PREMIER ACTE
A l’ouverture du rideau, nous sommes un mardi dans une cuisine vieillotte. En plus d’une grande pendule qui indique tout juste 10 heures, tout est classique avec une table de cuisine, des chaises dont certaines sont dépareillées, des petites étagères pas très jolies et surtout un vieux buffet de cuisine qui a plus que fait son temps. Bref, du matériel de récupération mal assorti. Le buffet qui comporte un haut dispose de deux ouvertures battantes. Face au public, l’ouverture de droite a de toute évidence des soucis, d’ailleurs Manuel est là qui, de ses deux mains retient la porte pour ne pas qu’elle tombe. Il ne sait plus comment s’en sortir. C’est alors que Cynthia va arriver.
Manuel (Dans une fâcheuse posture puisqu’il retient de ses deux mains la porte du haut de buffet qui est prête à tomber. C’est alors que la sonnette retentit) – Hé mais comment je fais, moi. Zut. Si je lâche la porte … Elle tombe !
(Il fait alors plusieurs mouvements comme si son corps allait pouvoir se diviser en deux : une partie qui resterait à tenir la porte du placard et l’autre qui irait ouvrir la porte d’entrée. Après plusieurs tentatives et gesticulations, la sonnette retentit de nouveau, avec « énervement », Manuel finit se rendre compte que ce ne sera pas possible et crie donc)
Manuel (Criant vers l’entrée) – Ent… Ent… Entrez, c’est ouvert. Je ne peux pas me déplacer…
(La sonnette retentit une troisième fois avec plus d’insistance)
Manuel (Hurlant encore plus fort en direction de l’entrée) – Entrez, bon sang ! Puisque je vous dis que c’est ouvert…
Quelques instants plus tard, arrive Cynthia qui porte une valise plutôt imposante d’une main et de l’autre un petit paquet qu’elle va ensuite poser machinalement dans le buffet.
Cynthia (Posant sa valise debout bien en évidence sur la scène et allant faire la bise difficilement à Manuel compte tenu de sa position) – Salut Manuel. Qu’est-ce que tu fais, accroché à la porte du buffet ? Tu es resté collé ? Tu as mis trop de super glue ? T’as pas l’air bien, là…
Manuel (En panique) – Ce n’est pas moi qui suis accroché à la porte mais la porte qui est en train de se casser la figure par terre… J’ai eu tout juste le temps d’arriver avant qu’elle ne tombe…
Cynthia (Très moqueuse) – Et ça fait longtemps que tu es comme ça ? Parce que là, tu as vraiment l’air con !
Manuel – Merci, c’est toujours ça de pris. Tu ferais mieux de m’aider au lieu de me regarder avec tes grands yeux bêtes…
Cynthia – Je ne vais rester à tenir la porte à ta place quand même… Chacun son truc. Moi je suis vendeuse de fringues légères pour les gonzesses, à domicile, pas réparateuse (réparaTEUSE) de portes de buffet de cuisine. Les enfants ne sont pas là ? Ils auraient pu t’aider.
Manuel – Non. Ils sont chez mes parents. J’étais en train d’essayer de remettre cette porte lorsqu’elle s’est barrée de ses fermoirs. Si tu pouvais me donner mon tournevis, tu m’aiderais beaucoup Cynthia…
Cynthia – (Cherchant partout alentour l’endroit où peut se trouver le fameux tournevis) – Il est où ton tournevis ? Je ne le vois pas… D’abord il ressemble à quoi ton tournevis ?
Manuel (Un peu ennuyé) – Ben ça ressemble à un tournevis cruciforme tiens…
Cynthia – Quand tu dis cruciforme, c’est parce que c’est un tournevis qui sait faire les mots croisés ? Je ne savais même pas que ça existait…
Manuel – Mais non. C’est n’importe quoi. Cruciforme, c’est parce qu’il est en forme de croix… Je n’ai pas dit cruciverbiste…
Cynthia – Ah ! Ce n’est pas pareil ? Donc en fait le journal Lacroix devrait s’appeler le journal cruciforme et la lessive Lacroix et une lessive cruciblanchiste. Je comprends pourquoi ils ont préféré leur donner un autre nom…
Manuel – S’il te plaît Cynthia, de grâce, n’en rajoute pas… C’est déjà assez compliqué avec ma belle-doche…
Cynthia – De grâce, de grâce. Tu en as de bonnes toi. Je ne suis pas si grasse que ça. Garde tes réflexions pour toi mon petit Manu… Et qu’est-ce que tu as contre les dodoches. Elle est super cool cette vieille bagnole. Ca décapote, ça rebondit tout le temps, ça ne peut pas se renverser dans les virages, et dans les bosses, tu as l’impression d’aller au paradis tellement ça t’envoie en l’air… Si j’en trouvais une, je l’achèterais bien… Mais je pense que c’est une auto de collection maintenant. Je crois que dans le temps, les bonnes sœurs roulaient en dodoche.
