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Scène 1
La scène se passe à l’accueil d’un important village de vacances ‘All inclusive’ dans un pays tropical en bordure de mer aux plages paradisiaques et à huit mille kilomètres de Paris.
Un couple de vacanciers français et leurs deux jeunes enfants (moins de dix ans) tout juste débarqués de l’avion, arrivent en taxi avec leurs valises. Madame est enceinte de quatre mois. Tout le monde est joyeux de venir passer dix jours dans ce formidable endroit où les activités de loisirs, les collations, les consommations sont toutes à volonté. Les enfants sont surexcités malgré les dix heures passées dans l’avion, pressés d’aller se baigner dans la grande piscine à vagues vantée par le prospectus de l’agence de voyage.
Marie : Oh mon chéri ! Que je suis heureuse d’être ici !
Alexandre : Oui mon amour, nous allons passer un merveilleux séjour.
Justine : – le nez collé à la vitre intérieure de l’accueil donnant sur le village – Maman, maman, je vois la piscine à vagues. Vite ! Je veux y aller !
Martin : – qui a rejoint sa sœur Justine – Oh oui ! – il saute sur place – On y va ! On y va !
Alexandre : On se calme les enfants. On doit d’abord faire les formalités.
Il s’approche du comptoir suivi de sa femme. Le comptoir est bas, à la hauteur réglementaire d’une personne en fauteuil roulant. Derrière le comptoir, hôtesse 1 est assise devant son ordinateur. Elle regarde d’un air amusé l’impatience des enfants. Elle sourit très agréablement au couple. Martin continue sa litanie en sautant sur place.
Hôtesse 1 : Bonjour messieurs-dames. Soyez les bienvenus au ‘village enchanteur’. Je suis Lucie, à votre service.
Alexandre : – Elle est jolie et Alexandre est sous le charme – Bonjour Madame. Heu… Nous avons réservé un séjour chez vous…
Hôtesse 1 : – affable – Mais certainement, monsieur. Pouvez-vous me remettre le voucher[1] (vaoutcheur) que vous a confié votre agence de voyage ?
Alexandre : – Un peu gêné par le manège de ses enfants – Ah oui, le voucher… – Il se tourne vers son épouse qui le sort précipitamment de la pochette plastique à l’effigie d’une agence de voyage et le tend à son mari. Le voici.
Hôtesse 1 consulte le document, elle tape une référence sur son clavier, consulte de manière habituelle son écran. Marie est allée auprès des enfants pour les calmer car ils cassent les oreilles
Hôtesse 1 : – Elle parle pour elle-même – Quatre personnes, niveau de prestation B, bungalow 17… Vue sur mer exigée. Tout a l’air correct, monsieur…
Elle cherche le nom sur l’écran.
Alexandre : Hultou. Avec un ‘H’. H, U, L, T, O, U. Alexandre et Marie Hultou.
Hôtesse 1 : Tout à fait. Je vous demanderai de me présenter vos passeports, monsieur Hultou.
Alexandre : Ah ! Oui… Bien sûr. Heu… chérie ? La dame nous demande de lui présenter nos passeports.
Marie : – qui s’approche et sort rapidement les passeports de son sac à main et les tend à hôtesse 1 – Les voilà.
Hôtesse 1 : Je vous remercie, madame.
Hôtesse 1 consulte les passeports avec un air soucieux. Alexandre le remarque.
Alexandre : Quelque chose ne va pas avec nos passeports, madame ?
Hôtesse 1 : C’est étrange, aucun n’a été tamponné à votre arrivée à l’aéroport… C’est pourtant la procédure habituelle. Dans ce cas très exceptionnel, je vais devoir les garder pour les confier à l’administration des douanes afin qu’ils soient visés. Notre coursier va les apporter immédiatement en ville.
Elle actionne un buzzer.
Alexandre : Vous laisser nos passeports ? Ah mais non, c’est …
Hôtesse 1 : Je suis désolée mais vous devez vous y soumettre… – s’adressant au couple sur le ton de la confidence – Dans ce pays, en dehors du village, règne une dictature militaire !! Ils ne plaisantent pas, vous savez ? Sans vos passeports en règle, vous pourriez avoir de graves ennuis. La Sécurité intérieure contrôle souvent les ressortissants étrangers sur son sol. – s’adressant à Alexandre – Mais ne vous inquiétez pas, monsieur, nous vous les restituerons dans le courant de la semaine.
Marie : – de manière un peu moqueuse à son mari qui semble embarrassé – Qu’est-ce qui te chagrine, monsieur Hultou… T’as peur qu’on te garde ici ?
Alexandre : – Il hausse les épaules – Mais non, mais c’est que… – se ravisant – Non mais t’as raison. On s’en fiche ! On n’en aura pas besoin… On est là pour s’amuser !!
La porte d’entrée s’ouvre, un homme casqué se présente
Coursier : Bonjour
Il se dirige vers le comptoir. Hôtesse 1 lui remet une enveloppe kraft scellée dans laquelle elle vient de glisser les quatre passeports. Elle lui donne quelques consignes dans un langage local. Il sort sous le regard inquiet d’Alexandre qui voit s’éloigner les précieux documents d’identité.
Coursier : Au revoir
Hôtesse 1 présente aux enfants des bracelets multicolores.
Hôtesse 1 : – Attirant l’attention des enfants avec douceur – Les enfants !
Justine et Martin : – Se précipitant au comptoir et dans un bel ensemble – Ohhhhhhhhhhh !!!! C’est beauuuuuuuu !
