Acte I
Scène 1
Dans le noir, Elisabeth secoue Charles qui est plutôt réticent au sexe ce soir.
Elisabeth. – Ah ! mon chéri, hum… J’ai envie, hum… Allez, mon doudou, mon Charlinou, viens là, montre-moi ce que tu sais faire, allez, hum… Allez ! J’en meurs d’envie, j’en meurs !
Charles. – Arrête ! Mais non ! Mais ça va pas la tête, non, ou quoi ? Allez, allez, arrête ! Enlève tes mains de là, je suis très fatigué ce soir, je suis à fleur de peau… Allez, chut, calme-toi… En plus, je suis en train de lire.
Elisabeth. – Moi aussi je suis à fleur de peau, mon doudou ! Ah !!! Ma peau te réclame ! Viens, occupe-toi de moi et arrête de lire, bon sang !
Lumière.
Charles. – Ça suffit, non ?! Tous les soirs c’est le même cinéma depuis trente ans ; et encore, avant c’était matin, midi et soir ! J’en ai marre ! J’ai besoin de recharger les batteries, moi, et puis j’ai plus vingt ans ! Allez, calme-toi, sage !
Elisabeth. – Mais mon Charlinou, justement, il faut en profiter tant qu’on a la santé ! Allez, mon Charlinou, viens et…
Charles. – Et la santé je vais la perdre si ça continue !
Elisabeth. – Mais non ! Allez, viens par là ma vieille canaille !
Charles. – Mais dis-moi, tu as pris ton traitement ce soir ?
Elisabeth. – Non.
Charles. – Ah ! ben tout s’explique ! Mais enfin, tu m’avais promis de le suivre celui-là, non ?
Elisabeth. – Mais doudou, il me donne la migraine ce traitement, et en plus dès que j’y pense c’est pire.
Charles. – Dès que tu penses à quoi ?
Elisabeth. – Ben, au sexe voyons ! Tu vois, comme en ce moment. Prends-moi dans tes bras !
Charles. – Holà ! Arrête ! Mais bien sûr, la migraine ! En tous les cas, celle-là, elle t’empêche pas de m’emmerder, et puis tu ne vas pas me violer non plus, hein !
Silence. Elle le regarde, lui fait la moue ; lui ne la regarde pas et se replonge dans son livre.
Elisabeth. – Mon dou…
Charles. – Non !
Elisabeth. – Non ?
Charles. – Non !
Elisabeth. – Mais tu es toujours en train de lire, j’en ai marre à la fin !
Charles. – Figure-toi, très chère, que la lecture est l’acte gratuit le plus payant qui soit.
Elisabeth. – Bon, eh bien, lis, sale bougre… Je vais à la cuisine boire un verre.
Elisabeth sort.
Charles. – Oui, c’est ça, va boire, c’est plus facile comme ça ! (Il soupire et continue de lire. Quelques instants plus tard, Elisabeth revient en titubant, une bouteille à la main. Elle s’effondre brutalement sur le lit et s’endort aussitôt en ronflant bruyamment.) Pff ! Si j’avais su… Mais dis-moi, tu m’entends ?
Elisabeth, presque endormie. – Hum, hum…
Charles. – Tu n’es qu’une alcoolo, un tonneau à toi toute seule ! Tu le sais ça au moins ?
Elisabeth, presque endormie. – Hum… m’en fous…
Elle s’endort en ronflant toujours de plus belle. Charles se lève et va se coucher ailleurs. Il sort.
Noir.
Scène 2
Charles est dans le salon. Il est seize heures, l’heure du thé. Il regarde sa montre. Elisabeth arrive.
Silence… Regards…
Charles. – Hum, hum… Bien dormi ?
Elisabeth. – Hum, hum… Oui, à peu près, mais j’ai la tête en feu ce matin.
Charles. – Oui, eh bien, tant que c’est la tête, ça m’arrange.
Elisabeth. – Qu’est-ce que tu dis ?
Charles. – Non, rien.
Charles tinte la gouvernante qui accourt.
Gwladys. – Monsieur m’a fait demander ?
Charles. – Oui, Gwladys. Préparez à Madame de l’aspirine, elle a un tambour dans le caisson.
Gwladys. – What ?
