Nuit de crosses
Comédie d’Eric Hubert
erichubert05@yahoo.fr
Tél : 00 352 621 623 045
DISTRIBUTION
( 3 femmes et 6 hommes, par ordre d’entrée en scène)
PATRICK
STEPHANIE
PIPO
NATHALIE
BENJAMIN
MARCEL
Luigi
Hélène
Dr Knud
Un studio au mobilier minimaliste dont le décor laisse supposer qu’il appartient à un adulescent. Une porte d’entrée occupe le centre du fond de scène. Un grand sofa à la propreté douteuse est installé côté cour ; à ses pieds, un tapis imposant étend ses motifs. Une porte donnant sur la salle de bains fait face à ce sofa, côté jardin. Deux portes supplémentaires – l’une menant à la cuisine, l’autre à la chambre – ainsi qu’un placard et une commode exotique, viennent parfaire le décor.
ACTE PREMIER
SCENE PREMIERE (PATRICK, STEPHANIE)
Patrick et Stéphanie, en costume et robe de mariés, entrent sur scène par la porte d'entrée du studio.
PATRICK
Tu as vu ces deux filles ? Tu crois qu'elles habitent l'immeuble ?
STEPHANIE
Tu veux déjà me rendre jalouse ?
PATRICK
Ça doit être des étrangères, je parie pour des Suédoises.
STEPHANIE
Retirant son manteau de fourrure blanc Parce qu'elles sont blondes ? Quel cliché !
PATRICK
Elles n'avaient pas l'air françaises. D'ailleurs... Elles ne m'ont pas reconnu.
STEPHANIE
Quelle humilité! Monsieur n'imagine même pas que des compatriotes puissent ne pas le connaître. Elles ne regardent peut-être jamais le journal télévisé; ou alors celui d'une autre chaîne, ou alors elles s'intéressent plus aux informations qu'à celui qui les présente.
PATRICK
Avec mon physique... impossible !
STEPHANIE
Tu n'es qu'un sale macho.
PATRICK
C'est pour ça que tu m'as épousé ! Ils s'embrassent
STEPHANIE
Tu ne vas tout de même pas dormir avec ?!
PATRICK
De quoi tu parles ?
STEPHANIE
Désignant l'attaché case que Patrick a en main De ton bureau portable !
PATRICK
Posant son gsm et sa mallette sur la commode. Il ouvre cette dernière Ma trousse de survie, tu veux dire ! Il sort un détecteur de micro et le passe un peu partout dans la pièce Alors, c'est ça le petit appartement discret de ton frère ?
STEPHANIE
T'imaginais quoi, une annexe du Ritz ? Il est loin de gagner cent mille euros par moi, lui.
PATRICK
Chut ! Je t’ai déjà dit : pas de chiffres !
STEPHANIE
Très bien. Il est loin de gagner l’équivalent d’une voiture de sport par mois, lui.
PATRICK
Entrouvrant la porte de la cuisine Ça se voit.
STEPHANIE
Tout le monde n'a pas ta chance.
PATRICK
La chance ? Je parlerais plutôt de talent. Je me suis fait "myself", moi, sans l'aide d'une mère propriétaire de plusieurs grands vignobles dans le Bordelais.
STEPHANIE
Nous avons toujours subvenu seuls à nos besoins ma soeur, mon frère et moi, sans compter sur le patrimoine familial. D'ailleurs jusqu'à aujourd'hui, le seul membre de la famille intéressé par l'acquisition de parts dans la société... c'est vous, monsieur Patrick !
PATRICK Ouvrant la porte de la salle de bains. Une musique indienne et la lumière se déclenchent à l'ouverture. Il ferme la porte, la musique s’arrête. Il rouvre, la musique se déclenche à nouveau... et ainsi de suite Qu’est-ce que c’est que ça ?
STEPHANIE
La salle de bains musicale de mon frère, entièrement insonorisée. La musique et l'interrupteur se déclenchent avec l’ouverture de la porte. Il a tout conçu lui-même.
PATRICK
Y aurait-il un génie dans la famille ?
STEPHANIE
Il n’y a que ça ! Pas de quoi se vanter, c’est génétique.
PATRICK
Ouvrant la penderie Vide ! Inspectant l’intérieur avec son détecteur Tu disais ?
STEPHANIE
Ce n'est pas bientôt fini ton petit jeu ? Tu sais que t'es complètement parano.
PATRICK
Ce n'est pas un jeu, Stéphanie. Ils m'ont déjà eu une fois et j'ai juré qu'ils ne me reprendraient plus. Tu ne sais pas de quoi ils sont capables, ces chacals. L'objectif n'est plus leur seule arme. Maintenant, ils planquent des micros et des caméras partout ; c'est pire que la CIA.
STEPHANIE
Tu crois qu'un paparazzo aurait l'idée de venir te chercher ici ?
PATRICK
C'est vrai qu'avec mon salaire et mon statut, on a du mal à imaginer que je passe ma nuit de noces dans un tel endroit Il range son détecteur
STEPHANIE
C'est ton enfance de pauvre qui est la cause d'un tel besoin de luxe, chez toi ?