Hôtesse 1 : – s’adressant aux parents à travers les enfants – Vous voyez les enfants, grâce à ce bracelet, vous pourrez profiter de tous les jeux installés dans le village comme <énumération de jeux pour enfants dans village vacances>.
Justine : – coupant hôtesse 1 – Et la piscine à vagues ?
Hôtesse 1 : Et la piscine à vagues.
Martin : Ouais, c’est trop bien !
Hôtesse 1 : Et aussi, vous pourrez aller manger avec vos parents à n’importe quel moment de la journée. Le buffet sera toujours ouvert et bien approvisionné.
Martin : Y aura des frites ?
Justine : Et des glaces ?
Hôtesse 1 : Autant que vous voudrez.
Les yeux des enfants s’arrondissent d’émerveillement.
Marie : Attention tous les deux… Ne rêvez pas quand même, hein ? Pas question de vous gaver de sucre et de patates. Vous mangerez d’abord des légumes !
Martin et Justine : – Dans un bel ensemble – Oh nonnnn ! Pas les haricots verts.
Hôtesse 1 : – à Justine – Donne-moi ton poignet, jeune fille. – Elle lui attache le bracelet – Voilà, tu es très belle ! – s’adressant aux parents tout en fixant le bracelet au poignet de Martin – Les bracelets des enfants ne peuvent pas être retirés. C’est pour éviter qu’ils ne les perdent. Ils sont aussi magnétiques et permettent de contrôler les accès. Comme cette barrière – elle désigne le portillon qui permet d’entrer dans le village – et avec votre téléphone, vous pourrez les géolocaliser sur le village.
Alexandre : Ingénieux.
Marie : Ça marchera aussi pour mon mari ?
Alexandre : Houa, très drôle !!
Hôtesse 1 tend les deux autres bracelets aux parents.
Hôtesse 1 : Plusieurs niveaux de prestations étant possibles, il vous sera demandé de vous identifier à des bornes à chaque fois que vous voudrez profiter des services de ce village. Le plus simple sera que vous portiez ce bracelet en permanence durant le séjour… Il est léger, étanche, antiallergique. – Elle montre le sien – On s’y habitue très vite.
Hôtesse 1 décroche le téléphone. Pendant ce temps, Marie et Alexandre mettent leurs bracelets.
Hôtesse 1 : Agung ? Peux-tu venir, s’il te plait, une famille à conduire à son bungalow… Merci. – Elle raccroche – Agung va vous accompagner à votre logement. Vous y trouverez une collation de bienvenue. Agung parle français, il pourra vous donner tous les renseignements utiles. Dans votre bungalow, il y a un interphone relié à l’accueil où il y aura toujours quelqu’un pour vous assister.
Marie : Je vous remercie. Tout cela me semble parfait.
Hôtesse 1 : C’est tout à fait normal, madame, vous êtes au ‘village enchanteur’.
Scène 2
Un homme entre et s’approche en tenue asiatique d’employé. Il est dans la zone village, c'est-à-dire derrière le portillon automatique.
Agung : – Très digne et très respectueux – Bonjour messieurs-dames, je me nomme Agung. Je suis à votre service.
Il s’incline.
Alexandre : – Un peu gêné par ce cérémonial dont il n’a pas l’habitude – Heu… Bonjour Heu… Ça va ?
Hôtesse 1 : Si vous voulez bien passer de l’autre côté du portillon, messieurs-dames, vous pourrez vous installer dans la voiturette. Agung va prendre en charge vos bagages. Pour ouvrir, vous devez passer le bracelet devant le capteur.
Elle désigne un boitier noir près du portillon. Marie récupère ses bagages et s’engage devant le portillon. Elle passe son poignet gauche devant le capteur, un bip court se fait entendre et le portillon s’ouvre. Elle passe, il se referme.
Martin : – surexcité – À moi !!
Justine : Non, à moi !
Ils commencent à se chamailler en se repoussant de l’épaule.
Alexandre : Mais arrêtez donc ! Chacun son tour. Martin ! Tu es le plus grand ! Laisse donc passer ta sœur !
Martin : – Il proteste – J’en ai marre, c’est toujours elle…
Justine lui tire la langue et, avec un sourire jusqu’aux oreilles, elle imite sa mère : le portillon s’ouvre pour elle, elle passe très fière et le portillon se referme.
Alexandre : Allez, à toi Martin, qu’on en finisse.
Il est impatient de se débarrasser des trois valises qu’il tient tant bien que mal. Martin passe à son tour très rapidement, craignant que le portillon ne se referme sur lui. Vient le tour d’Alexandre. Il présente son poignet gauche et le capteur lui renvoie un bip prolongé et le portillon reste clos.
Alexandre : – Encombré – Mais qu’est-ce qui se passe ?
Hôtesse 1 : Ça n’a pas pris, monsieur Hultou. Je vous prie de bien vouloir repasser votre poignet devant le capteur.
Alexandre s’exécute, le même bip long se fait entendre et le portillon reste clos.
Hôtesse 1 : – En se penchant sur son ordinateur – Il doit y avoir eu un problème lors de l’activation de votre bracelet, cela arrive parfois… Je suis désolée.
Martin : – impatient – Maman, je veux aller à la piscine à vagues, je veux aller à la piscine à vagues !
Justine : – aussi impatiente – Oui !! La piscine à vagues… J’ai chaud ! Je veux me baigner.
Marie : Oui bon, mais vous attendrez ! Votre père ne peut pas entrer, alors on patiente. Compris ?
