Le public entre sur des chansons pop, uptempo.
Sur scène, il y a quatre chaises assorties et un tabouret de bar. Sur le tabouret, il y a un livre de sudoku, un petit carnet, un stylo et un bol de raisins.
Les meubles vont être changés de place au fur et à mesure pour créer les différents décors.
Elle porte un mug et boit.
Actrice — Ça va ?
(Impro avec le public.)
Alors… Je m’étais promis de ne jamais raconter cette histoire.
Et puis un soir, je suis sortie boire des coups avec une productrice, et elle m’a dit : « Ne jamais raconter cette histoire ? Mais… tu devrais écrire un spectacle dessus ! »
J’étais bourrée, j’ai signé un contrat, me voici.
(Faisant référence aux chaises et au tabouret sur scène.)
Là, ce sont mes éléments de décor extrêmement sophistiqués.
(Montrant le livre, le carnet et les raisins.)
Là, ce sont mes accessoires extrêmement sophistiqués aussi et néanmoins délicieux.
(Elle s’approche de quelqu’un dans le public et lui propose des raisins.)
Vous aimez les raisins ? Vous en mangez ? Bien. C’est bien. C’est bon pour vous.
(À quelqu’un d’autre.) Pour vous, c’est très bon… Ça aide à la circulation du sang dans les artères.
Ironiquement, ça tue aussi les chiens. Je ne veux pas dire que ça tue les chiens de façon ironique, mais c’est juste que… tout dans la vie est à double tranchant.
(Remonte sur scène et repose le bol.)
Quand j’ai interrogé ma cardiologue, le Dr Capucine, sur les effets bénéfiques des raisins sur la santé, elle m’a dit… (Avec un accent québécois.) « Vous aimez tu ço l’raisins ? » J’ai dit : « Oui. » Elle m’a dit : « Ben lo, mange-les donc. Placebo effect. Lo qu’votre esprit pense qu’ço vous fait du bien, fait que, ço vous fait du bien. »
Donc, je mange des raisins.
(Puis se replace au centre.)
Alors… Pour le début de mon spectacle, mon inspiration c’était Mylène Farmer. Quand j’étais enfant, pour moi, Mylène Farmer c’était le must ! Je suis allée la voir en concert — elle a fait son entrée en sortant du sol. Il y avait un gars, backstage, qui appuyait sur un bouton et bam ! elle apparaissait, éblouissante, dans une combinaison à paillettes Jean Paul Gaultier.
(Faisant le tour en dansant, une fois en fond de salle.)
Là, on imagine que c’est le sol.
(Chantant comme Mylène Farmer, en faisant sa fameuse moue.)
JE JE SUIS LIBERTINE, JE SUIS UNE CATIN.
Et le public devient fou ! Woohoo !!!
(Réactions du public.)
Voilà. C’est comme ça que je voulais commencer mon spectacle. Avec Mylène Farmer qui sort du sol.
Malheureusement, elle n’était pas libre, mais son agent a dit qu’elle était très flattée que je fasse la demande.
Je plaisante…
(Regarde autour d’elle sur scène.)
Non, comme vous pouvez voir, mon spectacle est beaucoup plus minimaliste. Ce soir, je vais vous demander de faire appel à votre imagination. Voyez plus loin que ces accessoires de théâtre. Voyez plus loin que les murs, la ville, la Seine. Mesdames et messieurs, ce soir, je vous emmène…
(Elle retourne fond de scène, ouvrant les bras vers le mur du fond. Projection : une carte postale de Honfleur.)
À Honfleur ! En Normandie.
(Elle crée un lit en utilisant deux chaises, s’assoit.)
Nous sommes dans un hôpital.
(Effet sonore : une ambiance discrète d’hôpital.)
Je suis allongée dans un de ces lits qui monte et qui descend, ce qui veut dire que, moi aussi, pendant le spectacle, je vais pouvoir m’élever comme Mylène Farmer.
(Elle fait semblant d’appuyer sur un bouton, fait le son d’un lit qui monte, puis chante à la manière de Mylène Farmer.)
