Digital horror show

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Nos applications et nos machines dociles prendront-elles le contrôle de nos vies ? Entre Brazil et Black mirror, douze scènes courtes, aussi drôles qu’inquiétantes, sur les dérives potentielles de l’industrie numérique. De la robotique aux réseaux sociaux, du e-commerce au transhumanisme, petit inventaire des cauchemars en cours de développement.

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Scène 1 - Domotique

Deux couples entrent dans la cuisine d'une maison high-tech, avec l'intention de partager un apéritif.

XAVIER M. : – Impressionnant ! Toute cette machinerie à votre service, quel attirail !

CLAIRE P. : – Ça facilite tellement la vie ! Fini le temps passé à nettoyer et à ranger !

ANTOINE P. : Incroyable comme on dérange et salit derrière soi ! On dirait que vivre n'est qu'un dérangement permanent.

CLAIRE P. : Grâce à ces appareils, même nos soucis disparaissent !

ANTOINE P., facétieux : – Regardez ! Oh, j'ai laissé tomber des cacahuètes par terre ! Comme je suis maladroit !

Un robot aspirateur arrive aussitôt et enlève les cacahuètes tombées par terre.

MARION M. : – Ma-gique ! Tout simplement ma-gique !

ANTOINE P. : – Mais non, aucune magie dans tout ça : de la technologie ! Des capteurs, dissimulés dans les rainures de porte, les chanfreins de meubles, invisibles, à l'affût de toute anomalie. Une mouche ? Hop, aspirée, broyée, anéantie. Un zeste de citron par-dessus le verre de mojito, sur le carrelage ? Aussitôt nettoyé avant qu'on glisse dessus et qu'on tombe sur le coccyx. J'arrive dans une pièce, un éclairage tamisé s'enclenche immédiatement, comme autrefois les hallebardiers allumaient les torches au passage du suzerain (il mime l'arrivée d'un roi). La température s'adapte automatiquement, en fonction des vêtements que nous portons. Si je viens nu dans la cuisine en pleine nuit (gloussements des invités), le sol chauffe mes pieds, l'air ambiant devient mon vêtement. Le frigo détecte le yaourt manquant et le commande. Et si nous disons quelque chose comme : « ll y a longtemps que je n'ai pas mangé des gambas à la mayonnaise. » Les crustacés sont livrés dans la journée, dans les proportions exactes à nos besoins ! »

(exclamations des invités)

CLAIRE P. : – Fini ces questions matérielles superflues héritées de l'homme de Cro-Magnon. Nous pouvons enfin nous concentrer sur le plus important (un temps : les invités réfléchissent) : nous-mêmes. (acquiescement des invités) Grâce à ce nouveau temps libre, j'ai pu m'inscrire à un atelier de bien-être.

MARION M. : – Tu ne m'avais pas dit, Claire ! C'est formidable. Et ça consiste en quoi ?

CLAIRE P. : – C'est très varié, très enrichissant. Par exemple, nous nous reconnectons à la nature en caressant des plantes. Nous faisons tinter une cloche, puis nous cherchons l'épaisseur du silence comme la continuité de cette vibration. Nous apprenons aussi à absorber positivement les agressions du quotidien en imaginant ces tracas vêtus d'habits de clown. C'est très efficace.

MARION M., sceptique : – Très intéressant !

CLAIRE P. : – Ça me fait tant de bien, si tu savais, Marion. Avant, je pleurais souvent sans raison. En traversant une pièce, je me mettais à pleurer, comme ça, pour rien. Maintenant, je ris tout le temps. J'imagine des clowns un peu partout et je ris !

ANTOINE P., gêné, qui cherche à détourner la conversation : – Regardez ! Regardez ça ! Nous pouvons obtenir instantanément la réponse à n'importe quelle question. Par exemple (il s'adresse au plafond) : « Quelle est la date du premier pas de l’homme sur la lune ? »

Des haut-parleurs diffusent la réponse : « Le 20 juillet 1969, la mission Apollo 11 amène Neil Armstrong puis Buzz Aldrin à effectuer les premiers sur la lune. »

MARION M. : – Épatant !

XAVIER M. : – Attendez, attendez ! Je vais essayer de piéger votre maison. Écoutez-ça :

« Comment... euh... Comment résoudre le problème du chômage en France ? »

Voix dans les haut-parleurs : « Le problème du chômage peut être résolu grâce à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande d'emploi, à la fois en termes de compétence, par la formation, et géographiquement, en facilitant la mobilité. Le travail peut aussi être mieux réparti, par exemple en réduisant le temps de travail, ou en dispersant et diversifiant les bassins d'emplois. Cela doit s'accompagner d'une harmonisation des normes sociales internationales afin de ne pas créer une distorsion de concurrence qui déplace la production à l'étranger. Les questions des infrastructures de transport et de télécommunications doivent également être prises en considération. Cependant, l'emploi doit aujourd'hui également dépendre de critères de qualité de vie et de préservation des ressources naturelles et de l'environnement. »

Ils rient.

ANTOINE P. : – Ça te cloue le bec n'est-ce pas ?

XAVIER M. : – Ta maison devrait gouverner ce pays ! On s'en sortirait mieux qu'avec tous ces guignols au gouvernement !

Un grand flash surprend les visiteurs.

MARION M. : – Qu'est-ce que c'est ? Vous avez vu, comme un flash...

CLAIRE P., gênée : – Dis-leur Antoine.

ANTOINE P., confus et grave : – Oui... excusez-moi, j'ai oublié de vous avertir. Un aléa technique. Un problème de paramétrage du logiciel domotique. C'est tout bête, voyez-vous : le logiciel chinois a été installé par erreur en version d'origine, pas en version européenne. Il est donc programmé pour détecter toute dissidence politique. Et là, Xavier, tu viens de te faire flasher.