Martin et Justine : – impatients – On y va ! On y va ! Allez, maman, je veux aller à la piscine à vagues, je veux aller à la piscine à vagues !
Hôtesse 1 : Non, vraiment, je ne vois pas, tout a l’air normal…
Les enfants sont turbulents et leur mère a du mal à les calmer. Ils se mettent à se poursuivre en tournant autour d’elle.
Alexandre : Écoute Marie, je propose que vous alliez au bungalow avec le monsieur et que tu t’occupes des enfants… Je vous rejoins dès que possible.
Marie : Oui, tu as raison… Ils sont tellement excités.
Alexandre : – s’adressant à Agung – Pouvez-vous prendre en charge mes valises, monsieur ?
L’homme s’approche prestement du portillon et récupère un à un les bagages par-dessus la séparation. Pendant ce temps, les enfants continuent leur litanie.
Marie : – en ouvrant la porte vitrée donnant sur le village – Bon… À tout de suite, chéri. – Elle désigne son téléphone et prononce sans voix – Je t’appelle.
Elle sort, un enfant à chaque main, Agung la suit couvert de bagages.
Scène 3
Hôtesse 1 pianote toujours sur son clavier à la recherche du problème d’accès.
Hôtesse 1 : Pourriez-vous, s’il vous plait monsieur, me restituer le bracelet.
Alexandre : Oui, – il le détache de son poignet et le tend à hôtesse 1 d’un air dragueur – Le voici, ce gros vilain.
Hôtesse 1 : – faisant un sourire contraint – Merci.
Hôtesse 1 le teste avec une sorte de douchette.
Hôtesse 1 : Non, tout est en règle. On dirait que le problème vient de votre contrat de séjour.
Alexandre : Comment ça ?
Hôtesse 1 : C’est comme si vous… n’aviez pas souscrit, tout en ayant souscrit. Je n’ai jamais vu ça !
Alexandre : J’ai du mal à vous suivre.
Le téléphone d’Alexandre sonne. Il décroche.
Alexandre : Oui chérie ? Tu y es ? C’est bien ? Tant mieux ! – tout en parlant, il s’est placé dans un coin éloigné du comptoir et de dos pour préserver l’intimité de la conversation. Pendant qu’il converse, hôtesse 2 entre par une porte de service et parle en voix non prononcée à hôtesse 1. Cette dernière prend un air catastrophé, pianote sur l’ordinateur rapidement, puis quitte son poste précipitamment en prenant son sac à main. Hôtesse 2 prend sa place derrière le comptoir.
Et les enfants ? – Un temps, il rit – Moi aussi, avec mon frère, je me disputais pour dormir en haut… Propose-leur une semaine chacun ! – Un temps – Ben, je sais pas trop. Un problème avec le contrat, il semble… – Un temps – Ne t’inquiète pas, ça va se régler. Je vous rejoins vite. Détends-toi ! Profite ! – Un temps – C’est ça ! À tout à l’heure, mon amour… Bisous…
Il raccroche et se retourne et marche vers le comptoir les yeux encore sur son téléphone.
Alexandre : C’est que mon épouse est enceinte, vous comprenez, il ne faut pas qu’elle soit – Il lève les yeux sur hôtesse 2 – contr…
Il se fige, découvrant hôtesse 2.
Hôtesse 2 : Bonjour Monsieur, Soyez le bienvenu au ‘village enchanteur’. Je suis Caroline, à votre service.
Alexandre : Heu... Bonjour… Je ne comprends pas… Mais où est la dame qui était là, il y a un instant ?
Hôtesse 2 : Vous parlez sans doute de Lucie. Elle a dû s’absenter en urgence car elle doit récupérer sa fille malade à la maternelle. Je la remplace donc… Que puis-je faire pour vous être agréable, monsieur ?
Alexandre : – un peu excédé — Eh bien, je voudrais… pouvoir enfin entrer dans ce village.
Hôtesse 2 : Je regrette, monsieur, mais l’accès est strictement réservé aux résidents.
Alexandre : Mais je suis résident !
Hôtesse 2 : Ah, je comprends… Vous venez juste d’arriver, c’est cela ?
Alexandre : Oui, avec ma femme et mes deux enfants…
Hôtesse 2 : Dans ce cas, monsieur, pouvez-vous me remettre le voucher que vous a confié votre agence de voyage ?
Alexandre : Le voucher ? Mais vous l’avez, le voucher ! Je l’ai donné à votre collègue il y a quelques minutes. Mais enfin, elle ne vous a rien dit de ma situation ?
Hôtesse 2 : Désolé monsieur, je n’ai pas été informée. Comme je vous l’ai dit, ma collègue a été appelée en situation d’urgence et…
Alexandre : Mais ici aussi, c’est une situation d’urgence – Il commence à s’énerver – C’est une situation d’urgence de… vacances ! – Il fait des petites tapes du poing sur le comptoir – Je veux rejoindre ma famille qui est entrée dans le village et que je ne peux pas rejoindre à cause d’un bête bracelet qui ne fonctionne pas !
Hôtesse 2 : Je ne vois aucun bracelet à votre poignet, monsieur. – suspicieuse — Êtes-vous sûr que vous êtes résident ? – sévèrement – Les représentants et autres démarcheurs sont interdits dans le village, monsieur, comme le stipule cet écriteau !
Elle lui désigne du doigt un panonceau accroché derrière le comptoir.