Manuel – Oui, ben je te donne la mienne de belle-doche, elle a exactement les qualités que tu viens de dire. En plus, elle aussi est du siècle dernier. Et pour rouler, je peux te dire qu’elle roule. Elle n’arrête pas de me rouler… Heureusement pour moi, elle passe pas le quarante… Et ce n’était pas non plus une nonne !
Cynthia – Tu es sûr qu’on parle de la même chose, Manuel ?
Manuel – Oui. C’est la bonne description que tu viens de faire ma Cynthia. La bonne. Hélas. Quant à décapoter, ça, je ne sais pas…
Cynthia – Je sens que ça dérape, là. Il est où ton tournevis qu’on en finisse…
Manuel – Décidément, ce n’est pas mon jour de chance. Entre toi qui fais exprès de ne rien comprendre et la belle-doche…
Cynthia – Parle-moi de ton petit tournevis, qu’on avance un peu. Il est où. Tu ne veux pas me le dire ou quoi ?
Manuel - Il est dans ma poche arrière. Je l’avais mis là pour pouvoir m’en servir plus facilement.
Cynthia (Un peu à contrecœur et tapotant très timidement le derrière de Manuel) – Désolée mais il faut que je mette ma main dans ta poche…
Manuel (Rectifiant la position de la poche) – Il est dans l’autre poche. De l’autre côté !
Cynthia (Très hésitante) – Ah ! Alors voyons donc…
Cynthia vient donc trifouiller dans l’autre poche arrière de Manuel. Celui-ci a alors une réaction plutôt bizarre…
Manuel (Etonné) – Euh en fait Cynthia, finalement, je crois que c’est quand même dans l’autre poche…
Cynthia – C’est pour ça que je ne trouve pas. Je me disais aussi…
Manuel – Ecoute, tiens la porte et moi je vais la réemboîter dans la charnière.
Cynthia – Je n’ai pas de poche, donc je ne peux pas mettre de tournevis dans mes poches moi !
Manuel – Ah, si Noémie était là, elle aurait pu nous aider. Mais elle est partie consulter et en général son médecin a toujours une plombe de retard. Donc, si tu veux bien venir à ma place pour tenir la porte. Ne t’inquiète pas ! Elle n’est pas lourde du tout mais faut juste bien rester calé. Pendant ce temps moi je vais te serrer la vis…
Cynthia fait le tour et prend la place et la position de Manuel pour tenir la porte, en râlant bien sûr. Manuel va alors se pointer dans le dos de Cynthia pour venir, par-dessus son épaule, tenter de remboîter une charnière… La position doit paraître inconfortable pour l’un et pour de telle sorte que la situation paraisse marrante…
Cynthia (Qui fatigue et qui se déplaît dans cette position) – Dépêche-toi. Je vais tout lâcher si tu ne te magnes pas.
Manuel – Surtout ne bouge pas. Sinon mon tournevis va déraper…
Cynthia – Arrête de me parler de ton tournevis s’il te plaît. J’ai des mauvais souvenirs.
Manuel (Eclatant de rire et nargueur) – Menteuse !
A cet instant, Noémie entre brutalement et trouve donc Manuel et Cynthia dans cette drôle de position.
Noémie – Ben ça va tous les deux ! Ne vous gênez pas ! Faites comme si je n’étais pas là !
Manuel (S’enfonçant plus qu’il ne se défend) – Mais d’habitude tu es toujours en retard lorsque tu vas chez le docteur Noémie…
Cynthia (S’énervant et s’emmêlant) – Alors, tu vas y arriver avec ton petit tournevis ?