XAVIER M. : – Flashé ? Comment flashé ? Parce que j'ai traité le gouvernement de guignols ?

Le flash recommence.

ANTOINE P. : – Voilà. Tu viens d’être reflashé.

XAVIER M. : – Ça, c'est la meilleure ! Flashé pour ça !

ANTOINE P., désolé : – Il... il faut qu'on arrive à paramétrer correctement ce logiciel – c'est trois fois rien –, mais la notice est en Chinois, en Mandarin plus exactement, et Claire et moi, nous ne sommes pas encore au point, en Mandarin. Un technicien devait passer la semaine dernière, mais il a eu un contretemps. Il s'est ébouillanté sous sa douche automatique. C'est juste l'affaire d'un réglage de deux minutes, nous a-t-on dit.

MARION M., inquiète : – On ne risque rien au moins, à se faire flasher ? Xavier ne va pas se faire arrêter ?

ANTOINE P., après un rire crispé : – Non, fort heureusement, non ! Nous ne sommes pas en Chine. Cependant... (il redevient grave) une amende sera prélevée sur votre compte.

XAVIER M. : – Une quoi ?

ANTOINE P. : – Une amende. Ne vous inquiétez pas, un remboursement sera effectué ultérieurement.

MARION M. : – Comment est-ce possible ?

ANTOINE P. : – Ce logiciel est très perfectionné. Il reconnaît votre visage, votre identité complète.

XAVIER M. : – Nom de Dieu !

Nouveau flash.

ANTOINE P., agacé : – Non, Xavier, non ! Il ne faut pas prononcer de juron en public. C'est interdit en Chine.

CLAIRE P. : – Je t'avais dit, Antoine, de ne pas inviter d'amis tant que ce problème n'était pas réglé. (aux invités) Il n'en fait toujours qu'à sa tête ! Il est toujours impatient de montrer ses nouveaux jouets ! (à Antoine) Voilà le résultat, Antoine : Xavier est devenu un délinquant !

ANTOINE P., agacé, en aparté à Claire : – Tout se passerait parfaitement sans juron et sans dénigrement des autorités.

XAVIER M., mécontent : – Et je vais être prélevé de combien ?

CLAIRE P. : – Quatre cents yuans par infraction.

MARION M. : – Et ça fait combien, quatre cents yuans en euros ?

Un haut-parleur dit : « Cinquante euros »

XAVIER M., très énervé, vers le plafond : – Toi, ta g. (Antoine met de justesse une main sur

la bouche de Xavier)

ANTOINE P. : – Chut ! Arrêtons les frais !

XAVIER M. : – Ça veut dire que je vais être prélevé de. Cent cinquante euros ? (il prononce

la somme avec une rage contenue)

ANTOINE P., confus : – Oui. Pas d'inquiétude ! Je demanderai un remboursement. Ça prendra un peu de temps... Les administrations Chinoises sont un peu lentes et lointaines... Nous aussi, nous avons été flashés, au début, alors, depuis, en attendant la réparation, hein, nous faisons attention à ce que nous disons. Nous mesurons nos mots. D'ailleurs, c'est agréable de rester mesuré, courtois, n'est-ce pas Claire ? On ne vante jamais assez les mérites de la tempérance confucéenne, n'est-ce pas ? C'est apaisant. Cela apaise tellement, la tempérance ! Lao-Tseu disait : « Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage. » (gêné après coup par sa citation, et inquiet du visage de Xavier) Euh... non, je me suis trompé de citation. Lao-Tseu disait aussi : « Celui qui dirige les autres est peut-être puissant, mais celui qui s'est maîtrisé lui-même a encore plus de pouvoir. »

XAVIER M., dans une rage contenue mais croissante : – Alors comme ça on ne peut pas dire ce qu'on veut, ici ? C'est chouette vraiment !

ANTOINE P., confus : – Il faut juste s'habituer. Pas de jurons, pas de politique. C'est provisoire. Tout rentrera dans l'ordre ensuite. Hein ? Celui qui se maîtrise lui-même est le plus puissant, ne l'oublions pas !

XAVIER M., tel une cocotte-minute en train d'exploser : – Et vous trouvez ça normal ? On est en France, pays des droits de l'homme et des libertés, bordel ! Ils vont voir ce qu'ils vont voir, ces foutus Chinois !

Flash. Xavier prend une chaise et menace le plafond.

XAVIER M., enragé : – Il est où, ce connard d'ordinateur ? Où est-il ? Je vais lui faire sa fête !

Un jet de fumée est propulsé sur son visage.

XAVIER M. : – Bon sang de bordel ! Du gaz lacrymogène ! C'est un casus belli !

ANTOINE P. : – Il réagit contre la menace ! La maison est protégée contre les intrus ou la menace avec des gadgets très efficaces !

Des sirènes retentissent. Des lumières rouges clignotent. Ils toussent.

XAVIER M. : – Formons une barricade avec la table ! (ils renversent la table et se cachent derrière) Marion, mets de l'eau sur ton chandail et applique-le sur ton visage, ça piquera moins ! (au plafond) Vive le monde libre ! Vive la démocratie ! À bas la dictature ! Vive le Népal... euh, non, vive le Tibet libre ! (il se badigeonne le visage en guerrier avec de la tapenade)

Sirènes et fumées redoublent.

XAVIER M., qui a récupéré une bouteille de whisky : – As-tu un chiffon et un briquet ? Transformons cette bouteille en cocktail Molotov !

ANTOINE P. : – Tu... tu ne vas pas mettre le feu à ma maison tout de même ?

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