Le Premier Homme

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Lui est prof de philo. Maître de la pensée et du verbe, habitué à discourir sur la sagesse et la vanité des choses, content de son quotidien en somme. Elle est cheffe d’entreprise. Elle mène de front une vie de décisions, d’action, et aussi de mère et femme « parfaite » facilitant la vie de tous, sans qu’aucun des membres de la famille n’en ait vraiment conscience. Tout est normal. Et puis… Elle est nommée ministre. Presque par accident, pense-t-on, ou par jeu politique – il faut bien mettre des femmes, n’est-ce pas ? –, à l’occasion d’un remaniement qui a conduit le président en place à puiser dans le vivier de la société civile. L’irruption inopinée de la politique dans leur quotidien va rebattre les cartes de leurs identités masculines féminines… et politiques ! Il va devenir « le premier homme », comme d’autres « la première dame ». Bref, ça va piquer…

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Scène 1

Intermède 1

Lumière sur lui.

Lui En fait non, ce n’est pas mon premier livre, c’est le second : j‘en avais écrit un sur Spinoza et la question, bien sûr brûlante, du libre arbitre. Pourquoi les hommes se battent-ils pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur liberté ? Mais passons. Ce qui vous intéresse, si je comprends bien, c’est de savoir à quel moment notre relation a dérapé…

Noir. Il va s’asseoir dans un fauteuil et lit.

Lumière. Elle entre.

Lui Salut, baby…

Elle Tu as couché les enfants ?

Lui (Surpris.) Ah non, flûte… En même temps, ils ont dix-sept et dix-huit ans, ils sont allés au lit tout seuls.

Elle Oui… Ils dorment ?

Lui Comme des loirs. À moins qu’ils ne fassent semblant.

Elle Tu ne devineras jamais qui vient de m’appeler…

Lui Ta mère ?

Elle Non.

Lui Ça ne peut pas être ton père, il est mort.

Elle Le président.

Lui Le président est mort ?

Elle Arrête de jouer au con. Le président de la République vient de m’appeler.

Lui Et il voulait savoir si les enfants étaient couchés ?

Elle Pourquoi il aurait voulu savoir ça ?

Lui Oui… Mais toi ? Pourquoi tu voulais le savoir ?

Elle Je voulais d’abord te parler. C’est sérieux. Enfin, ça peut le devenir.

Lui Ne me dis pas que tu couches avec ce con ?

Elle Tu parles du président de la République.

Lui Ton président, pas le mien.

Elle Le jour où ton crétin de gauchiste sera élu, j’aurai l’élégance de l’appeler « monsieur le président ».

Lui Mmmh. Tu auras surtout transféré vite fait tous les avoirs de ta société au Botswana.

Elle Déjà, ce n’est pas un paradis fiscal.

Lui Ça devrait. Avec un joli nom comme ça.

Elle Tu ne veux pas savoir ce qu’il m’a dit ?

Lui Ton amant ? Non ! Je le trouve insupportable.

Elle Il m’a proposé…

Lui (La coupant.) Attends… Vous vous êtes rencontrés où ? Au pot de départ du maire de Neuilly ?

Elle Je ne crois pas que le président assiste à ce genre de festivités.

Lui Un type aussi clientéliste que lui ? Rater une occasion de faire un bisou à ses copains du CAC 40 ?…

Elle Je n’y suis pas allée non plus.

Lui Ben alors d’où tu rentres, à 1 heure du matin ?

Elle Je suis restée au bureau. Il fallait que je réfléchisse.

Lui Qu’est-ce que tu essayes de me dire ? Que tu me quittes ? Pour ce tordu ?

Elle Arrête, tu m’énerves ! D’abord, il est intelligent…

Lui Tu trouves ?

Elle Et ce n’est pas ce genre d’aventure qu’il me propose.

Lui Je te le disais, c’est un con. Un type qui n’est pas amoureux de ma femme est un nul ! Alors, il propose quoi, le petit chéri ?

Elle Il propose un ministère.

Lui À qui ?

Elle À moi !

Lui Pardon ?

Elle Oui, il va y avoir un remaniement…

Lui J’ai vu ça dans le journal… La vache… Il est aux abois, ton petit génie.