Noémie – Mais vous allez arrêter tous les deux. Je suis là quand même ! Je te rappelle que je suis ta femme Manuel !
De fait, Manuel se retire de sa position et Cynthia arrête de maintenir en l’air la porte. Elle redonne donc la fameuse porte à Manuel pour qu’il s’en charge.
Cynthia – Tiens tu te débrouilles avec ta porte. Je peux te dire que tu ne me la referas plus celle-là.
Noémie – Comment ça il ne te la refera plus. Vous étiez en train de faire quoi là ?
Manuel – Mais chéri ! Tu sais bien que la porte ne tenait plus. Juste avant que Cynthia n’arrive, la porte a failli tomber par terre. J’ai juste eu le temps de la rattraper. Comme j’avais justement un tournevis dans ma poche…
Cynthia – Oui ! Oh pour le coup du tournevis… ! Ce n’est pas la peine d’en rajouter. On a compris…
Noémie (atterrée) – On a compris quoi… ?
Manuel – Euh… J’ai… Voulu… Alors en fait… Mais comme j’avais le tournevis et que j’étais en train d’insérer le bout dans la fente de la charnière…
Noémie – Arrête ! Tu t’enfonces et tu m’énerves.
Cynthia – Oui ! Là je crois que tu aggraves ton cas…
Manuel – Ah ! Tu crois ?
Noémie – C’est bon, j’ai compris. Je ne suis pas idiote non plus. Si vous vous étiez mis chacun d’un côté de la porte, vous n’en seriez pas arrivés à cette situation ridicule… Ca tombe sous le sens.
Manuel – Mais chérie je te jure. Ce n’est pas ce que tu crois…
Cynthia – Il n’y a rien à croire Noémie… C’est quoi cette salade ? Je suis venue pour te montrer les modèles que j’allais mettre en expo quand on va faire notre réunion de samedi prochain… Mais Noémie a raison, pourquoi tu m’as fait tenir la porte de ce côté Manuel ?
Noémie – Oui mais là tu vois Cynthia ! Je n’ai pas le temps. Je suis revenue parce que je me suis aperçue que j’avais oublié par carte Vital pour la sécu. Je suis à la bourre. Je repars. A tout à l’heure Bichouquet.
Après avoir fouillé dans un tiroir et en avoir extrait une espèce de portefeuille contenant divers papiers de sécu qu’elle plonge immédiatement dans son sac, Noémie se prépare à repartir.
Manuel – Ah ! Tu n’es pas encore passée chez le médecin.
Noémie – Non. Mais ce n’est pas grave car il a toujours une plombe de retard. J’y vais et je vous préviens… Tous les deux, je vous surveille.
Cynthia – Mais je n’ai rien à me reprocher Noémie. C’est ton mari qui me met dans l’embarras.
Noémie quitte la scène tandis que les deux autres restent très indécis sur ce qu’ils doivent faire. Puis, au bout d’un moment, alors que Manuel a toujours la porte dans les mains…
Manuel – Du coup je ne sais pas ce que je fais avec ça moi !
Cynthia – Là, avec Noémie, tu n’as pas eu le droit à « mon petit Bichouquet » hein ! Tu veux que je te dise : t’as l’air franchement nounouille avec ta petite porte dans les mains. Tu ne vas pas rester à la tenir comme ça jusqu’à la saint glin glin…
Manuel – Euh non. Tu as raison… Et puis Noémie m’appelle son petit Bichouquet en privé, pas devant tout le monde je te ferais remarquer !
Manuel décide d’aller poser la porte par terre plus loin dans un coin de la cuisine où elle ne va pas gêner.
Cynthia – Au fait, vous ne deviez pas changer votre cuisine et en avoir une toute nouvelle ?
Manuel – Si. L’installateur doit passer aujourd’hui pour nous confirmer que tout est ok et qu’ils arrivent demain pour commencer à bosser.
Cynthia – Vous ne faites aucun déménagement ? C’est eux qui démontent tout ? Comment ça se passe au juste ?
Manuel – On attend le dernier moment avec Noémie car on sait comment ils sont ces installateurs. Ils te disent oui et puis au dernier moment ils te reculent tout de 15 jours.
Cynthia – Ah bon ! Mais vous ne refaites pas la déco, la peinture ? Les étagères par exemple et tout le reste, vous enlevez tout au dernier moment aussi ?