JE JE SUIS LIBERTINE, JE SUIS UNE CATIN.
Et le public devient fou ! Woohoo !!!
(Réactions du public.)
(Avec fausse modestie.) Oooh… Merci !
(Effet sonore : le son de l’hôpital shunte.)
Imaginez que je porte une de ces affreuses tenues d’hôpital, sauf que sur celle-ci on aura ajouté des petites paillettes collées un peu partout, comme un clin d’œil à Jean Paul Gaultier.
Je suis couverte de tubes et de fils.
Sur cette main, j’ai une perfusion ; et sur cette main, j’ai une de ces petites pinces, qui enserre mon doigt et qui est reliée à une machine. Ça surveille un truc… qui a un rapport avec le cœur… En fait, je n’ai aucune idée de ce que ça fait. Quelqu’un ici travaille dans un hôpital ?
(Interaction improvisée avec le public.)
En gros, ça dit aux infirmières que je suis toujours vivante.
Ah !… Et une fois… OK, donc une fois, il y a cette infirmière qui s’énerve très fort sur moi, parce qu’à chaque fois que quelqu’un me rend visite et que je rejoue ce qui m’est arrivé…
(Gesticulant, en surjouant, avec son bras.)
« Je veux vivre, vivre, vivre ! » Cette petite pince de doigt s’envole, et les infirmières doivent laisser tomber ce qu’elles font pour venir vérifier si je suis toujours vivante.
Et donc, cette infirmière me dit… Elle dit… « Madame, vous devez arrêter de surjouer », alors je lui réponds « je ne peux pas m’en empêcher, je suis actrice », et là elle dit « eh bien, pas une très bonne, alors ».
Je sais ! Les infirmières normandes sont des salopes.
(Elle « appuie sur le bouton », fait le son du lit qui redescend.)
J’ai fait une crise cardiaque…
Pas le genre de crise cardiaque qu’une vieille femme peut déclencher quand elle est dehors à faire son jardinage. Non, il n’y a rien qui cloche avec mon cœur, ça a à voir avec mes artères.
J’ai fait le genre de crise cardiaque que peut avoir un athlète. Ooooh… Je sais, j’ai fait une crise cardiaque athlétique.
C’est quand les plaquettes s’empilent dans votre artère, et que votre corps voit ça comme un corps étranger, alors il crée une croûte par-dessus — eh bien, cette croûte peut se décoller et… ding, ding, ding ! 100 % de blocage ! C’est la crise cardiaque la plus mortelle de toutes.
« La faiseuse de veufs », comme nous a dit, à ma chérie et à moi, une infirmière très gentille, mais très bavarde et sans filtre, qui ressemble à Maïté, mais en blouse.
Elle se lève et se transforme en infirmière Maïté. Elle parle avec un accent du Sud.
Maïté — Waouh, Poupette, tu as de la chance d’être encore en vie. Tu as eu « la faiseuse de veufs », 90 % des gens meurent de « la faiseuse de veufs ». J’ai une amie, son mari, il était sur la plage en train de courir, bam ! il est tombé raide mort. Devant les enfants. Le jour de la fête des Mères. Je suis surprise que tu sois pas morte ! (Elle s’assoit sur le lit.)
Actrice — « Je pense qu’on a bien compris, là. » Je regarde Mathilde — c’est comme ça que s’appelle ma chérie, qui est devenue ma femme depuis. Son visage est figé, stoïque.
Maïté — Tu as une bonne étoile, hein !
Actrice — « Je sais. »
Je serre très fort la main de Mathilde. Elle me regarde avec ses yeux de petit chaton, et je réalise à quel point je suis chanceuse de l’avoir dans ma vie.
(Avec une émotion grandissante.)
Oui, enfin, bref, bla-bla-bla bla-bla-bla, vous l’aurez compris, c’est une super meuf. Tout le monde adore Mathilde !
Vous voulez voir une photo d’elle ?
(Elle agite sa main au-dessus du téléphone, comme une magicienne.)
Par les pouvoirs de la technologie moderne…
(Elle lève son regard vers le régisse