Et que vive la galère
Des personnages d’univers socioprofessionnels différents vont se rencontrer au bord d’une route sous un abribus à attendre un bus qui n’arrivent jamais et vont avoir des péripéties.
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LES LIEUX
Sur le bord d’une route – Un abribus – Un chalet – Une aire de repos d’une autoroute
L’ACTION
L’acte 1 se passe le matin. L’acte 2 à la tombée de la nuit et le lendemain matin.
ACTE 1
Un matin d’hiver sur une route pluvieuse arrivent deux hommes qui viennent s’abriter en dessous d’un abribus. Ils portent des sacs de provisions à la main.
POLO (secoue les vêtements pleins de pluie et va s’asseoir). — Ah, mais putain qu’est-ce qui tombe ! C’est le déluge ma parole !
Il pose le sac à provisions à côté de lui. Un temps.
Danny fait exactement la même chose que Polo en l’imitant exagérément et en prenant un accent anglais.
DANNY. — Ah, mais putain qu’est-ce qui tombe ! C’est le déluge ma parole !
Polo lève la main comme pour le frapper.
POLO. — Vas-y, fous-toi de ma gueule. Tu en veux une, dis ?
Danny se lève et se met en position de boxeur pour le défier. En se levant, il renverse son sac à provisions et une bouteille de vin se casse.
DANNY. — Merde ! Tu as vu, à cause de tes conneries, ma bouteille est foutue !
POLO. — Ah bah compte pas sur moi pour te filer de la mienne. Tu ne boiras que dalle.
DANNY (immobile, regarde au loin et fait un signe de croix et avec son accent anglais). — Seigneur, pardonne-moi mes offenses. J’ai connu l’alcoolisme, mais je vais me repentir dès à présent.
Polo sort sa bouteille de rouge de son sac à provisions, l’ouvre et boit une grosse gorgée.
POLO. — Tu es bon pour les alcooliques anonymes maintenant. Et si tu pouvais demander à ton bon Dieu d’arrêter de nous pisser dessus pendant que tu y es, parce que là on est bien trempés. On n’a pas d’affaires de rechange, je te signale et la conseillère pour l’emploi va nous…
Danny, dans ses pensées, s’avance un peu sur la route quand une voiture passe à vive allure. Polo se lève subitement et le tire par la manche.
POLO. — Oh ! Mais fais gaffe ! Tu veux te faire écraser ou quoi ? Si tu crèves, on va te mettre à la fosse commune comme à l’époque des rois.
DANNY (reprend ses esprits et pousse Polo sur le banc). — Vade retro satanas ! Arrière ! Ton heure n’est pas arrivée.
Polo en tombe à la renverse et casse sa bouteille de vin.
DANNY (en riant). — In vino veritas !
POLO. — Meeeeeerde !
Il s’allonge sur le banc et fait le mort. Un temps. Un homme s’approche vers Polo.
L’HOMME. — Bonjour ! Qu’est-ce qui se passe ? Ça va, monsieur ? Je suis médecin, je peux faire quelque chose.
POLO (se redresse droit comme un piquet). — Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ! Je ne sais plus qui a dit ça.
LE MÉDECIN (surpris). — Ah ben je vois que vous allez mieux visiblement. (Un temps.)Dites-moi, messieurs, je suis tombé en panne un peu plus loin. Vous savez à quelle heure passe le prochain bus ? J’essaie de joindre un taxi et je ne capte rien avec mon téléphone. (Un temps.)
Un homme s’approche fumant une cigarette d’un air nonchalant.
L’HOMME. — Je peux m’asseoir ? Ouf ! Je suis épuisé.
Il va pour s’asseoir quand Danny et Polo s’interposent.
DANNY ET POLO. — Stop là, pas si vite ! (les deux en même temps) Vous avez combien d’argent sur vous d’abord ?
L’HOMME. — Euh pardon ? Comment ça ? Pourquoi ?
POLO — C’est vingt euros la place.
L’HOMME (regarde le médecin). — Mais il n’est pas bien lui, il veut me faire payer pour m’asseoir.