Alexandre : Mais non, mais j’hallucine là ! Vous mettez ma parole en doute ? Regardez ! Regardez donc sur votre écran. Elle était en train de rechercher pourquoi je n’avais pas l’accès.
Hôtesse 2 : – désignant l’écran de l’ordinateur – Avant de partir, ma collègue a fermé sa session, c’est le règlement. Et je n’ai pas son mot de passe, je m’en défends…
Alexandre : – Toujours énervé — Eh bien, ouvrez donc la vôtre de session et retrouvez mon dossier qu’on en finisse ! Hultou Alexandre. Bungalow… 17, si j’ai bonne mémoire.
Hôtesse 2 : Monsieur, je vous demande de vous calmer. Je ne fais qu’appliquer le règlement de cet établissement.
Alexandre : – il se calme – Je vous prie de m’excuser si j’ai été incorrect envers vous, madame… Mais la situation est tellement… grotesque.
Hôtesse 2 : – Elle consulte son ordinateur – Voyons, voyons, voyons. Je vois un monsieur et madame Hultou avec deux enfants… Arrivés… – comme si c’était amusant – aujourd’hui.
Alexandre : Ben oui, aujourd’hui, il y a quelques minutes ! Au bungalow 17. C’est bien ça ?
Hôtesse 2 : C’est cela ! Et donc, vous souhaitez déjà leur rendre visite ? – trouvant cela cavalier – Vous pourriez les laisser s’installer quand même.
Alexandre : Mais qu… Qu’est-ce que vous racontez, je ne souhaite pas leur rendre visite ?
Hôtesse 2 : Et bien alors que faites vous là, monsieur ?
Alexandre : – Il s’énerve à nouveau – Mais je suis monsieur Hultou. Alexandre Hultou. Le résident qui devrait être avec madame Hultou, Marie Hultou et mes enfants Hultou Justine et Martin Hultou. Dans le bungalow 17 avec vue sur la mer et des prestations de niveau B. Et je suis là ! Devant ce comptoir depuis une demi-heure sans pouvoir franchir cette put… de barrière.
Hôtesse 2 : Monsieur, je vous en prie. Restez correct ! Si vous continuez à être agressif je vais devoir appeler la sécurité.
Alexandre : Mais vous aussi là, vous le faites exprès. J’arrive pas à vous faire comprendre qui je suis.
Hôtesse 2 : – très procédurière – Ainsi vous déclarez que vous êtes monsieur Hultou !
Alexandre : Oui, c’est moi !
Hôtesse 2 : Vous déclarez être le résident du bungalow 17 avec vue sur la mer, niveau de prestation B ?
Alexandre : Oui, c’est moi, je vous dis.
Hôtesse 2 : – Elle croise ses bras et regarde Alexandre par en dessous – Alors pourquoi mon logiciel me dit que Alexandre Hultou est rentré dans le village il y a exactement vingt-sept minutes, à la suite de son épouse et de ses deux enfants ? Hein ?
Alexandre : – Il s’emporte encore – Mais c’est n’importe quoi ? Je ne suis pas rentré dans le village. Je n’ai jamais pu franchir ce portillon à cause de ce maudit bracelet. Vous dites n’importe quoi !
Hôtesse 2 : A monsieur, moi l’ordinateur il me dit que… (vous êtes rentré…)
Alexandre : – Il la coupe impoliment– Et alors ? L’ordinateur, il vous dirait de vous jeter de la falaise, vous le feriez ?
Hôtesse 2 : Monsieur, encore une fois, restez correct.
Alexandre : Eh bien, pour la dernière fois, madame, je vous affirme que suis Alexandre Hultou et j’exige de pouvoir rejoindre ma famille pour profiter de mon séjour que j’ai payé à votre société. Mon épouse est enceinte et ne doit pas être contrariée. Je dois la rejoindre au plus vite pour la soulager car elle s’occupe seule de nos deux jeunes enfants, vous comprenez ?
Hôtesse 2 : Oui, oui… Ça, pour faire des gosses… Après, faut s’en occuper.
Alexandre : Mais enfin ? De quoi je me mêle, madame ?
Hôtesse 2 : C’est vous qui m’avez demandé mon avis… Bon, vous prétendez toujours être ce monsieur Hultou... Alexandre
Alexandre : – un peu las – Oui !
Hôtesse 2 : Eh bien, cela va être facile à vérifier. Pourriez-vous, s’il vous plait, me présenter votre passeport ?
Elle tend la main paume vers le haut vers Alexandre.
Alexandre : Mon passeport ? Mais… Mais… Je ne l’ai plus, mon passeport. C’est vous qui l’avez !
Hôtesse 2 : Moi ? Certainement pas ! Vous ne me l’avez pas encore donné.
Alexandre : Mais pas à vous, à… Lucie.
Hôtesse 2 : Ah ! Vous connaissez Lucie ?
Alexandre : Mais non, je ne connais pas Lucie. Comment voulez-vous que je connaisse Lucie ?
Hôtesse 2 : – d’un air entendu – Allez… On me la fait pas, hein ?… Qui confierait son passeport à une personne qu’il ne connait pas, monsieur soi-disant Hultou ? Cela dit, avec Lucie, même si vous ne l’aviez pas connue, vous n’auriez pas eu à vous en faire… Il n’y a pas plus honnête. Pour ça !
Alexandre : – Il fait un effort sur lui-même pour ne pas s’emporter encore – Écoutez, nous avons dû confier nos quatre passeports à votre collègue Lucie dès notre arrivée dans ce village. Ils devraient nous être restitués dans quelques jours. Vous comprenez maintenant pourquoi je ne peux pas vous présenter mon passeport ?