Manuel – On a vu avec Noémie. Finalement il n’y a que ce petit buffet à vider et quelques étagères à démonter. On a déjà viré le superflu dans des cartons qui sont au garage.
Cynthia – Elle sera comment votre nouvelle cuisine ? Tu as des photos ou un plan à me montrer ? Ca doit être sympa.
Manuel – Noémie ne t’avait pas montré le schéma et la projection par ordinateur que la vendeuse avait réalisé ?
Cynthia – Ben non ! Tu sais on ne se voit pas tant que ça avec Noémie. Elle a son job. J’ai le mien…
Manuel – Bouge pas deux secondes, je vais te chercher les photos. Elles sont dans la salle à manger.
Manuel sort pour quelques instants. Cynthia en profite pour rapprocher sa valise et la poser sur la table de la cuisine. La valise est posée de telle sorte que l’ouvrant se fasse face au public. Ainsi on peut mettre en avant tout les délires possibles (selon choix du metteur en scène).
Cynthia (A elle-même) – Qu’est-ce que j’ai encore fait du paquet bleu ?
Manuel (Revenant avec un dossier qu’il présente à Cynthia) – Voilà ! Tiens, tu vois, ça donnera ça lorsque ce sera terminé !
Cynthia (Qui regarde mais avec éloignement et sans intérêt) – Ah oui. Ca fera joli. (Sortant de la valise un soutien-gorge de grande taille déployé qu’elle passe à Manuel) Tu peux me tenir ça deux secondes s’il te plaît ?
Manuel – Euh ! Attends, je pose mon dossier. (Puis saisissant du bout des doigts le soutien-gorge en l’affichant bien face au public et déconnant) C’est le tien ?
Cynthia (Relevant le nez de sa valise et n’appréciant pas vraiment la plaisanterie) – Non mais tu as vu la taille ? Comment veux-tu que je mette un truc pareil ?
Manuel (Déconneur) – Ce n’est pas ma taille non plus. Je vais devoir te le rendre.
Cynthia – Attends. C’est un nouveau produit que je dois vendre. Je ne l’ai vu que tard le soir à la lueur des néons. Approche-toi de la fenêtre que je vois ce que ça fait à la lumière du jour !
Manuel – Alors vous les gonzesses, il vous en faut des explications. (Avec beaucoup d’insistance) Qu’est-ce que c’est moche ce truc. Ca ne me viendrait pas à l’esprit de mettre ça.
Cynthia – Je veux bien essayer de t’en vendre un mais je ne sais pas ce que tu vas en faire ! T’as pas assez de seins. (Puis professionnellement, regardant le soutien-gorge sous différents aspects) Hummm ! Faut que j’améliore la présentation.
Manuel – Présentation ou pas, ça ne va pas changer sa couleur horrible !
Cynthia – Oui. Mais attend, on n’est pas en condition réelle. Enfile donc le soutien-gorge deux secondes pour que je voie ce que ça fait une fois posé sur une poitrine !
Manuel (Rejetant littéralement le soutien-gorge dans les mains de Cynthia) – Non mais tu rigoles j’espère ?
Cynthia – Manuel ! Enfin ! Tu peux bien faire ça pour moi. C’est mon gagne-pain… J’ai besoin d’en vendre plein moi…
Manuel – Je ne vois pas qui peut acheter ça, à part les vieilles mémés de 45 ans !
Cynthia – On n’est pas vieux à 45 ans ! Qu’est-ce que tu me fais là.
Manuel – Pour un homme non, mais une femme…
Cynthia – Tu vas te faire des ennemies dans la salle toi…
Manuel – M’enfin tu te rends compte que si quelqu’un me voit avec un soutif je vais avoir l’air de quoi moi ? Tu imagines si quelqu’un prend des photos ?
Cynthia – Des photos ? Tu viens de me dire que Noémie ne va pas revenir de sitôt et que tes enfants sont chez tes parents… Je ne vois pas où est le risque… Allez, s’il te plaît, soit sympa…
Manuel (Hésitant mais finalement trouvant ça drôle) – C’est bien pour te faire plaisir ! (Après un temps) Si on m’avait dit qu’un jour je me retrouverai dans la peau d’une meuf !
Cynthia – Oui. Enfin n’exagérons rien… Allez ! Enfile que je me rende...