Prologue
Une cabane sommairement aménagée, perdue au milieu de la montagne, dans une région extrêmement hostile. Une table avec des sièges, un coin cuisine à moitié caché par un comptoir-bar. Des portes en cours, jardin et fond, qui desservent les chambres, la salle de bain, le local technique. Il fait nuit. On entend un vent lugubre qui vient du dehors. Agnès est assise à la grande table à manger, la tête posée sur ses deux bras. Elle semble dormir. Deux alpinistes en tenue blanche de sauveteurs débarquent. Elle se réveille. Durant toute leur intervention, Agnès restera sans réaction, le regard dans le vide devant elle.
SAUVETEUR 1. — Agnès ? … Agnès ? …
SAUVETEUR 2. — Agnès ?... Nous sommes les sauveteurs de haute montagne. Nous sommes là pour vous aider.
SAUVETEUR 1. — Nous sommes envoyés par votre Agence…
SAUVETEUR 2. — Ils ont entendu le SOS que vous avez envoyé. Nous venons vous secourir.
SAUVETEUR 1. — Etes-vous blessée, Agnès ?… Répondez-moi en hochant la tête…
SAUVETEUR 2 — Agnès, est-ce que ça va ?
SAUVETEUR 1. — Vous êtes seule ?… Où sont les autres ?... Vous êtes une équipe de 5, c’est ça ?
Agnès tourne lentement la tête vers le sauveteur 1. Ses lèvres remuent dans le vide mais aucun son ne sort. Elle s’efforce de parler, mais ce sont seulement des chuchotements qui sont émis.
SAUVETEUR 1. — Nous allons vous emmener en sécurité, Agnès, vous n’avez rien à craindre.
SAUVETEUR 2. — Pouvez-vous vous levez ?
Agnès hoche la tête, se lève aidée par les sauveteurs. Agnès suit docilement les sauveteurs qui la soutiennent par les bras.
SAUVETEUR 1 (penche la tête pour parler dans son talkie accroché à son épaule). — This is Hight Rescuer 1. Nous sommes sur site. Nous avons récupéré un membre de l’équipe. En état de choc. Pas de blessures apparentes. Nous l’exfiltrons. OUT. (Il écoute les infos qu’il reçoit dans son talkie. Il semble que la communication ne soit pas bonne.) Say again ! (Le message est répété. Il comprends et hoche la tête en signe d’affirmation.) Roger ! Nous sortons. OUT !
Tous les trois sortent de la pièce. Ils ferment la porte derrière eux. Il ne reste que le froid et le bruit du vent lugubre dans le silence des lieux déserts.
Acte I (JOUR 1)
Scène 1
On entend un bruit de vent lugubre. La pièce est plongée dans l’obscurité. Un groupe de personnes essaie d’entrer. La porte est un peu difficile à ouvrir.
AGNES (entrant la première). — Et voilà ! Ouf ! C’est pas trop tôt.
CARMEN. — Tu l’as dit ! Quel trajet !
LUDMILLA. — J’ai cru que l’hélico n’y arriverait jamais.
NORA. — Il nous a foutu une belle frousse, ce pilote ! J’en ai l’estomac tout retourné.
JOSEF. — Nous débarquer avec ces rafales de vent, c’était quand même du grand art. J’ai failli me faire des cheveux blancs !
AGNES (s’étant avancée dans la pièce). — Bon Dieu, qu’est-ce que ça pue ici !
NORA. — On dirait la caverne du Yéti !
AGNES. — Il doit y avoir une petite charogne coincée quelque part…
CARMEN (grelotant). — Il fait encore plus froid que dehors.
LUDMILLA. — On a la langue qui gèle et les mots avec !
NORA. — Oui, je suis sans voix !
JOSEF. — On ne voit rien dans ce truc ! (Allumant sa lampe torche et, à la cantonade)
AGNES. — Josef, va relancer le générateur… Il doit être dans le local technique, (désignant une des portes) là au fond.
Josef se dirige vers la pièce désignée par Agnès.
JOSEF (des coulisses). — Trouvé ! … (On entend un bruit de moteur qu’on lance, et toujours des coulisses) Lancé ! … Vous pouvez allumer !...
TOUTES (indifféremment). — Super ! … Top, men !... Merci Josef !...
Nora restée près de la porte d’entrée, appuie sur l’interrupteur. Le plafonnier s’allume.
Moment de stupeur générale, le temps de balayer la pièce du regard.
JOSEF (criant toujours des coulisses). — Je nous relance le générateur !
NORA (sarcastique). — Pfff dis-donc, un vrai cinq étoiles !
AGNES. — D’accord, c’est rustique, mais on est surtout là pour travailler, non ?
CARMEN. — Oui, bon, on pourra se détendre un peu aussi, non ? On n’est pas aux galères, non plus.
NORA (toujours sarcastique). — En tous cas, l’Agence de lésine pas sur notre confort…
AGNES. — On a eu des crédits de recherche pour nos expériences, pas pour se prélasser dans un palace avec spa, discothèque et barista…
LUDMILLA. — C’est exactement comme sur les plans, ni plus petit ni plus grand.