Hôtesse 2 : Je sais juste que vous ne pouvez pas vous promener à l’extérieur du ‘village enchanteur’ sans votre passeport. C’est strictement interdit pour tous les étrangers de ce pays. Or, de ce côté du portillon, vous êtes légalement hors du village. – sur le ton de la confidence– Une fois, une patrouille en a attrapé un sans son passeport, un Allemand, sur la route qui mène à la ville. – Elle secoue sa main – Ah, ils ne rigolent pas, vous savez… Il est bien resté trois mois en prison avant d’être expulsé – elle met sa main contre sa bouche – sans parler des bakchichs.
Alexandre : – Il soupire d’angoisse – Il ne manquait plus que ça !
Hôtesse 2 : Moi si j’étais vous…
Alexandre : Quoi si vous étiez moi ?
Hôtesse 2 : Je demanderai à Lucie de me rendre mon passeport au plus vite !
Alexandre : Mais je vous répète que…
Hôtesse 2 : Bon écoutez, comme vous connaissez Lucie et que vous avez l’air sincère, je veux bien vous croire sur parole, monsieur Hultou.
Alexandre : Enfin ! – très joyeux – Et vous allez me faire entrer ?
Hôtesse 2 : – Elle rit– Oh, oh, comme vous y allez, vous. Non je vais regarder votre dossier pour trouver pourquoi vous n’avez pas pu entrer puisque c’est cela que vous prétendez.
Alexandre : – Excité – Oui, oui c’est bien ça ma famille est passée sans problème et moi ça a fait bîîîîîîp et ça ne s’est pas ouvert.
Hôtesse 2 : Bîîîîîîp ! Vous dites ?
Alexandre : Oui bîîîîîîp ! Ou peut-être un peu plus long.
Hôtesse 2 : Attention, il faut être précis. Était-ce bîîîîîîp ? ou bîîîîîîîîp ? C’est différent.
Alexandre : Mais j’en sais rien moi, un bip un peu long, un bip qui veut dire non !
Hôtesse 2 : Non, parce que si c’était bîîîîîîîîp, ça pourrait être un code quatorze…
Alexandre : Un code quatorze ?
Hôtesse 2 : Voyons voir… – un temps – Et oui, j’avais raison. – Elle secoue la tête – Vous aussi, vous ne me donnez pas les bonnes informations. – Elle se la joue – Heureusement, j’ai du nez !
Alexandre : – plein d’espoir – Bon, et donc je vais pouvoir entrer ?
Hôtesse 2 : Dès que vous aurez appelé votre agence de voyage pour faire rectifier un critère du contrat, il n’y aura plus de problème… – elle secoue la tête et en parlant pour elle-même – Quand même, Lucie, tu aurais pu la voir, celle-là.
Alexandre : Que j’appelle mon agence de voyage ? Mais… Nous sommes dans la nuit de samedi à dimanche à Paris. L’agence… Elle n’ouvrira pas avant lundi matin.
Hôtesse 2 : C’est juste. Sauf que lundi, c’est Pentecôte.
Alexandre : Mais c’est vrai !! – Il est désespéré. – Ça veut dire… Ça veut dire que je suis coincé dans ce hall pendant… plus de quarante-huit heures ?
Hôtesse 2 : Ah, mais là… – Elle rit – pour le coup, c’est sûr que vous tomberez sur la patrouille. Le sergent Abédé passe toujours prendre un café avec ses hommes – sur le ton de la médisance – Vous comprenez, il est gratuit ici – elle lui fait un clin d’œil – Espérons que vous aurez récupéré votre passeport d’ici là. – Elle croise les doigts des deux mains – Faut y croire, allez !
SCENE 4
Alexandre : Non mais ce n’est pas possible. Vous devez faire quelque chose… Je ne peux pas rester comme ça. Je dois retourner auprès de ma femme et de mes enfants… Tant pis ! Après tout, j’ai payé.
Il fait mine de vouloir passer par-dessus le portillon.
Hôtesse 2 : – Très stricte – A votre place, je ne ferais pas ça !
Alexandre : Ah oui ? Et c’est vous qui allez m’en empêcher, peut-être ?
Hôtesse 2 : – Très tranquillement – Voulez-vous être abattu sur place comme un dangereux terroriste ayant envahi le ‘village enchanteur’ ?
Alexandre : – ébahi – Comment ?
Hôtesse 2 : Vous savez, il y a beaucoup de tension dans ce pays. Et si vous sautez par-dessus, selon le règlement…
Alexandre : Quoi, le règlement ?
Hôtesse 2 : Je serai obligée d’appeler la patrouille et là…
Alexandre : – il se ravise, il marche de long en large – Coincé ! Je suis coincé de toutes parts. Tout ça à cause d’un stupide… code dix-sept !
Hôtesse 2 : Quatorze.
Alexandre : Hein ?
Hôtesse 2 : Quatorze, pas dix-sept. C’est votre bungalow, le dix-sept.
Alexandre : – Il s’emporte encore – Mais je m’en fous du numéro, ce que je veux, c’est rentrer dans ce put... de village. Mais nom de Dieu ! Il doit bien y avoir une solution ?
Hôtesse 2 : – Elle semble réfléchir – J’ai peut-être une idée…
Alexandre : – Plein d’espoir – Ah ! Je le savais ! Dites-moi…
Hôtesse 2 : Eh bien, ce n’est pas la procédure habituelle, mais on peut vendre à ce guichet un séjour dans le ‘village enchanteur’.
