous ?

Badinet. — Je n’en ai vécue qu’une seule, mais c’était bien agréable.

Berthe. — Moi, j’en ai vécu un paquet.

Mme Badinet. — Vraiment ?

Berthe, comptant sur ses doigts. — Ouais, trois en juin dernier, deux en juillet, et encore deux autres pendant l’automne.

Mme Badinet. — Bonté divine !

Badinet, levant la tête de son journal. — Deux autres quoi pendant l’automne ?

Berthe. — Des lun’ de miel.

Badinet. — Quoi ?

Mme Badinet. — Des lunes de miel, mon chéri. Berthe me parlait de ses lunes de miel successives.

Badinet. — Je ne savais même pas qu’elle était mariée.

Mme Badinet. — Non, mon chéri. Elle parlait des couples qui viennent passer leur lune de miel dans la région.

Badinet. — Eh bien, j’espère que nous n’en aurons pas ici. Si tu veux mon avis, tout ça, c’est assez malpropre.

Mme Badinet. — Toi aussi, tu as vécu une lune de miel, autrefois.

Badinet. — Moi aussi ? — Ah oui ! Bien sûr. Mais là, c’était différent.

Ils se sourient. Un temps.

Berthe. — J’le prends maintenant.

Badinet. Je vous demande pardon ?

Berthe. — Le plateau.

Badinet. — Je n’ai pas encore fini.

Berthe, recommençant à raconter sa nuit. — J’vous ai pas raconté mes vapeurs de cette nuit. J’suis devenue toute verte et —

Badinet, exaspéré, lui tendant le plateau. — Oh, tenez, prenez-le.

Berthe, continuant. — Et des frissons ! C’est comme ça qu’ma grand-mère a passé l’arme à gauche. Toute verte et avec des frissons. Ça m’fait penser, vous voulez du flan à la pistache pour le dessert ?

Badinet. — Non !! (Berthe sort avec le plateau.) Si ce n’est pas elle qui part, c’est moi.

Mme Badinet. — Nous ne pouvons pas la jeter dehors, Henri, elle n’a nulle part où aller.

Badinet. — J’imagine bien un endroit. (Un temps.) Dis-moi, Doris, est-ce que tu regrettes d’avoir acheté cette auberge ?

Mme Badinet. — Non, bien sûr que non. Pourquoi ?

Badinet. — C’est logique, puisque c’était ton idée mais, bon Dieu de bon Dieu, nous sommes censés être à la retraite.

Mme Badinet. — J’aime avoir quelque chose à faire pendant la journée, Henri. Et nous n’aurions jamais pu nous offrir une maison aussi grande pour nous tout seuls.

Badinet. — Si nous ne trouvons pas rapidement des clients —

Mme Badinet. Des clients vont forcément venir. Tu as entendu Berthe, elle a dit que les affaires allaient reprendre.

Badinet s’apprêter à monter les escaliers quand Suzanne, leur fille, entre par la porte-fenêtre. Elle a un peu plus de vingt ans.

Suzanne. — Bonjour, papa.

Badinet. — Bonjour, Suzanne.

Suzanne. — Comment vas-tu ?

Badinet. — Bien, ma chérie, très bien.

Ils s’embrassent.

Suzanne. — Ce matin, il fait très beau.

Badinet. — Tu as déjà pris ton petit-déjeuner ?

Suzanne. — Oui, il y a longtemps, pendant que tu ronflais encore.

Badinet, s’apprêtant à répondre. — Je — (Il décide finalement de n’en rien faire.) Je te verrai plus tard.

Il monte les escaliers et sort.

Suzanne. — Je vais au village, maman, je te ramène quelque chose ?

Mme Badinet. — Oui, ma chérie, je veux bien, mais il faut d’abord que je m’asseye tranquillement quelque part, pour écrire la liste des choses à acheter.

Suzanne. — Faisons-le maintenant, tu veux bien ? Tiens.

