PROLOGUE
Les trois frères et sœurs sont devant le cercueil de leur père. JACQUES, JULES et LILY, côte à côte, habillés de noir, lunettes de soleil sur les yeux.
Un employé du crématorium fait l'éloge funèbre.
EMPLOYÉ- Nous sommes réunis aujourd'hui dans la peine et la douleur de la perte d'un être cher. Jean Pierre nous a quitté, lui qui fut un père aimant et un mari attentionné, il laisse notamment derrière lui ses trois enfants, frères et sœurs dévastés unis dans la souffrance pour l'accompagner dans l'au delà.
Au bout d'un moment, Jacques, le plus puéril, fait passer sa main derrière l'épaule de Jules, et lui tapote l'épaule comme si quelqu'un était derrière. Jules se retourne et ne voit personne. Après quelques secondes, Jacques répète l'opération encore une fois. Lorsque Jules comprend que c'est son frère qui lui fait une blague, il lui jette un regard noir. Jacques sourit discrètement. De son côté, Lily est à la fois dépitée par la puérilité de Jacques, mais ne peut s'empêcher de sourire.
ACTE I
La salle d'attente du crématorium. Sept chaises sont en fond scène.
En avant scène côté Cour, une table basse sur laquelle sont disposées une carafe d'eau et quelques verres, à la disposition des familles des défunts.
JULES, sur la chaise située tout au bout côté Jardin, est dans ses pensées, l'air préoccupé. JACQUES , assis sur la chaise située tout au bout côté Cour, lit un prospectus du crématorium. LILY, assise sur sur la chaise du milieu, essaie de trouver les mots de passe des différentes boites mail de son défunt père.
Dans un premier temps, les frères et soeurs chuchotent pour respecter le lieu et les autres familles présentes dans les autres salles.
JULES- Après c'est qui qui les garde ?
JACQUES- De quoi ?
JULES- Les cendres à Papa, c'est qui qui les garde ?
LILY- Fais un effort avec ça, on te l'a déjà dit.
JULES- Un effort de quoi ?
LILY- Double faute en une phrase... On dit pas « c'est qui qui », on dit « qui est-ce qui ». Et on dit pas « les cendres à Papa », mais « les cendres DE Papa ».
JULES (après un temps)- Alors, c'est qui qui les garde ?
JACQUES et LILY- « Qui est-ce qui ».
JULES- Arrêtez de me reprendre avec ça, j'ai plus 12 ans.
JACQUES - Justement. C'est pour ça qu'on te reprend. T'as plus 12 ans.
JULES - En tout cas, moi je peux pas les garder, ça ira pas dans mon appart, c'est mort. A tous les coups, ils vont nous mettre ça dans un pot tout pété, ça ira pas avec mes meubles. Sandra elle va me dire c'est mort, elle est vachement à cheval sur ce genre de trucs de déco et tout.
JACQUES- T'as pas honte ?
JULES- Honte de quoi ?
LILY- C'est ton père quand même.
JULES- Bah c'est votre père aussi, pourquoi vous les prenez pas, vous?
JACQUES - Parce qu'il a jamais dit qu'il voulait qu'on les prenne.
JULES- Bah moi non plus il a jamais dit qu'il voula...
JACQUES - Ah bah si. Il m'a dit texto, « je veux que ce soit lui qui les prenne. Je sais qu'il y tenait », il m'a dit.
JULES- Je lui ai jamais dit que j'y tenais.
JACQUES- Bah je vois pas pourquoi il aurait menti. Un peu de respect.
JULES (un temps)- Il t'a envoyé un texto pour te dire ça ?
JACQUES- Non, il m'a dit ça texto, ça veut dire qu'il m'a dit ça très exactement. C'est ses mots à lui.
JULES- Ah ouais, mais ça va pas le faire. Je vous dis, Sandra, elle est vachement à cheval sur la déco. Elle sera jamais d'accord avec ça.
JACQUES- Et comment elle va d'ailleurs ?
JULES- Qui ça, Sandra ?
JACQUES- Oui, moi je l'appelle pas comme ça, mais oui.
JULES- Quoi, tu l'appelles comment toi ?
JACQUES - « On » l'appelle comment. Lily aussi, elle l'appelle comme ça.
LILY- Me mêle pas à ça, je l'appelle pas comme ça.
JACQUES (à Lily)- Tu mens très mal.