PATRICK
En quelque sorte, oui; tu es peut-être dans le vrai. Ce studio représente ce que je ne veux plus jamais connaître; la précarité du jour présent, l'incertitude du lendemain. Je me souviens lorsque j'habitais cette chambre de bonne au dernier étage de cet immeuble vétuste. Lorsque le temps le permettait, je pouvais apercevoir à travers l'unique lucarne qui me servait de fenêtre le clocher de Notre-Dame et c'est cette image qui...
STEPHANIE
Elle l'interrompt en l'embrassant Arrête, Quasimodo, tu vas me faire pleurer. Si tu t'occupais plutôt de ton Esmeralda…
PATRICK
Excuse-moi. Il l'enlace Je suis en train de me lamenter sur mon passé alors que l'instant présent m'offre la plus désirable des femmes. J'ai dû te le murmurer il y a à peine une demi-heure et pourtant j'ai l'impression que ça fait une éternité que je ne te l'ai plus dit: je t'aime
STEPHANIE
Moi aussi je t'aime. Désignant d'un geste de la main la seule pièce qu'ils n'ont pas encore visitée Mon petit mari chéri aurait-il la galanterie de me porter pour franchir le seuil de la chambre nuptiale ?
PATRICK
Il la porte dans ses bras La chambre ? Moi j’appellerais plutôt ça un ring !
STEPHANIE
Ouh ! J'ai droit à combien de rounds ?
PATRICK
Au moins 15; la totale.
STEPHANIE
Vantard, tu seras KO bien avant. Elle essaie d'ouvrir la porte de la chambre
PATRICK
Qu'est-ce qui se passe ?
STEPHANIE
La porte est fermée.
PATRICK
Allons bon, il ne manquait plus que ça.
STEPHANIE
Je ne vois de clé nulle part.
PATRICK
Dis-donc, ton frère est bien parti ?
STEPHANIE
Je l'ai moi-même conduit à l'aéroport il y a 3 jours.
PATRICK
Son fameux voyage d'affaire en Thaïlande, le contraignant même à rater le mariage de sa sœur ; quel business man !
STEPHANIE
Si tu m'aidais à chercher la clé, au lieu de déblatérer sur mon frère.
PATRICK
Au fait, à part ton frère, personne n'est au courant de notre présence ici ?
STEPHANIE
Seules ma mère et ma sœur sont dans la confidence; mais tu peux compter sur leur totale discrétion.
PATRICK
A propos de ta sœur, Nathalie et de son énergumène de mari, Pipo. « Pipo », Quel prénom à coucher dehors !
STEPHANIE
Ça sonne bien « Pipo ». Pipo le pizzaïolo ; ça me rappelle mes vacances à Rome : les pâtes, le chianti, le soleil...
PATRICK
Le farniente, le vol à la tire, la corruption…
STEPHANIE
Pourquoi faut-il toujours que le journaliste prenne le pas sur l’homme ? Ce que tu peux être terre à terre !
PATRICK
C’est ma façon d’être. J’ai toujours les pieds ancrés dans le réel, là où les doux rêveurs préfèrent flotter dans l’illusion.
STEPHANIE
J’aime ta modestie.
PATRICK
Il me semble qu'ils sont rentrés bien tôt, Pipo et ta sœur ; l'envie de faire un remake de leur nuit de noces ?
STEPHANIE
Avoue que tu avais peur qu'ils ne gâchent la fête en se disputant.
PATRICK
Ce genre de craintes serait justifié. En deux ans, je peux compter sur les doigts d'une seule main le nombre de fois où je les ai vus en situation non conflictuelle.
STEPHANIE
Pipo est impulsif, jaloux et colérique mais dans le fond c'est un brave.
PATRICK
Tout le contraire de moi. Quand je vois les scènes qu'il lui fait parce qu'elle a simplement parlé ou souri à un type, je n'ose pas imaginer ce qui arriverait si un jour elle le trompait.
STEPHANIE
Il serait capable du pire. Quoi qu'il en soit, un peu de possessivité, c'est pas mal non plus…
PATRICK
Est-ce ma faute si je ne suis pas d'une nature jalouse ?
STEPHANIE
Il faut bien que mon superman de mari ait quelques petits défauts. Elle s'approche de lui puis l'enlace Je crois que l'on peut tirer un trait sur la chambre nuptiale.
PATRICK
Où allons-nous dormir?
STEPHANIE
Allant s'asseoir Il m'a l'air très bien ce sofa. Spacieux, moelleux, agréable au toucher... Viens, ça nous rappellera nos années de fac.
PATRICK
Sauf qu'à l'époque tu partageais ton canapé avec d'autres que moi.
STEPHANIE Il faut goûter au pire pour apprécier le meilleur... Embrasse-moi. Elle remarque un bout de tissu dépassant de la poche de la veste de Patrick Qu'est-ce que c'est que ça ? Elle déplie un slip léopard
PATRICK Sûrement une blague de la rédaction du journal. Parfois, je m’interroge sur leur degré de maturité.