LE MÉDECIN (d’un ton sérieux). — Il a l’air souffrant de mégalomanie flagrante je dirais. Mais je ne l’ai pas encore bien ausculté.
L’HOMME. — Vous êtes médecin ?
LE MÉDECIN. — Oui, tout à fait ! Et vous ?
L’HOMME. — Moi, je suis chauffeur de taxi. Enfin, j’étais. Je viens de me faire virer par mon patron.
LE MÉDECIN. — Moi, ça fait une heure que j’essaie de joindre un taxi, mais aucun ne passe sur cette route et j’ai pas de réseau.
LE CHAUFFEUR DE TAXI. — Ouais, je sais, ils sont tous en train de manifester sur le boulevard. Ils demandent une augmentation de salaire. (Un temps.)
Polo et Danny sont en train de jouer aux dés sur le banc.
LE CHAUFFEUR DE TAXI. — Dites donc, messieurs, ça vous ne dérangerait pas de nous faire de la place un peu ? Nous aussi, on aimerait bien s’asseoir.
LE MÉDECIN (montre le lacet défait de Danny). — Attention, vous allez glisser, votre lacet est défait.
Danny pose ses dés, se lève et fait de grands pas de long en large du trottoir comme un soldat. Il chante un air militaire.
DANNY. — J’ai été à l’armée, engagé première classe, on m’a appris à marcher au pas, moi,vous savez !
POLO (riant). — Tu as été réformé P4, menteur ! Vas-y, viens, arrête de faire le con, on finit la partie de dés.
Danny s’allonge sur le sol et rampe.
DANNY. — Comme dans le parcours du combattant, on rampait pour ne pas être vus par l’ennemi.
LE CHAUFFEUR DE TAXI (l’encourage). — Continuez encore, vous êtes presque arrivé,soldat. (Il se met à compter.) Un, deux, trois, quatre. Allez, encore un effort.
LE MÉDECIN (à lui-même). — Euh, mais qu’est-ce que c’est que ces dingues, là. (Un temps.)
Une dame approche, intriguée. Elle regarde Danny au sol.
LA DAME. — Vous cherchez quelque chose, monsieur ?
Danny n’entend rien et continue de ramper avec le chauffeur qui compte.
LA DAME. — Je m’excuse de vous déranger, mais quelqu’un sait à quelle heure passe le prochain bus ? Il n’y a rien d’indiqué, je vois, sur ce panneau d’arrêt.
Polo, en souriant, lui fait signe de s’asseoir près de lui.
POLO. — Venez, ma petite dame, asseyez-vous, je vous en prie. Nous aussi on cherche du boulot. Les temps sont durs, vous savez. Hé oui !
LA DAME (surprise, regarde le médecin et lui demande). — Qu’est-ce qu’il dit ? Pourquoi il me parle de boulot ?
LE MÉDECIN (en train de chercher du réseau sur son téléphone). — Oh faites pas attention ! Ça va faire un moment que je suis là et je peux vous dire que l’on a affaire à de sacrés phénomènes. (Il secoue son téléphone portable, puis à lui-même.) Ah, mais putain toujours pas de réseau et pas une voiture qui passe. (Il soupire.)
LA DAME (parle un peu plus fort). — Allô, messieurs ! Je demande juste si l’un d’entre vous connaît le passage du prochain bus.
LE CHAUFFEUR DE TAXI (qui continue à compter pour Danny qui rampe). — Ah, mais merde alors ! Vous avez troublé ma concentration. Allez, j’en étais où ? Ah oui, 59, 60, 61. (Un temps.)
LA DAME (recule lentement). — Euh… euh… euh… Je… je… je crois que je vais y aller moi… (Elle s’éloigne.)
POLO (se lève pour la rattraper). — Attendez ! Attendez ! Vous n’avez pas pris mon CV,madame. (Il sort de son veston un CV et lui remet en main.) Tenez, prenez-le !
