- Intérieur simple mais propre avec quelques objets indiquant l’origine un peu bourgeoise de la famille. Maia, la cinquantaine, est à la table du séjour et fait visiblement les comptes, préoccupée. Alexis rentre un bouquet à la main. Il reste planté devant elle, très fier tandis qu’elle ne lui jette pas un regard.
Alexis : hum hum…
Maia sans le regarder : Ah tu es rentré. Je ne trouve pas les factures d’engrais… Bon sang, il faut les régler avant la fin du mois.
Alexis : Je vais les chercher. Mais il ne bouge pas.
Maia sans lever les yeux : Merci. Nous n’avons pas reçu le paiement de Massina pour la livraison du mois dernier... Je vais peut-être faire attendre Mr Tsegala… oui, c’est possible… Il faudrait que j’en parle à sa femme, je vais la voir au comité du village demain.
Pendant ce temps, le mari continu d’essayer de se faire voir, n’écoutant pas ce qu’elle dit.. Elle crie pensant qu’il est dans une autre pièce :
Alex, tu as trouvé les factures ?
Alexis : ben, pas encore.
Surprise, de l’entendre si près, elle lève la tête et le voyant si benêt, éclate de rire.
Maia : Mais qu’est-ce tu fiches là, mon pauvre petit bonhomme. On dirait un gamin amouraché de sa maîtresse d’école.
Alexis : C’est que, j’ai vu ces fleurs sur la route, et j’ai eu l’idée de te les offrir. Aujourd’hui…
Maia: Oui… aujourd’hui. J’essayais de ne pas y penser à vrai dire. Mais tu es un amour.
Elle se lève et l’enlace.
Alexis : Je ne sais jamais comment te dire que ta douleur est aussi la mienne. Je ne veux pas te rappeler ce jour terrible mais je sais que tu y penses aussi. Et je ne veux pas que tu te sentes seule.
Maia : Oui, je sais Alexis… Elle serait presque une jeune fille à présent… Comme c’est désolant de nous voir là, presque deux petits vieux. Tout seul.
Alexis : Il n’est peut-être pas trop tard.
Maia : Ne sois pas sot. A mon âge, c’est impossible. Nous n’aurons pas de descendant, il faut se rendre à l’évidence. Quand nous ne serons plus là, le verger et la maison reviendront à Khoutavi. C’est le village où nous avons grandi tous les deux. Comme un père, il a été à nos côtés et nous lui lèguerons nos biens, comme nous l’aurions fait à notre enfant.
Alexis : Oui, il faut se dire que c’est bien comme ça. Mais avec ces dettes…
Maia : Je te défends de baisser les bras, Alexis, tu entends ?! Le maire de Massina, il n’attend que ça. Que nous abandonnions. S’emparer du verger, comme de tous ceux qu’il a déjà conquis on ne sait trop comment. Dieu seul sait ce qu’ils peuvent faire de toutes ces pommes !
Alexis : calme-toi ma poussinette, tu te fais des idées. Ce type n’est pas si malin ni si méchant… Il ne nous achèterait pas nos fruits s’il n’en avait pas besoin.
Maia : Quel naïf tu fais mon pauvre bonhomme ! Et en plus, il nous tient. C’est notre seul client. Il décide des prix, des délais, juste pour nous dominer. Et là, en plus, il ne paye même pas ! De toute façon, madame Guéla me l’a bien dit qu’il a des vues sur notre verger. C’est la femme de notre maire, non ? Elle sait forcément des choses que son mari et le maire de Massina ont discuté ensemble.
Alexis : Notre maire, il va bien nous soutenir. Il le sait que le verger reviendra à Khoutavi après nous, puisque nous n’avons pas… enfin…
Maia : Guéla est un imbécile, un faible, au mieux. Mais je ne suis pas loin de penser qu’il trouve des avantages personnels à se laisser manipuler par Massina. Sa femme a trop de robes différentes pour une femme de fermier, même prospère. Elle se pavane. Elle se permet même de fumer en public !
Alexis exprime par une mimique qu’il ne voit pas le rapport. Elle secoue la tête, et lui fait signe de laisser tomber.
Maia : Elle parle aussi, trop. Nous les femmes, nous les ressentons toutes ces manigances, c’est comme un 6ème sens.
Alexis : Poussinette, n’en parlons plus. Je suis juste fatigué ce soir. Je voudrais passer une soirée tranquille. On mange quoi ce soir ?
Maia le regarde et montre les papiers devant elle. Et retourne à ses comptes. Il prend le bouquet dans ses mains, le repose, déçu. Puis, sur une intuition soudaine, va mettre de la musique. Elle s’arrête, le regarde attendri. Il vient, l’invite à danser comme un gentleman. Ils dansent tendrement.
2. Un couple marche, la femme enceinte et portant un bébé dans les bras. Lui, trainant une charrette ou portant des paquets. Il pleut, il y a du vent, il semble faire très froid. Ils sont épuisés.
Osséna : Asnil, Asnil, je n’en peux plus. Asnil, arrêtons-nous ici s’il te plait.
Il regarde autour de lui, incrédule.
Asnil : Ici ? Y’a rien ici !
Osséna : Non, y’a rien ici. Y’a rien… Pour nous, de toute façon, y’a rien, nulle part. Je n’en peux plus Asnil. Le bébé doit téter… s’il y a encore du lait dans mon sein. Je suis si fatiguée. Asnil, arrêtons-nous.
Asnil : Si on continue encore, on trouvera peut-être un village. Des gens pour nous héberger.
Osséna : Asnil, crois-tu encore à ce que tu dis ?
Asnil : Ben quoi ?
Osséna : Nous avons été chassés de Karia, et avant ça de Salavi, et avant ça…
Asnil : oui, oui mais il ne faut pas se décourager quand même…
Osséna : …pas se décourager ? Asnil, nous sommes des Dgigans! Personne ne veut de nous, nulle part, jamais. Notre peuple est indésirable, où que ce soit, depuis toujours. Nous sommes des parias, des riens, des poux, d’absolus non-humains pour tous ces gens confortablement installés dans leurs petites habitudes de petits villageois étriqués. Je les hais ! Ils ont ce que leur naissance leur a donné et ils méprisent ceux qui n’ont rien. Mais dis-moi Asnil, qu’est-ce qui leur donne le droit que nous n’avons pas de posséder une maisonnette à l’abri du vent et de la pluie, de la soupe pour nourrir leurs enfants, une terre à cultiver…
Asnil : …un chien !
Osséna regarde autour d’elle paniquée. Ne voyant aucun chien, elle se retourne pour interroger son mari du regard.
Asnil : Un chien ! J’aimerais bien en avoir un. C’est utile, un chien, pour protéger la famille et garder les affaires. C’est drôle aussi. J’en ai vu un à Karia qui savait marcher sur 2 pattes… Les deux de derrière je crois… Enfin peut-être… Je suis plus très sûr. C’est possible les pattes de devant tu crois ?... S’il marche sur les pattes de devant, comment il regarde où il va ? Il mime les positions, essayant de voir ce qui est possible. Oui, peut-être, celles de dernières…
Osséna : Je suis si fatiguée ! Elle s’effondre.
- Chez les Magava. Elle est seule en train de laver la vaisselle. Le maire de Massina frappe à la porte. Elle va ouvrir.
Maia : Monsieur le maire…
Le maire : Madame Magava ! Toujours aussi ravissante ! Comment vous portez-vous ?
Maia : Nous allons...