Petits paris entre amis

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Léa, Clémence, Paul et Adrien sont quatre amis célibataires. Ils parient depuis dix ans la même grille à l’Euro Millions. Pour fêter les dix ans de ce pari commun, le quatuor se retrouve dans un gîte perdu au fin fond de la Normandie. Paul, persuadé par une voyante, est convaincu qu’ils vont enfin gagner la super cagnotte. Du coup, il est beaucoup moins convaincu de vouloir la partager avec ses acolytes. Pour arriver à ses fins, il va monter un stratagème. Adrien, Léa et Clémence débarquent au gîte, accueillis par Pétrouchka, l’intendante, qui n’est autre que la voyante. Paul arrive en retard, sous prétexte de n’avoir pu descendre à la bonne gare… L’endroit, isolé, est propice à des révélations intimes. Elles vont générer des tensions proches de la haine. Clémence et Adrien ne cessent de se chamailler. Léa, au caractère peu enthousiaste, semble connaître la face cachée des uns et des autres. Paul fait comme si de rien n’était… Et puis, au moment du tirage de l’Euro Millions, un coup de théâtre survient, qui en annoncera d’autres… Les masques vont tomber… Mais lesquels ? A quel double jeu joue Pétrouchka ? Et à quoi joue vraiment tout ce petit monde ?

prologue

 

Le prologue peut se passer en voix off, ou sur scène avec une lumière n’éclairant que la table de la voyante autour de laquelle sont assis Paul et la voyante, ou en avant-scène devant le rideau.

Pétrouchka - Je vois que la chance va tourner en votre faveur… Une fois de plus…

Paul - Si vous voyez aussi juste que les dernières fois… J’ai bluffé mes amis.

Pétrouchka - Je vous l’avais dit, je l’avais vu… Et côté cœur ?…

Paul - Comme vous me l’aviez prédit. À la fin de notre dîner, mitonné avec des petits plats surgelés de toute première qualité, elle m’a largué ! Mais elle ne sait pas que je sais pour qui ! Et ce grâce à vous ! Là aussi, vous aviez vu juste ! Quand je vous avais dit qu’il tournait autour d’elle, je ne m’étais pas trompé ! Mais enfin maintenant je me sens libre… C’est incroyable ! Et dire qu’au début j’étais sceptique…

Pétrouchka - Vous avez confiance maintenant ?

Paul - Plus que jamais… Donc là, pour l’Euro Millions, vous êtes certaine ?

Pétrouchka - Puisque je vous le dis… Tous les chiffres que vous avez joués dégagent des ondes positives extraordinaires… C’est dans la poche. Vous êtes un millionnaire en puissance !… Quelque chose ne va pas ?

Paul - Je ne sais pas si je dois vous le dire…

Pétrouchka - Je suis prête à tout entendre. Mais vous êtes libre. Je ne vous oblige à rien. Tout ce qui est dit ici, reste ici…

Paul - Vous avez raison… Eh bien voilà… Cela fait dix ans que nous sommes quatre à parier la même grille, et la perspective de gagner et de devoir partager…

Pétrouchka - Ah ! je vois…

Paul - Vous aviez vu ?

Pétrouchka - Euh… oui… Mais je ne voulais pas vous en parler, pour ne pas vous influencer…

Paul - Vous avez vu ce que je pensais ?

Pétrouchka - Oui… Je vois que vous songez à éliminer vos partenaires de jeu…

Paul - C’est terrible ! Je ne peux rien vous cacher… L’idée n’a fait que m’effleurer !

Pétrouchka - Mais elle est restée accrochée !

Paul - Je ne peux pas faire ça…

Pétrouchka - Vous, non…

Paul (après un court silence) - Que voulez-vous dire ?

Pétrouchka - La réponse est dans votre question. Je vois bien que vous m’avez parfaitement comprise !

Paul - À supposer que je vous aie comprise… Mais vraiment « à supposer »… Qui ?

Pétrouchka - Moi…

Paul - Qui ?

Pétrouchka - Moi !…

 

rideau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’action se déroule dans la pièce principale d’un gîte perdu dans le Cotentin… Le décor est rustique. Il y a une porte-fenêtre au fond, une cheminée à gauche, une armoire normande à droite. Une entrée côté cour et jardin. Un escalier mène aux chambres. La porte donnant dans la cuisine est ouverte. On entend une voiture se garer.

Adrien (des coulisses) - Merci monsieur, ça ira très bien comme ça… C’est ça, à demain soir… (La voiture repart.) Il est bavard comme une pie ! Tiens, la porte est ouverte…

Adrien, Léa et Clémence entrent en scène par la porte-fenêtre.

Léa - À part ses chèvres et ses vaches, il ne doit pas avoir grand monde à qui parler ! (Regardant la déco.) Oh là là ! Mais on est tombé où ?

Adrien - On n’aurait jamais dû laisser Paul s’occuper de l’organisation.

Léa - Confier quelque chose à Paul, c’est toujours risqué.

Clémence - Vous êtes mauvaise langue… Je trouve ça sympa, ça change.

