1.1
(Sur la scène, Martha et Gilles. Martha est immobile et le regard fixe tandis que Gilles lui tourne autour, un verre à la main. Les images sont floues et entrechoquées. On entend par moment des bruits de dîner, des rires d'amis, parfois le silence du quotidien, et la voix de Gilles. Les choses montent crescendo, Gilles lui attrape le bras, puis la bouscule, de plus en plus violemment.)
GILLES. – Enfin regarde toi... Si c'est Martha qui a fait ça, je vous conseille de ne pas en manger ! Non mais tu t'entends ? Arrête de raconter n'importe quoi à la fin... Tu m'écoutes ? Je t'avais pourtant expliqué comment faire, et pas qu'une fois... Enfin Martha, arrête, tu es ridicule, je te le dis pour ton bien, tu es ridicule... Franchement, à quoi ça ressemble, cette robe ? Tu m'énerves, je te le dis, tu m'énerves. Ah non, ne commence pas, je te l'ai dit cent fois, ne me pousse pas à bout. Tu sais très bien comment ça va finir, comme d'habitude. Martha ! Martha ! Avec la vie que je t'offre, franchement... Parce que c'est avec ton salaire ridicule que tu pourrais espérer tout ça ? Je te l'ai dit ou je ne te l'ai pas dit ? Martha, réponds-moi à la fin, Martha !
(Soudain il lui assène une forte gifle. Noir.)
3.1
(La salle de repos d'un hôpital. Marie s'installe à côté de son amie, un café devant elle. Elle sort son téléphone portable.)
L'AMIE. – Ce que je peux en avoir marre... (Marie lit ses messages et y répond.) Chaque fois c'est pareil... On nous demande des choses qu'on est incapable de faire...
MARIE. – (Elle ne lève pas les yeux de son téléphone.) Hum...
L'AMIE. – Non, franchement, entre le boulot et ma vie personnelle, en ce moment, j'ai l’impression que je ne m'en sortirai jamais...
MARIE. – (Elle ne lève pas les yeux de son téléphone.) Mais si, voyons...
L'AMIE. – Tu sais, je ne regrette pas mon choix, ça non. Mais il y a des jours, toute seule avec la petite... Et puis le week-end, quand elle part chez son père, je t'assure... (Elle fixe Marie qui ne réagit pas.) Marie ? Tu m'écoutes ?
MARIE. – Oui, excuse-moi, c'est Benoît. Tu sais comme il est... Il me demande si je rentre bien à 18 h, comme je lui ai promis. Les devoirs des enfants, le bain, le repas... Si je ne suis pas là, il est complètement perdu !
L'AMIE. – Ah oui, évidemment. C'est vrai que tourner le robinet d'eau chaude ou sortir une casserole, sans ton aide... C'est pas évident...
MARIE. – Tu exagères. Il n'a pas l’habitude de le faire, c'est tout. Depuis qu'on s'est rencontrés c'est comme ça : je prends en charge la maison, et les enfants, notre vie quotidienne... C'est une organisation qui s'est mise en place... (Nouveau message sur le téléphone.)
L'AMIE. – Et qu'il n'envisage pas de modifier, j'imagine ? Et toi, Marie, tu ne te dis pas que ça pourrait être autrement ? Que les choses pourraient changer, ou peut-être simplement évoluer ?
MARIE. – Pourquoi voudrais-tu que ça change ? On est bien comme ça. Et puis les enfants ont leurs repères... Ils savent que s'ils ont besoin de quelque chose, il vaut mieux qu'ils s'adressent à moi.
L'AMIE. – Bien sûr, ils savent que toi tu te lèveras toujours pour eux, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit... Et comment il fait Benoît, quand on est de garde et que le soir tu n'es pas là ?
MARIE. – Dans ce cas je prépare toujours de quoi manger avant de partir. Il n'a qu'à se servir. Les enfants vont au lit et le lendemain matin, à mon retour, je les réveille de bonne heure pour faire le bain, le matin, avant l'école. Ça leur fait un peu tôt, c'est vrai, mais j'ai déjà demandé à Benoît de le faire sans moi et il refuse. Il y a même des matins où je retrouve les enfants tout habillés de la veille, dans leur lit, c'est te dire.
L'AMIE. – Vraiment ? Tu es sérieuse ?
MARIE. – Malheureusement... (Autre message sur le téléphone.)
L'AMIE. – Je trouve ça à peine croyable. Enfin Marie, quand même, le père de tes enfants qui n'est même pas capable de leur passer un pyjama... J'ai beau y réfléchir, ça me dépasse.
MARIE. – Enfin que veux tu ? Il n'est même pas capable de se faire cuire un œuf... (Un temps.) C'est vrai que par moment je fatigue. (Un temps.) Et puis après le bain, il y a la table de la veille qu'il a laissée comme ça, que je range pour servir le petit déjeuner. Et seulement après je peux me reposer, après avoir emmené les enfants à l'école, je veux dire. (Elle regarde son amie.) Excuse-moi, je te raconte tout ça alors que toi...
L'AMIE. – Alors que moi ? Je viens de divorcer, oui. Mais je n'ai jamais eu à mettre mon réveil deux heures plus tôt pour préparer le repas du soir, et les vêtements, et le reste... Enfin Marie, tu te rends compte un peu de ce qu'est ta vie ?
MARIE. – Ma vie me convient très bien, je te remercie... (Son téléphone vibre à nouveau, elle répond au message.) Tu vois, il veut savoir si je rentre directement... Il dit qu'il a hâte de me voir.
L'AMIE. – Je sais, comme d'habitude... Ça fait combien de temps que tu n'as pas pris un peu de temps, pour toi ? Je veux dire : uniquement pour toi ? Qu'on n'a pas pris un verre, toutes les deux, comme ça, à l'improviste ?
MARIE. – Ça fait longtemps, je sais. Mais tu comprends, avec les enfants...
L'AMIE. – Et le week-end ? On peut se retrouver un week-end et...
MARIE. – (Son téléphone vibre à nouveau, elle répond au message.) Benoît ne veut pas que je sorte, le week-end. Il préfère qu'on reste ensemble, en famille, tu vois... Et puis le week-end, lui, il a besoin de faire du sport pour se détendre, c'est normal. Ce n'est pas toujours simple à son travail. Il a de grosses responsabilités sur les épaules. Je ne vais quand même pas venir avec les deux enfants...
L'AMIE. – Non, bien sûr. Mais en le prévoyant, une fois par mois, peut-être que Benoît pourrait se débrouiller... Tu lui préparerais tout comme il faut, et je pourrais même venir chez toi une heure avant pour m'occuper du bain des enfants ! Qu'est-ce que tu en dis ?
MARIE. – Tu es gentille, mais il n'acceptera jamais. Je...