Avant le lever de rideau, on pourra passer « Tu veux, tu veux pas » de Marcel Zanini
SCENE 1
JULIE
A l’ouverture du rideau, on découvre Julie en train de téléphoner.
JULIE – Monsieur Guttin ? Oui, Bernard, si vous voulez… Madame Julie Freydier à l’appareil… Laquelle ?... Parce que vous en connaissez une autre ? Alors ! Un peu de jugeote ! (A elle-même.) Imbécile ! (Reprenant sa conversation téléphonique.) Vous me remettez ? C’est heureux… Quelle mouche m’a piqué pour vous appeler la veille d’un week-end ? Justement, ce n’est pas une mouche mais une abeille ! Ca fait trois fois en deux jours ! Et il est où votre cousin apiculteur qui devait venir !... Votre beau-frère ? C’est pareil… Pour votre sœur, non ? Mais je m’en moque de votre sœur !... Sachez que mon mari est lui aussi remonté. Ce qui compte maintenant, c’est qu’il se pointe !... Pas mon mari, votre beau-frère ! (A elle-même.) Andouille ! (Reprenant sa conversation téléphonique.) Mais je m’en contrefiche qu’il ait oublié !... Vous le rappelez et vous lui rappelez ?... J’y compte… Et qu’il vienne fissa !... C’est ça ! (Après avoir raccroché.) De plus en plus crétin le gars !
Julie gagne la terrasse.
SCENE 2
MAUD puis DOMINIQUE
Maud descend l’escalier, son portable à l’oreille. Très élégante, elle porte un chemisier et une jupe.
MAUD – Peu importe… Je suis coincée là toute la journée et la soirée… C’est déjà bien qu’il se déplace exprès pour moi ; je ne vais pas non plus lui imposer un horaire… Plutôt original ?… Oui, tu me l’as déjà dit… Pas trop le physique de l’emploi ?… Tant qu’il connaît son job… Un des meilleurs, oui, tu me l’as dit aussi… Pas un mot à mes parents, hein ?... A plus…
Dominique est arrivée par la porte d’entrée avant que Maud n’ait fini sa conversation téléphonique ; elle a des bagages en main.
MAUD (étonnée en découvrant Dominique) – Ah bah ça ! Dominique !
DOMINIQUE – Elle-même
MAUD – Mais qu’est-ce que vous faites là ?
DOMINIQUE (théâtrale au possible) – Je me le demande souvent… En fait, à part vous écouter, pas grand-chose. Comme d’habitude vous me direz
MAUD – Je n’ai rien dit
DOMINIQUE – Oui, mais d’autres le pensent
MAUD – Vous tombez dans le mélo dites donc
DOMINIQUE (même jeu) – C’est ainsi…
MAUD – Vous ne devriez pas être dans le train ?
DOMINIQUE – Oh ! J’ai encore un peu de marge… Et je voulais repasser avant d’aller à la gare… Histoire d’être sûre que tout était en ordre avant mon départ…
MAUD – Votre esprit consciencieux vous honore
DOMINIQUE (allusive) – Il est bien le seul, hélas !
MAUD – Allons !
DOMINIQUE – Entre nous, ça m’ennuie quand même un peu de me débiner aujourd’hui
MAUD – Rassurez-vous : on arrivera à se passer de vous
DOMINIQUE – C’est ce que m’ont dit tous les hommes que j’ai rencontrés… Oh ! Il n’y en avait pas des masses non plus… Quand j’y pense : mon filleul aurait quand même pu choisir un autre jour pour se marier
MAUD – On ne fait pas toujours ce qu’on veut
DOMINIQUE – Ni ce qu’on peut… Moi, pour le mariage, la date ou le lieu, ça m’est égal… Il ne me manque que le mari
MAUD – Ca peut encore se trouver
DOMINIQUE – Les épaves ou les fins de série, très peu pour moi… Quoique… (Déclamant.) A défaut d’être fataliste, sois réaliste !
MAUD – C’est explicite
DOMINIQUE – Enfin… Bon, pour aujourd’hui, ce qui me rassure, c’est que ma nièce va me remplacer
MAUD – Cléa ?
DOMINIQUE – Oui… Vous verrez : elle est sympa
MAUD – Et efficace dans son travail, j’espère
DOMINIQUE – Je pense. Avec toutes les instructions que je lui ai données, elle devrait s’en sortir
MAUD – C’est gentil à elle de vous remplacer au pied levé
DOMINIQUE – Moi, c’est plutôt le coude que je lève… Ca me fait d’ailleurs penser… (Dominique se dirige vers le bar et se sert un verre qu’elle avale d’une traite.) Voilà une bonne chose de faite… Je voulais vous demander : vous attendez une visite ?