Alexandre : Vous voulez dire que je dois acheter un nouveau séjour ?
Hôtesse 2 : Oui, ainsi je saisirai correctement votre contrat et vous pourrez entrer dans le village.
Alexandre : Bon, alors OK, de toute façon, je n’ai pas d’autre choix que d’attendre mardi. Mais que devient mon ancien séjour ?
Hôtesse 2 : Eh bien, je vais le résilier.
Alexandre : Le résilier ? Mais dans ce cas, ma famille… Enfin eux, il ne faut pas les résilier… Pas de gaffe, hein ? Vous comprenez ? Ma femme est enceinte. Il ne faut pas la contrarier.
Hôtesse 2 : – rassurante – Ne vous inquiétez pas. Je sais ce que je fais, tout de même… Je ne vais résilier que votre séjour.
Alexandre : Ah bon…
Hôtesse 2 : On fait ça alors ?
Alexandre : – indécis – Oui, enfin… Oui, résiliez-le, si vous êtes sûre de vous.
Hôtesse 2 : C’est parti ! Donc… Monsieur Hultou… Résiliation avant séjour… Résilier… Confirmez la résiliation… Oui… Résiliation effectuée. Et voilà, c’est fait et bien fait !
Alexandre : – inquiet – Et le contrat de ma famille, ma femme et mes enfants, ils sont toujours là, j’espère ?
Hôtesse 2 : Attendez, je vérifie… Vous me mettez le doute.
Alexandre : Comment ça, je vous mets le doute ? Vous m’avez certifié que… – il s’affole – Mon Dieu ! J’aurais pas dû.
Hôtesse 2 : Voyons… C’est quoi votre nom déjà ?
Alexandre : Mais vous devriez le connaître, mon nom depuis tout ce temps… Hultou. Vous devez trouver Marie, Justine et Martin Hultou. Bungalow 17, vue sur la mer, niveau de prestation B. Séjour du <début à fin>
Hôtesse 2 : Ah tiens…
Alexandre : Comment ça « tiens » ?
Hôtesse 2 : Je ne trouve pas, vous êtes sûr des dates ?
Alexandre : Mais comment les dates ? C’est maintenant le séjour, au moment où je vous parle ! Vous ne les trouvez pas, n’est-ce pas ? Votre manip moisie les a effacées, eux aussi ? – il craque nerveusement – Ah, je le savais ! Je le savais qu’il ne fallait pas faire ça ! Maintenant, la situation va être encore pire.
Il se prend la tête entre les mains.
Hôtesse 2 : – ironique – Mais non… ils sont bien là, sous mes yeux. Je vous fais marcher.
Alexandre : Quoi ?
Hôtesse 2 : Mais oui, je vous dis… Tout va bien.
Alexandre : Mais vous êtes complètement folle ? Me faire croire que ma famille avait disparu du séjour… Vous croyez pas que j’ai assez de problèmes comme ça ?
Hôtesse 2 : Oh là là. Qu’est-ce que vous pouvez être stressé. J’avais oublié ce qu’était la vie parisienne. Pensez donc, cela fait huit ans que mon mari et moi sommes établis ici. Honnêtement, ça nous change la vie, vous savez ?
Alexandre : Oui bon et bien tant mieux pour vous. Mais quand même, me faire un coup pareil.
Hôtesse 2 : Oh, c’était tellement tentant. Allez, détendez-vous… Vous êtes en vacances !
Alexandre : – riant jaune – C’est ça… Et vive les vacances.
Hôtesse 2 : Allez, tenez, signez ça !
Elle pose sur le comptoir un feuillet provenant de l’imprimante et tend un stylo à Alexandre.
Alexandre : Qu’est-ce que c’est ?
Hôtesse 2 : C’est le certificat de résiliation du séjour. La cote part de votre personne vous sera remboursée dans quatre-vingt-dix jours, après la fin prévue du séjour.
Alexandre : Quoi ? Trois mois et demi pour être remboursé de mon versement ? C’est inadmissible !
Hôtesse 2 : C’est conforme à nos conditions générales de vente, vous savez, la petite boite que vous avez cochée juste avant de payer sur notre site.
Alexandre : Mouais, bon admettons, je les avais pas lues.
Hôtesse 2 : – en le chantant (sardonique) – Eh bien, vous auriez dû.
Alexandre : Oh ça va hein ? Personne ne le fait.
Hôtesse 2 : Ah ! J’oubliais… Une franchise de trente-huit pour cent vous sera appliquée car vous avez résilié moins de dix-huit jours avant le début du séjour. – Elle met sa main en coin sur sa bouche comme pour faire une confidence – Comme vous connaissez Lucie, j’ai mis la date de résiliation à hier pour que ce soit avant le début du séjour, sinon – elle rit – vous n’auriez rien pu récupérer. Mais je ne peux pas faire mieux…
Alexandre : Et en plus, j’ai une franchise ? Alors que c’est de votre faute tout ça.
Hôtesse 2 : Ah pardon, le code quatorze, ce n’est pas nous mais votre agence… – d’un air vexé – Ah ben voilà, tenez ! Faites des arrangements pour les personnes et voilà comment vous en êtes remercié : Des accusations et des critiques. J’ai falsifié un document pour vous, moi, monsieur. J’ai bien envie de vous laisser vous faire ramasser par la patrouille, que vous connaissiez Lucie ou pas.
