ACTE I
LA SOLITUDE
SCENE 1
La salle de séjour de Femme 1.
Femme 1 seule, assise sur le canapé, la tête entre les mains.
Un temps.
On frappe à la porte.
Femme 1 se lève à contrecœur pour aller ouvrir.
Femme 2 apparaît.
Femme 1 - (ton lugubre) Ah, c'est toi !
Femme 2 - Tu attendais quelqu'un d'autre ?
Femme 1 - (même ton) Non. Malheureusement, je n'attendais personne.
Femme 2 - Dis-moi, ça n'a pas l'air d'aller ?
Femme 1 - Exact. Ça ne va pas du tout.
Femme 2 - Qu'est-ce qui t'arrive ?
Femme 1 - Justement, rien.
Femme 2 - Comment rien ?
Femme 1 - (agressive) Tu ne comprends pas ? Rien de rien, pas un homme à l'horizon. La solitude complète.
Femme 2 - Ça ne va pas durer.
Femme 1 - (toujours agressive) Eh bien pourtant ça dure.
Femme 2 - Incroyable ! Une belle fille comme toi ! D'habitude si pleine d'allant. Toujours prête à partir à l'aventure. Une battante comme l'on dit aujourd'hui.
Femme 1 - (découragée) Ce n'est sans doute pas ce que les hommes cherchent. Ce qu'ils veulent, c'est des bobonnes bien tranquilles qui s'occupent de tout à la maison pendant qu'ils font carrière.
Femme 2 - Allons, ils ne doivent pas être tous comme ça.
Femme 1 - Si. Et ces bobonnes, quand elles ont mis le grappin sur l'un d'eux, elles ne le lâchent plus, c'est tout de suite la bague au doigt.
Femme 2 - Tu exagères. Le nombre de mariages est en chute libre.
Femme 1 - Était. Était en chute libre. Maintenant, la tendance s'est inversée, il faut lire les journaux. Pour une journaliste, tu la fiches mal !
Femme 2 - Ne te désespère pas. Ton tour viendra. J'en suis certaine.
Femme 1 - Décidément, tu ne comprends vraiment rien. Je ne veux pas être la boniche d'un homme, moi, je veux le grand amour.
Femme 2 - On veut toutes ça.
Femme 1 - J'en doute. Toi, par exemple, tu l'as trouvé le grand amour ?
Femme 2 - Non.
Femme 1 - Alors, tu as mis de l'eau dans ton vin ? Tu as accepté de jouer les boniches ?
Femme 2 - Non.
Femme 1 - L'homme avec qui tu vis, c'est quoi alors ?
Femme 2 - Personne.
Femme 1 - Comment personne ? Alors toi aussi tu es seule.
Femme 2 - Complètement seule. On ne peut plus seule !
Femme 1 - Ça n'a pas l'air de te traumatiser plus que ça.
Femme 2 - Détrompe-toi. Ça m'est insupportable.
Femme 1 - Tu caches bien ton jeu.
Femme 2 - (irritée) J'ai horreur de geindre.
Femme 1 - (vexée) Tu dis ça pour moi ?
Femme 2 - Je parle pour moi, c'est tout.
Femme 1 - D'ailleurs, rassure toi, je ne vais pas geindre longtemps.
Femme 2 - Tu vois bien que ton horizon n'est pas si bouché que ça.
Femme 1 - Si, mais je vais le déboucher... radicalement.
Femme 2 - Que veux-tu dire ?
Femme 1 - Je vais te faire voir.
Elle se lève et se dirige vers une commode, ouvre un tiroir et en sort un petit revolver.
Femme 2 - (effrayée) Tu veux tuer quelqu'un ?
Femme 1 - Oui.
Femme 2 - Mais qui mon Dieu ? Un homme qui t'as quittée ?
Femme 1 - Non. Personne ne m'a quittée puisqu'il n'y avait personne.
Femme 2 - Parle, à la fin. Tu me rends folle. Qui veux-tu éliminer ?
Femme 1 - Moi.
Femme 2 - Quoi : moi ?
Femme 1 - Je vais me tirer une balle dans la tête.
Femme 2 - (se précipitant sur elle) Arrête. Je t'en prie.
Femme 1 - (l'évitant) Rassure-toi, je ne vais pas faire ça devant toi.
Femme 2 - Devant moi ou pas, je t'interdis de le faire. Donne-moi cette arme.
Femme 1 - Il n'en est pas question. Ça pourrait te donner des idées. Après tout, toi aussi tu dois souffrir de ta solitude.
Femme 2 - Pas au point de vouloir me supprimer.
Femme 1 - On ne sait jamais. Les suicides, quelle qu'en soit la cause, sont beaucoup plus fréquents chez les individus possédant une arme. L'occasion faisait le larron ?
Femme 2 - C'est ton cas.
Femme 1 - Peut-être, mais ça ne regarde que moi.
Femme 2 - Ça me regarde aussi, tu oublies que je suis ta meilleure amie.
Femme 1 - Dans une situation comme la mienne, meilleure amie ne veut plus dire grand-chose. Quand on a pris une telle décision, on est déjà sur une autre planète, de l'autre côté du miroir.
Femme 2 - (changeant d'attitude) Très bien. Reste donc sur ta planète. C'est pour quand ce passage à l'acte ?
Femme 1 - Dans huit jours.
Femme 2 - (étonnée) La raison de ce sursis ?
Femme 1 - Une dernière chance.
Femme 2 - (soulagée) Tout n'est donc pas perdu. Tu m'as fait peur.
Femme 1 - Ne te réjouis pas trop vite. Une chance minime. Presque inexistante. La recherche d'un dernier échec pour me prouver qu'il n'y a vraiment plus rien à espérer.
Femme 2 - "Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir".
Femme 1 - Une formule idiote. Dans mon cas, tant qu'il y a de la vie, c'est du désespoir qu'il y a.
Femme 2 - Et pendant ces huit jours, qu'est-ce que je vais faire, moi ? Te téléphoner toutes les cinq minutes pour savoir où tu en es ? Accourir si tu ne réponds pas ? Faire enfoncer la porte, terrorisée à l'idée de trouver ton cadavre allongé sur la moquette ? Tu veux que je vive une pareille angoisse pendant toute une semaine?
Femme 1 - Non. Je te téléphonerai tous les soirs à dix neuf heures précises. Le soir où il n'y a pas d'appel, préviens la police.
Femme 2 - Tu découpes l'angoisse en tranches, une par jour. C'est tout aussi monstrueux. J'ai peur de ne pas pouvoir le supporter.
Femme 1 - Tu m'embêtes à la fin. Après tout c'est de ma mort dont il s'agit, pas de...