MAUD (gênée) – Je… Oui… Les Dubois de la Patinière
DOMINIQUE – Ca, je sais… (Tapotant sa tempe avec son index.) Les noms à coucher dehors, ça reste dedans
MAUD – Les particules, ce n’est pas trop mon truc
DOMINIQUE – Moi non plus, les parties de… Non, c’est rapport à votre conversation téléphonique
MAUD – Je… Vous m’avez entendue ?
DOMINIQUE – Oh non ! Je vous ai seulement écoutée
MAUD – Ah !... Oh ! Ce n’est pas ce que vous croyez
DOMINIQUE – Moi, je ne crois qu’à ce que je vois alors…. Et comme je suis très myope…
MAUD – C’est un chir
DOMINIQUE – Késaco ?
MAUD – Un chirurgien si vous préférez
DOMINIQUE – Ah ! D’ac… Entre nous, ce genre de gars, je les évite… Moins on se porte, plus on les voit
MAUD – Pas faux
DOMINIQUE (théâtrale) – Toubib or not toubib
MAUD – Pour être plus précise, c’est un chirurgien esthétique
DOMINIQUE – Ah ?
MAUD – Le professeur Alexandre Robert
DOMINIQUE – Connais pas
MAUD – Je vais vous faire une confidence… Voilà : j’envisage de me refaire la poitrine
DOMINIQUE – Tiens donc !
MAUD – Oui, je voudrais gagner en volume… Vous voyez ?
DOMINIQUE – En gros oui
MAUD – Mais j’hésite…
DOMINIQUE – Si j’osais, je vous dirais qu’il faut peser le pour et le contre
MAUD – C’est parlant… C’est pour ça que l’avis d’un grand spécialiste comme le professeur Robert ne sera pas de trop
DOMINIQUE – Et il va venir ici ?
MAUD – Oui… Pour tout vous expliquer…
DOMINIQUE – Oh ! Je ne demande rien, mais puisque vous y tenez
MAUD – Il s’est entiché de la mère d’une très bonne copine qui n’habite pas très loin … Et elle l’a convaincu de s’arrêter ici
DOMINIQUE – Elle avait sûrement de jolis arguments
MAUD – Oui : du 95 D, elle
DOMINIQUE – Arguments de poids qu’elle a su mettre en avant
MAUD – Comme il a accepté de venir ici, ça m’évitera d’aller à sa clinique parisienne
DOMINIQUE – Ce serait quand même mieux là-bas, non ?
MAUD – En fait, c’est un simple avis que je cherche, avant de me lancer plus loin
DOMINIQUE – Si je vous suis, vous voulez estimer l’ampleur du chantier avant de vous lancer dans des grands travaux
MAUD – C’est bien résumé
DOMINIQUE – J’ai toujours eu l’esprit de synthèse… (Réfléchissant.) Dommage que je ne sois pas là
MAUD – Pourquoi ?
DOMINIQUE – J’aurais profité de votre chirurgien
MAUD – Et oh ! Doucement !
DOMINIQUE – Entendons-nous : de son expertise
MAUD – A quel sujet ?
DOMINIQUE – Au niveau du popotin… Moi, c’est un peu le contraire : je voudrais perdre en volume, et pas que peu
MAUD – Je vous comprends… (Se reprenant.) Enfin… Vous aimeriez une liposuccion ?
DOMINIQUE – Un truc comme ça… Une succion tout court, ce serait déjà pas mal
MAUD – Je ne sais pas si le professeur Robert aurait voulu…
DOMINIQUE – Professeur, le mot est vraiment de circonstance
MAUD (amusée) – Je n’y avais pas pensé
DOMINIQUE – Mais vous avez raison… Comme on dit, il faut que je m’occupe de mes fesses… (Allusive.) Puisque personne ne s’en charge
MAUD (un peu gênée) – Je… Je n’ai pas parlé de cette visite à mes parents
DOMINIQUE – Ca vous regarde… Mais s’ils tombent sur lui ?
MAUD – Il y a peu de risques : ils vont être suffisamment occuper avec leurs invités
DOMINIQUE – C’est vrai
MAUD – Vous ne leur direz rien, hein ?
DOMINIQUE – A vos invités ?
MAUD (amusée) – Dominique !
DOMINIQUE – Promis : je n’en piperai pas un mot à vos vieux
MAUD – Merci
DOMINIQUE – Botox et bouche recousue !
MAUD (amusée) – Pas mal
DOMINIQUE – Ouais… On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a… Mais vous causez là et il faut que j’y aille
MAUD – Alors : bon voyage et bon mariage !
Maud grimpe les escaliers.