Alexandre : – Affolé – Non, non écoutez, je crois que je me suis encore une fois emporté. Je m’en excuse. Je crois que tout cela, plus le décalage horaire, la fatigue, la chaleur… Pouf !! Beaucoup de choses pour un seul homme…
Hôtesse 2 : Ah ouais, c’est sûr ?
Alexandre : Quant à votre blague, tout à l’heure… – Il se force à rire – Ah, ah, vous êtes très désopilante, madame, j’ai marché à fond. – il lui lève le pouce – La classe !!
Hôtesse 2 : Hi, hi ! Faut bien s’amuser de temps en temps. Allez, maintenant, on va s’occuper de votre nouveau séjour.
Scène 5
Le téléphone d’Alexandre sonne, il consulte l’écran et fait un geste d’excuse vers hôtesse 2. Il décroche tout en s’éloignant contre la cloison du hall, il tourne le dos au comptoir. Dès le début de la conversation, hôtesse 3 entre par la porte de service. Elle a des cheveux longs. Elle parle d’une voix inaudible à Hôtesse 2. Cette dernière prend un air catastrophé, dit trois mots à hôtesse 3 en désignant Alexandre et quitte son poste précipitamment en prenant son sac à main. Hôtesse 3 prend sa place derrière le comptoir.
Alexandre : Oui, ma chérie. Ça se passe bien ? – un temps – Ah, vous êtes à la piscine à vagues : ils s’éclatent ? – un temps – Chouette ! – un temps – Ben pour moi, écoute, c’est en bonne voie. Si, si, c’est un peu long parce qu’avec les administrations… – un temps – Non, non, très compétente… Oui. – un temps – Écoute, je t’expliquerai ce qui s’est passé. Je vais te laisser pour continuer les formalités. Je suis là rapidement, je te le promets. Toi, fais bien attention de ne pas te faire rouler par une vague, hein ? – un temps – Je t’aime – un temps – Oui, moi aussi, mon amour.
Il raccroche et se retourne et marche vers le comptoir les yeux encore sur son téléphone.
Alexandre : Comme je vous le disais, mon épouse est ence…
Il lève les yeux et se fige, découvrant hôtesse 3.
Hôtesse 3 : Bonjour Monsieur, Soyez le bienvenu au ‘village enchanteur’. Je suis Marie, à votre service.
Alexandre : – Il s’affole – Comment ? Comment ? Mais où est la dame qui était là ? Où est-elle ? Bon sang ! Ça va pas recommencer !
Hôtesse 3 : Vous parlez sans doute de Caroline. Elle a dû s’absenter en urgence car elle doit récupérer sa fille malade à la maternelle. Je crois qu’il y a une intoxication alimentaire à la cantine – sur le ton du commérage – Entre nous, ça ne m’étonne pas. Je la remplace donc…
Alexandre : – implorant – Dites-moi qu’elle vous a expliqué ma situation.
Hôtesse 3 : Tout à fait, monsieur, – Il est soulagé – Caroline m’a dit que vous vouliez acheter un séjour chez nous.
Alexandre : – surpris – Et… C’est tout ?
Hôtesse 3 : Ah si ! Elle a dit aussi que vous êtes un ami de Lucie. – Elle s’enflamme – Je l’adore, Lucie, on est très amies depuis que je l’ai rencontrée. Vous la connaissez depuis longtemps ?
Alexandre : – Il commence à s’emporter – Mais je ne la con… – Il se ravise, se détend et prend un sourire enjôleur – Depuis bien des années ! Nous nous sommes bien connus au lycée.
Hôtesse 3 : A Montpellier ?
Alexandre : Heu… Oui, c’est ça, à… Montpellier.
Hôtesse 3 : – Par en dessous – Mais dites-moi ? Vous ne seriez pas son grand amour de jeunesse perdu ? Celui dont elle n’a jamais guéri ?
Alexandre : Ah ! Eh bien vous alors… Vous êtes perspicace !
Hôtesse 3 : – Toujours en dessous – Dites… J’espère que vous ne revenez pas tourner autour d’elle, hein ? Parce que, entre nous, c’est quand même pas cool de vous être marié avec sa meilleure amie.
Alexandre : Heu… Et si on en revenait à mon séjour.
Hôtesse 3 : Mais oui, c’est ça… Je vous vois venir… Ah, vous êtes bien un homme, tiens !
Alexandre : – insistant – Mon séjour.
Hôtesse 3 : Bon alors… J’aurais besoin de votre passeport.
Elle tend la main vers lui, la paume vers le haut, dans un mouvement très hautain.
Alexandre : – il se retient d’exploser. Il sourit – Il se trouve que c’est Lucie qui l’a gardé quand j’ai eu affaire à elle avant qu’elle ne quitte précipitamment son poste, mais votre collègue, Caroline, n’en a pas eu besoin… Elle m’a cru sur parole.
Hôtesse 3 : Ah ? Parce que vous lui avez dit aussi que vous êtes l’ex de Lucie.
Alexandre : Mais N… – il se ravise – Oui, voilà, c’est ça… Donc, si je vous donne mon nom, ça devrait suffire, peut-être pour vous aussi ?
Hôtesse 3 : – Elle soupire – je vous écoute.
Alexandre : – Il soupire – Oh, merci. Je m’appelle Alexandre Hultou. Avec un ‘H’. ‘H’, ‘U’, ‘L’, ‘T’, ’O’, ‘U’
Hôtesse 3 : – un peu moqueuse – C’est un drôle de nom que vous avez là.
Alexandre : – un peu vexé – On ne choisit pas, hein ?…
Hôtesse 3 saisit sur son clavier.