Elle En tout cas, il a pensé à moi.

Lui Ce qui prouve qu’il est au bout du rouleau.

Elle Je te remercie. Tu deviens gracieux avec l’âge.

Lui C’est pas ce que je veux dire. Tu es une femme géniale, je t’aime, mais tu n’es pas politique.

Elle Tu te rends compte que tu t’enferres, là ?

Lui Baby, tu t’engueules avec tous ceux qui ne sont pas de ton avis.

Elle Je ne m’engueule avec personne ! Je me permets juste de faire observer à tes copains attardés que la gauche est en miettes et qu’il serait temps qu’ils grandissent.

Lui La gauche en miettes… Tu as raison, tu es fin prête pour les débats à l’Assemblée… En tout cas, je comprends que tu aies eu besoin de réfléchir : faut trouver les mots justes pour arriver à dire non sans être blessante.

Elle C’est plutôt pour t’en parler à toi que j’ai cherché les mots justes.

Lui Comprends pas.

Elle J’ai envie d’accepter.

Lui D’être ministre, de droite ? Tu me charries.

Elle Droite modérée.

Lui Explique ça aux enfants, ils me trouvent déjà pas assez à gauche à leurs yeux. Tu réalises que si tu acceptes, ils vont déménager ?

Elle Il serait peut-être temps, non ?

Lui Ne dis pas n’importe quoi : tu étais à deux doigts de pleurer quand ils sont partis un mois à Londres.

Elle De joie. J’ai failli pleurer de joie ! Écoute, je vois ce que tu es en train de faire avec tes arguments sur les enfants mais, un, ils partiront bien un jour, c’est comme ça, et deux, personne ne m’empêchera de vivre ma vie. Est-ce que tu te rends compte de l’opportunité que ça représente, devenir ministre ?

Lui Pas bien, non. Personne ne me l’a proposé, à moi.

Elle Pourquoi voudrais-tu qu’on te le propose ?

Lui Parce que…

Elle Oui ?

Lui Déjà, je suis philosophe.

Elle Oh ! putain, ça y est, la philo !

Lui Ben oui, c’est utile. Et… il y en a eu ! Tiens, Luc Ferry !

Elle Je l’avais oublié, celui-là. Tu peux me rappeler ce qu’il a fait en tant que ministre de la Jeunesse et de l’Éducation ? Demande aux enfants.

Lui Pas grand-chose…

Elle Pour être ministre, faut décider, pas tourner autour du pot. Faut pas être chercheur, faut être trouveur. Moi, je suis trouveuse. (Elle se reprend.) En fait, c’est ça qui te choque ? Qu’on me l’ait proposé à moi ?

Lui Ça ne me choque pas, baby. Ça m’étonne, voilà.

Elle Ne m’appelle pas baby quand on s’engueule, ça m’horripile.

Lui Ça m’épate juste que le président ait pensé à toi plutôt qu’à quelqu’un de son parti.

Elle Mais je suis de son parti.

Lui Tu m’as dit toi-même être allée quatre fois à des réunions politiques.

Elle J’aurais pu être plus précise, c’est vrai. J’y suis allée quatre fois par mois.

Lui Depuis quand ?

Elle Depuis son élection.

Lui Ça fait huit ans ! Vous vous connaissez, tous les deux ?

Elle Non. Enfin si, quand même… On s’est croisés.

Lui Et tu ne m’as rien dit ?

Elle Tu passes ton temps à ricaner dès que tu l’entends. Tu trouves qu’il parle comme un curé… C’est pas faux, d’ailleurs. Sauf que moi, je le lui ai dit. Je crois que c’est ce qu’il a apprécié : ma franchise ! C’est même peut-être ce qui me vaut un ministère.

Lui Ta franchise ?

Elle (Poursuivant.) Tu dis que tu as rarement vu quelqu’un d’aussi intelligent être aussi con, je ne pouvais pas deviner que ça te ferait plaisir d’avoir sa photo dédicacée.

Lui Ta franchise ?… Mon amour, je t’aime, tu es la femme de ma vie malgré tes...

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