JOSEF (revenu dans la pièce de vie). — Mais, avec le bruit du vent qui fout les boules et la puanteur en plus…
AGNES. — Normalement, c’est prévu pour y vivre et y travailler à cinq pendant un mois, sans (trop) se marcher sur les plates-bandes.
Chacun se met à inspecter les lieux.
NORA (de dos et de profil, ouvrant chacune des portes et passant rapidement la tête dans les différentes pièces). — Une chambre avec lits superposés… Une autre chambre avec lits… superposés…
CARMEN (ayant emboîté le pas à Nora). — Une douche mérovingienne… avec des toilettes sèches…
AGNES. — Il vaut mieux, vu la froidure. Tu fais comment quand ta chasse d’eau a gelé ?
JOSEF (resté dans la pièce principale). — C’est glauque quand même… Et ce vent sinistre !...
LUDMILLA. — On peut leur reprocher beaucoup de chose aux Russes, mais ils avaient le sens du robuste, du solide.
NORA (ayant dégainé son smartphone). — … Pas de connexion internet… Ça date au moins de l’ère soviétique, ce bazar. Merci l’agence européenne !...
AGNES. — Dans ce coin de montagne au bout du monde, pas nécessaire de développer du réseau. Ce serait pour qui ?... Pour les yaks ?
CARMEN (malicieuse). — Yaka se parler en vrai alors… (et à l’adresse de Josef) moi, ça me va, de babeler avec mon prochain …
AGNES. — Le projet de recherche avant tout, Carmen !
CARMEN (essayant de s’en sortir). — Oui, bon, je voulais dire que nous pouvions débattre de nos découvertes… c’est riche, les échanges de vues… les yeux dans les yeux…
JOSEF. — … et de fluides aussi, d’ailleurs…
AGNES (autoritaire). — Bon, vous deux !…
LUDMILLA. — Il faut rester professionnels, ne pas laisser nos sentiments altérer notre jugement. C’est le B.A.BA du scientifique.
CARMEN. — Mais une scientifique en joie trouve de meilleurs résultats qu’une scientifique ronchonchon, non ? Et puis moi, de toute façon, je ne suis pas scientifique, je suis une artiste. Les émotions me permettent d’être créative. (Et à l’intention de Josef.) Alors, un petit biais cognitif de temps en temps, cela ne peut que m’inspirer…
AGNES. — Bon, là-bas !!... Allez, action ! Nora et Ludmilla, il faut bâcher tout le matériel avant la nuit, le vent et la neige vont s’intensifier. Carmen, tu penses au repas ? Je crois qu’on a tous très faim... Josef, je voudrais que tu connectes la radio satellite. Il faut que j’avertisse l’agence qu’on est bien arrivés et en voie d’installation.
JOSEF. — J’ai beau avoir vécu 15 expéditions en haute montagne, c’est toujours un peu flippant d’être isolés comme ça au milieu de nulle part.
AGNES. — Comme convenu, on donnera de nos nouvelles au camp de base tous les trois jours, et Ludmilla et moi, on enverra les résultats de nos expériences.
JOSEF. — Et puis, ce vent effrayant… On dirait des… fantômes qui te sifflent dans les oreilles. Brrr, j’ai des frissons sur le cuir chevelu… (à la cantonade) pas vous ?
LUDMILLA. — Il faut faire abstraction, Josef ! Se concentrer sur ce que tu as à faire. C’est tout.
JOSEF. — Ça me prend la tête, j’y peux rien.
NORA. — Bon, on s’organise comment pour les chambres ?
LUDMILLA. — Il y a trois chambres. On est cinq de deux genres différents. Je propose que les quatre filles se répartissent dans deux chambres, et Josef prend une chambre tout seul. C’est ma-thé-ma-tique.
CARMEN (moqueuse, avec une moue badine). — Le pauvrinet, il va s’embêter tout seul…
AGNES (sur un ton autoritaire). — Carmen ! Concentration !
CARMEN (faussement confuse). — Rhooo, pardooonnn !
JOSEF. — Pas de problème, Agnès, (avec un sous-entendu à l’adresse de Carmen) j’aime qu’on se préoccupe de mon temps libre…
AGNES. — Je propose de partager ma chambre avec Ludmilla. On aura certainement du travail à réaliser ensemble, comme ça on ne dérange pas l’une d’entre vous si on se couche tard, ou si on se lève à l’aube.
LUDMILLA. — Ok, ça marche, boss !
NORA. — (à Carmen) — Carmen, ok pour toi qu’on partage l’autre chambre alors ?
CARMEN. — Oui, oui. Tu ne ronfles pas j’espère ?
NORA (taquine). — Si. Et quand je suis somnambule, je parle aux esprits de mes ancêtres !...
CARMEN. — Hein ?!...
NORA (riant). — Nooon ! Pour rire ! … Ceci dit, j’ai déjà assisté à des séances de chamanisme. C’est vraiment interpelant.
CARMEN. — Raconte un p…
JOSEF (l’interrompant). — Je ne suis pas superstitieux, mais je préférerais qu’on ne parle pas de … ces choses, si vous voulez bien.
CARMEN (se dirigeant vers la cuisine). — Bon, moi, je vais invoquer les esprits pour décongeler le spaghetti bolo. Un bon...