LILY- Je l'appelle pas comme ça, me mêle pas à ça.
JULES (s'énerve de plus en plus)- Vous l'appelez comment ?
JACQUES (à Lily)- Dis lui.
LILY- Non.
JACQUES- Dis lui, allez.
JULES (à Lily)- Comment tu l'appelles??
LILY (essaie de cacher un sourire)- Me mêlez pas à ça, je vous dis.
JULES- Oh ! Vous l'appelez comment ?!
JACQUES- Le dragon de Commodore.
LILY- Le dragon de « Komodo ». « Commodore », c'est un grade militaire. On dit un dragon de Komodo.
JACQUES- Ah bon ? J'ai toujours cru qu'on disait Commodore. J'ai toujours dit Commodore.
LILY- Non, c'est Komodo.
JULES- C'est quoi un dragon de Komodo ?
JACQUES- J'ai toujours dit Commodore.
LILY- C'est Komodo.
JULES- C'EST QUOI UN DRAGON DE KOMODO ??
LILY & JACQUES- SHHHHHHH
JACQUES- Respecte le deuil des gens !
JULES (se lève)- Mais c'est bon, là, y'a personne ! C'est quoi un dragon de Komodo ?
A partir de là, ils arrêtent de chuchoter.
JACQUES- Un gros lézard très repoussant qui vit dans la jungle. Avec une grande langue qu'il agite partout pour renifler les charognes.
JULES- Pourquoi vous l'appelez comme ça ?
LILY- Lui, il l'appelle comme ça. Moi je l'appelle pas comme ç...
JACQUES- C'est toi qui as trouvé le nom la première.
JULES- Pourquoi vous l'appelez comme ça ?
JACQUES- Dis lui.
JULES (à Lily)- Pourquoi tu l'appelles comme ça ?
JACQUES- La voix, déjà. La même voix que Maman. Elle a une voix de dragon de Commodore.
LILY- Komodo.
JACQUES (n'écoute pas sa soeur)- Même si je sais pas la voix que ça a, j'imagine que ça ressemblerait à ça.
JULES- Qu'est-ce qu'elle a, sa voix ?
JACQUES- Pour la décrire, j'ai une image qui me vient tout de suite en tête : c'est comme si tu prenais une poignée de caillasses, et que tu les mélangeais dans tes mains au plus près du tympan des gens.
JULES (après un temps, forcé d'être honnête)- C'est vrai qu'elle a une voix...
JACQUES- Une voix de merde.
JULES- Elle a eu un problème à ses cordes vocales quand elle était petite.
JACQUES- Non, c'est juste qu'elle a une voix de merde.
JULES- Et c'est quoi la deuxième raison ?
LILY- Je suis obligée de participer à votre débat débile ?
JACQUES- C'est tout sauf débile, pour une fois qu'on est ensemble pour qu'on lui dise ce qu'on en pense, de sa Sandra, on va pas passer à côté.
JULES (à Lily)- C'est quoi la deuxième raison ?
JACQUES- Dis lui.
LILY- Laisse moi.
JACQUES- Dis lui.
JULES- C'est quoi la deuxième raison ?
LILY- Non, je...
JULES- C'est quoi la deuxième raison ??!
LILY- Elle me fait peur, voilà ! C'est parce qu'elle me fait peur.
JULES- Comment ça, elle te fait peur ?
JACQUES- Fais pas ton choqué, t'es le premier à qui elle fait peur.
JULES- Elle me fait pas peur à moi.
JACQUES- Bien sûr que si elle te fait peur.
JULES- Bien sûr que non.
JACQUES- Elle te dit « au pied », tu vas au pied. Et tu baisses la tête comme ça.
JULES- Non.
JACQUES- Non ?
JULES- Non, bien sûr que non.
JACQUES (se lève et se dirige vers Jules pour le taquiner)- Ok. Alors prends le vase des cendres de papa, et affirme toi.
LILY- On dit une urne de cendres, pas un vase.
JACQUES- Pourquoi tu le prend pas?
JULES- Parce que j'en veux pas.
LILY- Pourquoi tu « la » prends pas. C'est une urne, pas un vase.
JACQUES- Non, c'est parce que t'as peur de ta grognasse. Hop ! (il fait semblant de lui toucher les parties intimes) Chat bite. Réflexes, mon frère, réflexes.
JULES-...