DOMINIQUE – Ouais, si mon arrière-train peut attendre, mon TGV, non ! Quand même, entre nous, s’appeler Robert et refaire les seins, c’est gonflé ! (Au public.) Vous avez saisi le jeu de mots ? S’il y en a parmi qui n’ont pas compris, qu’ils viennent me voir plus tard ! Pour les trop moches, demandez à votre voisin !
Dominique récupère ses bagages et quitte la pièce.
SCENE 3
MARC, puis MAUD
Marc sort de la bibliothèque. Il a son portable en main.
MARC – Mais oui ! Bien sûr qu’il signera. C’est comme si c’était fait. Tout est sous contrôle… Ouais, je te tiens au courant…
Retour de Maud.
MAUD – Ca va papa ?
MARC – Je t’avouerais que ça ira mieux dans quelques heures
MAUD – Je te le souhaite
MARC – Permets-moi de te dire que tu es ravissante
MAUD (ailleurs) – Ah ? Euh… Oui… Merci
MARC – Mais tu m’as l’air ailleurs
MAUD – Je songeais
MARC – Pas à Charles-Edouard, je présume
MAUD – Alors là : sûrement pas !
MARC – Allons : ne soit pas si catégorique avec lui !
MAUD – Vu sa tronche, j’ai tranché !
MARC – Il y a sans doute pire
MAUD – Et sûrement mieux
MARC – J’admets qu’il a un physique qui ne le sert pas
MAUD – Pour les binoclards, je passe mon tour !
MARC – Mais il n’y a pas que le physique dans la vie
MAUD – Ce sont les moches qui disent ça
MARC – Regarde le frère de ta mère : ça n’a pas été facile vu à quoi il ressemble, mais il a bien fini par trouver quelqu’un… A cinquante-cinq ans
MAUD – Oui : une femme de soixante-douze ans !
MARC – Tu sais : on peut consommer les yaourts même la date largement dépassée
MAUD – Tes comparaisons sont limites
MARC – J’en conviens
MAUD – La dernière rencontre que j’ai eue avec Charles-Edouard m’a hélas largement suffi
MARC – Je te rappelle qu’il mène de brillantes études… L’ESSEC, ce n’est pas donné à tout le monde
MAUD – Ce n’est pas donné tout court
MARC – L’argent n’est pas un souci pour sa famille
MAUD – Alors que ça l’est pour la nôtre
MARC – Je reconnais qu’en ce moment, les affaires ne sont pas terribles
MAUD – Et tu comptes sur le père de Charles-Edouard pour te sortir de cette mauvaise passe ?
MARC – Bah… Oui… Je voudrais lui faire signer un gros contrat… Sinon, tu penses bien que je ne les aurais pas invités… La femme ne rattrape pas son mari… Une vraie cruche
MAUD – Dans le genre gourde, le fils tient aussi la corde
MARC (rigolant) – Avec eux, on ne manquera pas d’eau pour la soirée
MAUD (amusée) – Papa !
MARC – Quoi qu’il en soit, je te demande juste de bien te comporter avec Charles-Edouard
MAUD – Le temps de signer le contrat
MARC – Voilà
MAUD – Rassure-toi : je ferai bonne figure
MARC – Je n’en doutais pas une seconde
MAUD – Jusqu’à une certaine limite…
Maud grimpe l’escalier.
SCENE 4
MARC, LILLY
On sonne.
MARC (consultant sa montre) – Déjà ?
Marc se regarde dans le miroir et réajuste sa cravate.
On sonne à nouveau. Marc va ouvrir.
MARC – Voilà voilà !
Entrée fracassante de Lilly. Très court-vêtue, elle pousse Marc sur le canapé et se jette sur lui.
LILLY – Hello darling !
MARC – Mais… Mais qu’est-ce que tu fais là ?
Lilly enlève un à un les boutons de sa chemise.
LILLY – Bah tu vois : je me déshabille… Un peu, beaucoup !
MARC (abasourdi) – C’est pas possible !
LILLY – Avec Lilly, tout est possible !
MARC – Tu ne devais pas venir aujourd’hui
LILLY – Bah si : tu m’as laissé le choix dans la date… (Allusive.) Je ne sais pas pourquoi mais j’adore cette contrepèterie !
MARC – Je t’avais dit de choisir entre le 14 et le 21
LILLY – J’avais capté !
MARC – Bah alors !
LILLY – On est le 14 ! Donc me voilà
MARC – Je constate que la notion de « entre » te fait une belle jambe
LILLY – Moi, tu sais, je me limite à l’entrejambe
MARC – Le 14 et le 21, c’était borné !
LILLY – Oh là là ! C’est toi qui es borné
MARC – Entre le 14 et le 21, il y avait quand même de la...