Elle lui remet un bloc et crayon qu’elle a pris sur la table près de l’entrée.

Mme Badinet. — Merci, ma chérie. Voyons, de quoi ai-je besoin ?

Suzanne. — De sel ?

Mme Badinet. — De sel.

Suzanne. — De poivre ?

Badinet, apparaissant en haut des escalier et appelant. — Berthe !

Mme Badinet, à Suzanne. — Oui ; de quoi d’autre ?

Badinet, plus fort. — Berthe !!

Mme Badinet. — Oh, Henri, s’il te plaît, moins fort. J’essaie de réfléchir.

Badinet. — Désolé, ma chérie. (Avec un murmure sonore de théâtre :) Berthe.

Berthe sort de la cuisine et lui répond, en murmurant également.

Berthe. — Oui, M’sieur ?

Badinet, murmurant toujours. — Est-ce que par hasard vous auriez quelque chose qui ressemble à une paire de lacets, pour mes chaussures ?

Berthe, même jeu. — Vous pouvez répéter ?

Badinet, explosant. — Des lacets ! J’ai besoin de lacets pour mes chaussures.

Il ressort.

Berthe. — Je vais vous en apporter.

Mme Badinet, ajoutant à sa liste. — Ah oui, des lacets.

Berthe, fouillant dans la poche de son tablier. — J’ai p’t-être un morceau de ficelle sur moi. — Je — tiens, qu’est-ce que — oh, une lettre. Mais d’où est-ce qu’elle — Ah oui, je m’rappelle, elle est arrivée hier. Tenez, la v’là.

Suzanne. — Elle est adressée à Monsieur l’aubergiste !

Mme Badinet. — Vraiment, Berthe, vous devez faire plus attention. Cela aurait pu être important.

Berthe. — C’est à caus’ de mes vapeurs, j’perds la tête.

Badinet, réapparaissant sur le palier. — Vous les avez trouvés ?

Mme Badinet. — Non, Henri, mais il y a une lettre pour toi qui est arrivée hier.

Badinet. — Hier !

Berthe. — Je vais chercher les lacets.

Elle sort en hâte avec le second plateau.

Badinet. — De qui est la lettre ?

Suzanne. — Je ne l’ai pas encore lue, mais d’après le tampon, elle vient de Londres.

Badinet. Voilà qui est d’une grande aide.

Suzanne, lisant. « Cher Monsieur, je vous serais très reconnaissant de préparer trois chambres pour mardi prochain. Je serai accompagné de mon domestique, M. Simplet et de mon secrétaire particulier, M. Danbois. M. Danbois, que j’ai engagé par petite annonce et qui rejoindra mon équipe mardi, arrivera en premier pour s’assurer que tout est en ordre. Sincèrement. Signé Alfred Rondin. » Eh bien, voilà qui est magnifique.

Badinet et sa femme ont tous deux l’air très nerveux.

Mme Badinet. — Il a dit combien de chambres, chérie ?

Suzanne. — Trois en tout. Il doit être très riche pour avoir autant de monde à son service.

Badinet. — Trois, c’est vraiment beaucoup. Ça va être un carnage tous les matins dans notre unique salle de bain, avec quatre hommes en train de se battre pour se raser.

Suzanne. Il va falloir que tu te laisses pousser la barbe.

Badinet. — Ne sois pas ridicule. Je suis un ancien militaire, pas un contrebandier. Et puis, ta mère n’aime pas les barbus.

Suzanne. — Moi, je les trouve très séduisants. (À sa mère :) Tu es sûre que tu n’aimes pas les barbus, maman ?

Mme Badinet, sortant de sa rêverie. — Quoi ?

Suzanne. — Les barbus.

Mme Badinet. — Les barbus ! (Relisant la lettre.) Pourquoi, ils ont des barbes ?

Suzanne. — Mais non. Papa disait juste que tu n’aimais pas les barbus.

Mme Badinet. — Henri, concentre-toi. Et puis, descends de ce balcon, tu me fais penser à Juliette.