STEPHANIE
Comme il est mignon !... Patrick, mon chéri... pour me faire plaisir
PATRICK
Tu plaisantes, j'espère.
STEPHANIE
Je suis sûre qu'il va t’aller comme un gant !
PATRICK
C'est hors de question!
STEPHANIE
Patou, mon minou, s'il te plaît, pour me faire plaisir... j'ai toujours rêvé d'un corps à corps avec… Tarzan !
PATRICK
Après un moment de réflexion Tu me feras vraiment faire n'importe quoi. Il saisit le slip Pas déranger Jane, si Tarzan prendre petite douche avant de revêtir tenue de jungle.
STEPHANIE
Fais vite... la lionne qui sommeille en moi commence à se réveiller.
Patrick entre dans la salle de bains - Après s’être admirée dans le miroir, Stéphanie ôte sa robe de mariée sur une musique de strip-tease. Elle est à présent en nuisette blanche.
SCENE 2 (PIPO, STEPHANIE)
PIPO
Entrant sur scène en trombe, il est hystérique et hurle avec un fort accent italien Cornuto, io sono cornuto... Stronza, où est-elle ?
STEPHANIE
Pipo, qu'est-ce qui se passe ? Où est qui ?
PIPO
La puttana, ta sœur. Ne me dis pas qu'elle n'est pas ici ; je la poursuis depuis chez moi et j'ai perdu sa trace devant l'immeuble. Stronza, troia, où est-elle ?
STEPHANIE
Pipo, si tu commençais par te calmer et par essayer de m'expliquer ce qui se passe ?
PIPO
Il se passe que je suis "cocou", tu comprends "cocou", cornuto. Il se passe que je vais bientôt être veuf ! Il sort un couteau à désosser de la poche de son imperméable qu'il brandit de façon menaçante Si je la vois, je la tue.
STEPHANIE
Reculant de plusieurs pas Ecoute Pipo, je ne sais pas ce qui te fait croire que tu es "cornuto" comme tu dis, mais je connais ma soeur et...
PIPO
Essayant d'ouvrir la porte de la chambre Ne te fatigue pas et ouvre-moi plutôt la porte. Elle est là n'est-ce pas ?
STEPHANIE
Je te jure que non, et même si elle était là, je ne t'ouvrirais pas. Pipo je t'en prie, calme-toi !
PIPO
Hurlant Tu veux que je me calme, tu veux que je me calme ! Soudainement plus calme Ok, ok, je me calme. C'est normal que tu essaies de sauver cette Enervé, entre ses dents puttana... Plus calme ta sœur. Mielleux Je vais m'en aller, pas de problèmes. Je suis calmé, tu peux me dire la vérité sans aucune crainte. Elle est là, hein ?
STEPHANIE
Pipo, tu me connais; je t'ai déjà menti ?
PIPO
De nouveau énervé Tu es une femme, et toutes les femmes mentent !
STEPHANIE
Je te jure qu'elle n'est pas là.
PIPO
Sur la tête de ta mère ?
STEPHANIE
Sur la tête de maman. Cette porte est fermée à clé depuis notre arrivée. A part Patrick qui est sous la douche et moi, il n'y a personne ici... Pipo, nous étions sur le point de consommer notre nuit de noces...
PIPO
Ah ! oui, c'est vrai, c'est votre nuit de noces. Profitez-en bien, parce que ces choses là, ça ne dure jamais ! Il se dirige vers la sortie Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.
STEPHANIE
Ce qui me dérange Pipo, c'est ce couteau. Alors, tu vas commencer par te calmer, par poser cette arme... on va s'asseoir gentiment et essayer de discuter tranquillement de tout ça
PIPO
Pas le temps. Cynique et inquiétant Je dois retrouver ma femme.
STEPHANIE
Tu comptes faire quoi avec cette lame ?
PIPO
Calme Trois fois rien, juste obtenir un nom. Et après... Très énervé je la désosse et je la donne à bouffer aux cochons ! Il part en claquant la porte
STEPHANIE
Quelle histoire! Prenant le gsm de Patrick qui traîne sur la commode J’espère que Nathalie a son portable avec elle... Personne !
SCENE 3 (NATHALIE, STEPHANIE)
NATHALIE
Entrant en trombe Un malade, j'ai épousé un malade !... Stéphanie, il faut que tu m'aides.
STEPHANIE
Qu'est-ce qui se passe, Nathalie ?
NATHALIE
C'est Pipo, il veut me tuer !
STEPHANIE
Je sais, il sort du studio à l'instant.
NATHALIE
Comment ? Il était là !?... Il faut que je file au plus vite.
STEPHANIE
Calme-toi, tu ne crains rien. Je pense qu'il ne reviendra plus. Tu es en sécurité ici.
NATHALIE
Avec ce malade mental, je ne suis en sécurité nulle part.
STEPHANIE
Si tu m'expliquais ce qui l’a mis dans cet état ?
NATHALIE
Gênée Je ne sais pas, tout allait bien ; pour une fois que l'on passait une soirée sans se...