Charles. – Non, laissez tomber, contentez-vous d’apporter de l’aspirine et le thé, please !
Gwladys sort.
Elisabeth. – La pauvre fille, elle ne comprend rien avec tes mots et ton langage militaire. Il faudrait que tu comprennes que tu dois changer ta façon de parler, tu n’es plus avec tes troupes, c’est fini ce temps-là.
Charles. – Oui, oui, mais elle est un peu gourde, non ?
Elisabeth. – Chut ! Elle revient…
La gouvernante arrive.
Gwladys. – Voilà, Madame. Autre chose, Monsieur ?
Charles. – Non merci, Gwladys, vous pouvez vous retirer. (Gwladys sort.) Tu étais obligée de te mettre dans un état pareil hier soir ?
Elisabeth. – Oh ! écoute, c’est la seule façon de stopper mes pulsions ! Et puis, c’est de ta faute aussi : si tu m’avais honorée, je n’aurais pas bu !
Charles. – « Honorer » ! C’est toi qui me parles d’honneur ! Mais tu te fous de moi ? Je te rappelle que c’est moi qui subis ta maladie de nymphomanie là, et souviens-toi, oui, oui, souviens-toi, lorsque j’étais en mission à l’étranger, eh bien heureusement que tu étais avec moi, sinon Dieu seul sait ce que tu aurais fait ici toute seule, hein !
Elisabeth. – Ben rien… J’aurais rien fait…
Charles. – Tu te moques de moi ou quoi ? Regarde-moi dans les yeux, s’il te plaît… Regarde-moi dans les yeux, je te dis ! Tu ne te souviens déjà plus ?
Elisabeth. – Oui, mais c’était une erreur de jeunesse, et puis… on n’était pas mariés.
Charles. – Fiancés, tout de même ! Et devant le curé, par-dessus le marché ! Pas encore marié et déjà cornu, il fallait vraiment que je t’aime.
Elisabeth. – Ou que tu aimes l’argent de mes parents… Oh ! et puis c’était pas de ma faute !
Charles. – Comment, c’était…
Le téléphone sonne. Gwladys rentre avec un téléphone à la main.
Gwladys. – Monsieur, téléphone !
Charles, au téléphone. – Charles de Malaurie à l’appareil. Qui le demande ?… Geoffroy ! Quelle surprise ! Comment vas-tu ?… Bien… Où es-tu ?… En France ? Mais où ?… Ah ! tu rentres ! Où ?… Ici ?… Quand ?… Demain ? O.K., pas de problème, on prépare ta chambre… Oui, oui. Allez, à demain, fiston. (Il raccroche.)
Elisabeth. – Geoffroy, déjà de retour ? Quelle bonne nouvelle ! Oh ! comme je suis heureuse !… Gwladys, allez préparer la chambre de mon fils, s’il vous plaît. Allez, ça s’arrose !
Noir.
Scène 3
Charles est sur la terrasse d’été, il regarde son jardin d’un air soucieux.
Elisabeth. – Alors, très cher, tout va bien ?
Charles. – Hum, hum…
Elisabeth. – Que se passe-t-il ? Tu as l’air soucieux.
Charles. – Oh ! c’est rien… Je trouve simplement le jardin bien mal entretenu depuis quelque temps déjà. Je me trompe ?
Elisabeth. – C’est ma foi bien vrai ; rien n’est taillé et l’herbe va entrer dans la maison si cela continue. Mais que fait le jardinier ?
Charles. – Ah ! celui-là, il commence à me chauffer dur ! Je m’en vais le convoquer pour lui mettre une soufflante derrière les étiquettes et, crois-moi, après ça, il fera museau le garçon ! Non, mais on se moque de qui ici ? J’ai pas raison ?
Elisabeth. – Oui…
Gwladys entre.
Gwladys. – Monsieur…
Charles. – Quoi encore ?
Gwladys. – Monsieur, votre fils a téléphoné pour vous dire que Monsieur votre fils aura du retard à cause des chemins ferraillés qui sont en grève. Voilà. Puis-je me retirer ?
Charles. – Oui, oui. (Gwladys sort.) « Chemins ferraillés » ! Non, mais tu as entendu ça comme elle parle la France ? Mais elle est vraiment gourde, non ?
Elisabeth. – Allons,...