LA DAME. — Mais enfin, lâchez-moi ! Vous êtes malade ou quoi ? Je travaille à la banque,moi. Je ne suis pas conseillère à Pôle emploi. Je m’en fous de votre CV. Et un conseil, si vous cherchez du boulot, commencez donc par… (Elle s’interrompt et le regardant des pieds à la tête. Un temps.) Non. En fait rien. Si, mais bon. Je crois que c’est trop tard.
POLO (souriant, satisfait). — Oui ? Vous avez du boulot ? Mon pote et moi on est très vaillants. On a fait les saisons des…
LA BANQUIÈRE (lui coupant la parole). — Pas la peine, c’est bon, je vous crois ! On vous recontactera plus tard. Allez donc rejoindre votre ami. (Elle montre du doigt Danny qui rampe.) Je crois qu’il est presque arrivé. (Un temps.)
LA BANQUIÈRE (repart et à elle-même). — C’est le changement de lune qui les rend si maboules ou quoi ?
Elle marche. Devant elle arrive une femme qui court.
LA FEMME (en courant, très joyeuse). — Bonjour ! Quel temps merveilleux vous ne trouvez pas ?
LA BANQUIÈRE (s’écarte et la laisse passer). — Oui, oui comme vous dites !
Elle continue sa route.
La joggeuse arrête de courir et s’approche de l’arrêt de bus. Un temps. Le chauffeur de taxi est assis sur le rebord de trottoir, la tête baissée. Le médecin examine le genou de Danny,allongé sur le banc, et le masse. Polo est debout et fait des étirements de gymnastiques.
LA JOGGEUSE. — Bonjour, messieurs ! Quelle belle journée, n’est-ce pas ?
Un temps. Personne ne répond. Il recommence à pleuvoir et la femme vient s’abriter sous l’arrêt de bus.
LA JOGGEUSE. — Excusez-moi, je prends juste un peu de place pour m’abriter cinq minutes.
Elle voit le médecin examiner le genou de Danny.
LA JOGGEUSE. — Que s’est-il passé, il est tombé ?
LE CHAUFFEUR DE TAXI (allumant une cigarette qui sort de sa poche). — Non, il a raté le virage dans la cinquième course.
LA JOGGEUSE. — Pardon ? Vous dites ?
LE CHAUFFEUR DE TAXI. — Non, je ne dis rien. Et vous ? Vous êtes qui d’abord, hein ? On se connaît ?
Il écrase sa cigarette et se lève. Il lui tend là sa main dans le vide.
LE CHAUFFEUR DE TAXI. — Moi, c’est Martin, ex-chauffeur de taxi en préretraite, 53 ans et toujours pas syndiqué. On m’a mis à la porte aujourd’hui.
LA JOGGEUSE. — Je suis désolée pour vous, monsieur. Moi je suis Nadine et je suis avocate en droit de succession. Enchantée !
Ils se serrent la main.
Polo s’interpose à eux en faisant ses étirements.
POLO. — Bah moi, c’est Polo, ma petite dame ! Avec mon pote, là, on va s’engager pour la saison d’hiver. Il paraît qu’on cherche des gens pour bosser comme moniteur de ski. Faut bien se préparer un peu avant physiquement.
Il fait ses étirements et bouscule le chauffeur de taxi.
POLO. — Pardon, mais tu ne vois pas que je m’entraîne ? Hé, pousse-toi un peu, tu veux ?
Le chauffeur de taxi recule et fait un croche-pied à Polo qui tombe.
LE CHAUFFEUR DE TAXI. — Oups ! Ça va t’apprendre les chutes au ski comme ça quand tu seras moniteur. (Il se marre.)
Polo (à terre). — Non, mais ce n’est pas parce que tu as été viré de ton boulot de chauffeur que tu vas nous emmerder, hein ?
Le médecin qui s’occupait de Danny vient pour l’aider à se relever.
LE MÉDECIN (lui tendant la main). — Vous allez finir par vous casser quelque chose à force.
POLO. — Ça va, c’est bon, je peux me relever tout seul !
Il se relève, fait face au chauffeur de taxi...