Léa - Pour changer, ça change…

Clémence - C’est bien le but de nos week-ends ?

Léa - Il n’a jamais été précisé qu’il fallait avoir une vocation d’ermite…

Adrien - Ce qui est agréable avec toi Clémence, c’est que tu trouves toujours quelque chose de bien dans n’importe quoi.

Clémence - C’est un reproche ?

Adrien - Pourquoi un reproche ?

Clémence - Parce que côté compliments, tu es plutôt avare.

Adrien - Tu es injuste… C’est ton petit côté parano qui ressort…

Clémence - Et voilà ! Injuste et parano… Si ça, ce sont des compliments…

Adrien (prenant visiblement sur lui) - Ce n’est pas ce que je voulais dire…

Clémence - Mais tu l’as dit…

Léa - C’est fini ?

Adrien et Clémence ensemble :

Adrien - C’est elle qui a commencée !

Clémence - C’est lui qui a commencé !

Léa - À qui je donne la fessée en premier ?

Adrien - À moi !…

Léa - Le contraire m’aurait étonnée ! Si vous pouviez éviter de vous chamailler pour un oui ou pour un non, ça reposerait tout le monde.

Adrien - Tu as raison. D’autant que c’était un compliment quand je te disais que tu trouvais toujours quelque chose de bien dans n’importe quoi !

Clémence - Là, il va falloir que tu développes.

Adrien - Je développe. Mercredi dernier, au vernissage de ce peintre tchèque…

Léa - Encore une brillante idée de Paul !

Adrien - Le gars n’a peint que des tableaux en gris et noir… Pas un personnage, pas un paysage, que des carrés, des losanges… Des taches… Bref, du grand n’importe quoi, eh bien toi tu as trouvé son œuvre, parce qu’il paraît qu’on appelle ça une œuvre, tu l’as trouvée intéressante, qu’il y avait de la recherche, une perspective, et tout plein de trucs super ! Tu nous as sorti le lexique du parfait petit amateur d’art contemporain. Je ne te savais pas aussi férue.

Clémence - Moi non plus… J’étais dans l’improvisation la plus totale.

Adrien - Ben chapeau !… Tu étais très convaincante.

Clémence - Je te remercie.

Adrien - C’est sincère… J’en veux pour preuve le type qui était à côté de toi. Il buvait littéralement tes paroles !

Léa - Moi, j’ai essayé de les boire, mais ça m’a vite saoulée ! Pour moi, un gris est un gris. Une tache est une tache et une tache grise est une tache grise ! Quant à savoir ce que l’artiste a voulu exprimer là-dedans ? Un fond de nuage radioactif ou un fond marin après un tsunami ? Franchement c’est le cadet de mes soucis ! Pour moi, ce genre de toile reste un fond perdu !… Enfin, pas perdu pour tout le monde ! Vous avez vu combien il vendait ses taches le Tchèque ?

Adrien - Le pire c’est qu’il a pratiquement tout vendu ! Je suis sûr que le type qui t’écoutait en a acheté…

Clémence - Ça m’étonnerait.

Adrien - Je suis prêt à parier !

Clémence - Tenu !

Adrien - Tenu !

Clémence - Vingt euros, comme d’habitude ? Ou tu te risques à plus ?

Adrien - On reste sur la mise habituelle.

Clémence - Tope là ! (Ils topent.) Perdu !

Adrien - Pourquoi ?

Clémence - C’était le peintre !

Adrien - Je l’ai échappé belle ! J’étais à deux doigts de doubler la mise !

Clémence - Ah zut !

Adrien - Il y a quelque chose d’excitant de savoir que je suis passé à deux doigts de perdre plus !

Léa - Et puis il y a quelque chose de moins excitant, c’est de savoir que l’on est dans un trou paumé !

Adrien - Un trou normand !

Clémence - Recommandé par « Le guide du routard » !

Léa - Il a dû en écluser des trous normands, le routard ! Parce qu’il faut être bien bourré pour atterrir ici !

Adrien - Ce qui est agréable avec toi, Léa, c’est que tu trouves toujours quelque chose à redire à tout !

Léa - Il faut regarder les choses en face ! Pour habiter là, il faut aimer parler à son ombre !… Il n’y a pas une seule âme qui vive à moins de cinq kilomètres, et encore !…

Clémence - Et alors ? Ce n’est pas le bout du monde !

Léa - Le bout du monde n’existe pas, puisque la terre est ronde !

Clémence - Le monde ne se résume pas qu’à la terre !

Léa - Tu as raison. À cent mètres aux pieds des falaises, il y a la mer…

Clémence - Et après la mer, il y a l’Angleterre…

Adrien - … que tu peux voir quand l’horizon est dégagé.

Léa - Ça me fait une belle jambe !… (Désignant la télévision.) Avec un peu de chance, on ne va capter que la BBC !

Clémence - Ce serait marrant, je ne connais pas les programmes anglais.

Léa - Ce n’est pas ce que l’on est venu voir, surtout ce soir !

Adrien -...

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