Badinet, descendant. — Quelle Juliette ?

Mme Badinet, l’ignorant, à Suzanne. — Bon, alors, quand arrivent-ils ?

Suzanne. — Mardi.

Badinet. — Donc, nous avons une semaine pour tout préparer.

Mme Badinet. — Si seulement je savais par où commencer.

Badinet. — Quelle est leur adresse ?

Suzanne. Grosvenor Square, en plein cœur de Londres

Badinet. — C’est un quartier très chic. Tiens, je crois que mon ancien chef y habitait. Tu te rappelles, chérie, le général Gladwyn. Il était très sympathique, je l’ai perdu de vue depuis que nous sommes rentrés d’ Indochine.

Suzanne. — Cela ne me surprend pas, cela fait quand même longtemps.

Mme Badinet. — Henri, concentre-toi. J’ai besoin d’idées constructives pour savoir comment nous allons nous organiser.

Badinet. — L’auberge, c’était ton idée. A toi de te débrouiller.

Suzanne. — J’ai trouvé. Il n’y a qu’à demander à Berthe.

Mme Badinet. — Tu es sérieuse ?

Suzanne. — Elle doit sûrement savoir comment ça marche ici.

Mme Badinet. — Je suppose que tu as raison.

Suzanne. — Nous verrons bien ce qu’elle en dit. Berthe ! — Ça ne peut pas faire de mal. Berthe !

On entend un nouveau bruit de vaisselle qui se casse.

Badinet. — Je ne peux vraiment pas la ... ?

Mme Badinet. — Chéri, il vaut mieux que tu me laisses faire. Tu la stresses.

Badinet. — Moi, non, pas possible ?


Berthe entre.

Mme Badinet. — Oh, Berthe, nous venons juste de recevoir une lettre de personnes qui souhaitent réserver des chambres.

Berthe, à Badinet. — V’là vos lacets, mon colonel.

Suzanne. — Oh... Merci

Mme Badinet. — Eh oui, Berthe. Il semble que la saison commence tôt cette année.

Berthe, toujours à Badinet. — J’espère qu’vous en vouliez des marrons.

Badinet. — Merci, ils sont parfaits.

Berthe, toujours à Badinet — Est-ce qu’y sont assez longs ?

Mme Badinet. Berthe, vous pouvez écouter ce que je vous dis ?

Berthe. — Hein ?

Mme Badinet. — Nous avons plusieurs clients qui arrivent.

Berthe. — Y z’arrivent quand ?

Mme Badinet. — Mardi prochain. Ils seront trois.

Berthe. — Trois, donc c’est pas pour une lun’ de miel.

Mme Badinet. — Il y a peu de chances. Bon, quelles chambres allons-nous leur donner ?

Suzanne. — Il y a M. Rondin, son secrétaire et son domestique. Il vaut mieux que M. Rondin ait une des chambres du palier.

Badinet. Impossible. C’est nous qui les occupons.

Mme Badinet. — Nous n’en utilisons que deux, celle de Suzanne et la nôtre, la troisième est libre.

Badinet. — Je m’en sers comme dressing. Il y a plein de chambres dans les ailes de l’auberge pour les visiteurs.

Mme Badinet. — Berthe, comment dorment d’habitude les visiteurs ici ?

Berthe. — Oh, plutôt bien. Certains se plaignent parfois de —

Mme Badinet. — Je veux dire dorment-ils d’habitude ? Dans les chambres qui sont là (elle pointe le haut des escaliers) ou dans celles qui sont dans les ailes ?

Berthe. — Là.

Mme Badinet. — Tu vois, Henri, c’est bien ce que je pensais. Il va juste falloir que tu sacrifies un peu de ton espace privé.

Badinet. — Jamais de la vie. J’ai acheté cette auberge parce que je voulais vivre dans un endroit agréable, pas dans une pension de famille de second ordre !

Mme Badinet, l’ignorant. — Bien, donc ce point est réglé.

Badinet. — Ecoute-moi bien, Doris, je n’ai pas l’intention de laisser des touristes en vadrouille violer mon espace privé.

Mme Badinet. — Qui a parlé de touristes en vadrouille ?

Badinet. — J’ai horreur des gens qui s’engouffrent chez vous avec des sandwichs au pâté et des tongs.

Mme Badinet. — Rappelle-toi que nous sommes en pleine campagne, chéri. (On frappe à la porte.) Berthe, allez voir qui c’est.

Badinet. — Je me fiche d’où nous sommes, je ne les aime pas, et si l’un d’entre eux s’avise de venir ici, je lui dirai droit dans les yeux de partir immédiatement. Tu m’entends ? Immédiatement !

Berthe ouvre la porte et Alexandre Danbois entre. C’est un jeune homme séduisant d’environ vingt-cinq ans, habillé élégamment et bien sous tous rapports.

Berthe. — Euh — Mon colonel, m’sieur, y’a un —

Badinet, tournant le dos à la porte d’entrée et ignorant ce qui se passe. — Ne m’interrompez pas, Berthe, je parle. (À sa femme :) Et quant à ces chambres là-haut, (il les pointe dramatiquement du doigt) c’est mon domaine personnel —

Mme Badinet. — Mon chéri —

Badinet. — Un domaine dont j’ai rêvé toute ma vie et dont j’ai planifié jusqu’aux moindres détails. (Mme Badinet fait signe à Danbois de s’asseoir et lui sourit gracieusement.) Je suis le maître ici et tu peux me croire, j’en chasserai les manants.

Mme Badinet, à Danbois. — Ne voulez-vous pas vous asseoir ?

Badinet. — Non, je ne veux pas m’asseoir !

Danbois. — Non merci.

Badinet. — Et si quelqu’un — Que se passe-t-il ? Berthe, je vous ai dit — (Il voit Danbois.) Oh, euh — Enchanté.

Danbois. — Bonjour.

Badinet. —Je ne pense pas vous connaître, est-ce que je me trompe ?

Danbois. — Non, mon nom est Danbois.

Badinet. — Le mien Badinet, colonel Badinet.

Ils se serrent la main.

Danbois. — Enchanté.

Badinet, à sa femme. — Chérie, voici mon épouse. (Se reprenant, à Danbois :) Je veux dire, voici mon épouse. Doris, je te présente M. Danbuis.

Danbois. — Danbois.

Badinet. — Danbois.

Danbois. — Enchanté

Suzanne, atterrée. — Danbois ?

Mme Badinet. — Suzanne, voyons !

Suzanne. — Vous devez être la personne mentionnée dans la lettre.

Danbois. — Vraiment ?

Suzanne. — Maman, c’est le M. Danbois qui doit arriver mardi.

Mme Badinet. — Oui, ma chérie, mais je ne vois pas —

Suzanne. — Nous sommes aujourd’hui mardi !!

Mme Badinet. — Oui, mais ils n’arrivent que... (À Danbois :) Oh mon Dieu, vous n’arrivez bien que mardi prochain, n’est-ce pas ?

Danbois. — Pourquoi, on fête un anniversaire ?

Mme Badinet. — Non, non, mais — mais M. — euh — Rondin n’a pas dit qu’il arriverait aujourd’hui ?

Danbois. — Je pense que si.

Mme Badinet. — Oh.

Danbois. Puis-je voir la lettre ?

Mme Badinet. — Mais certainement.

Elle la lui donne.

Danbois. — Elle a été postée samedi, il s’attendait évidemment à ce que vous la receviez lundi.

Berthe. — Oh, Aïe, aïe, aïe, elle est ben arrivée lundi et c’est moi qui — (Elle se rend compte de sa bourde.) — Je vais aller voir là-bas si on a besoin de moi.

Elle sort.

Badinet. — Voilà enfin éclaircie la cause de cette...

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