Hôtesse 3 : Donc : nom Hultou, prénom Alexandre, vous n’avez pas un autre prénom ?
Alexandre : Vincent, c’est le prénom de mon père.
Hôtesse 3 : Vincent… Votre date de naissance.
Alexandre : <Date de naissance>
Hôtesse 3 : à Montpellier, je présume…
Alexandre : Non, Paris, 7ᵉ.
Hôtesse 3 : Donc vous souhaitez…
Alexandre :– en la coupant et dit très vite – Bungalow 17, vue sur la mer, niveau de prestation B !
Hôtesse 3 : Eh bien, vous, vous savez ce que vous voulez au moins. – Elle saisit les informations – prestation B… Voilà ! Donc je vous propose du <date de début à date de fin situées dans un mois> ou alors du <date de début à date de fin situées dans trois mois> ou carrément, l’an prochain.
Alexandre : Mais… Mais comment ? Mais non, c’est pour maintenant, là, de suite que je veux mon séjour.
Hôtesse 3 : Ah ben là, monsieur Hultou, je suis désolée mais le séjour est complet. Et d’autant plus le bungalow 17. Je vois qu’il y a une mère avec ses deux enfants. Oh ça alors ! Ils ont le même nom de famille que le vôtre ! Quelle coïncidence.
Alexandre : – le plus calme possible – Ce n’est pas une coïncidence. Je n’ai pas eu le temps de vous l’expliquer mais il s’agit de mon épouse et de mes deux enfants.
Hôtesse 3 : Comment ? Ils sont là ? – Par en dessous – Alors comme ça, vous revenez tourner autour de Lucie alors que vous êtes père de famille ? Vous n’avez pas honte ?
Alexandre : – il s’emporte – Mais n’importe quoi ! Je veux juste rejoindre ma famille dans ce séjour, au bungalow 17, avec vue sur la mer, et des prestations de niveau B.
Hôtesse 3 : – d’un air inquisiteur – Tout ceci n’est pas très clair… Votre famille sait-elle que vous êtes là ? Après tout, ils n’ont peut-être pas envie de partager leur séjour avec vous, cher monsieur…
Alexandre : Ah oui ! Eh bien, on va voir. – ll prend son téléphone – Oui, chéri ? C’est moi. Tu es au bungalow ? – un temps – Parfait. Peux-tu appeler l’accueil avec l’interphone et dire à la dame que tu es toujours mariée avec moi et que tu veux bien que je vous rejoigne dans le bungalow ? – un temps – Non, je ne suis pas fou, pas encore. Écoute, s’il te plait, fais ce que je te demande. Je t’expliquerai plus tard… – un temps – Non, non. Ne t’inquiète pas, j’ai la situation bien en main. Je serai bientôt là, avec vous. – un temps – A tout de suite, ma chérie, – un temps – oui, moi aussi je t’aime !
Il raccroche.
SCENE 6
Hôtesse 3 : – Pour elle-même – Ben voyons… Ça tourne autour de Lucie et ça balance des ‘Je t’aime » en veux-tu en voilà à sa femme.
Alexandre : Elle va appeler, vous pourrez vous rassurer. Ne la stressez pas, s’il vous plait, car elle est enceinte et il ne faut pas qu’elle soit inquiétée.
Hôtesse 3 : Et en plus, elle est enceinte… Eh bien, quand Lucie va savoir tout ça !
Alexandre : Mais qu’est-ce que vous allez vous imaginer, enc…
Un buzzer se fait entendre.
Hôtesse 3 : Un instant, s’il vous plait. Ah tiens ? C’est justement le bungalow 17.
Alexandre : – ironique – Non ? C’est pas vrai ? Quelle coïncidence !
Hôtesse 3 décroche l’interphone.
Hôtesse 3 : Ici l’accueil du ‘village enchanteur’. Je suis Marie, à votre service.
Voix de Marie : Allô… Bonjour… heu…Je suis Marie Hultou, du bungalow 17.
Hôtesse 3 : Bonjour madame Hultou. Que puis-je faire pour vous ?
Voix de Marie : J’appelle parce que mon mari m’a demandé de vous dire que… heu… Il est bien mon mari et que j’accepte qu’il me rejoigne au bungalow.
Hôtesse 3 : C’est parce que vous l’aimez ?
Voix de Marie : Pardon ? … Mais, madame, je ne vous permets pas.
Alexandre : Mais qu’est ce que…
Hôtesse 3 : -D’un ton de reproche- Et Lucie ? Vous pensez pas qu’elle l’aimait aussi ? Hein ?
Alexandre : – Criant – Mais arrêtez ! Vous dites n’importe quoi !
Voix de Marie : Alexandre ? J’entends ta voix… Alexandre ? — énervée — Qui est cette Lucie ? Alexandre ?
Alexandre : – fort pour être entendu à travers l’interphone – Je… Je vais tout t’expliquer, ma chérie. J’arrive bientôt et je vais tout t’expliquer.
Voix de Marie : – voix très énervée – Tu as intérêt à être très clair dans tes explications, Alexandre. Je vais faire un tour avec les enfants en attendant. J’ai besoin de me calmer… Je vais même me faire plaisir en achetant des prestations de niveau A… J’attends ton retour, monsieur Hultou !
Elle coupe l’interphone.
Alexandre : – à hôtesse 3 – Et voilà ! Bravo ! Vous l’avez contrariée ! Qui sait comment va finir cette histoire absurde ! Je me plaindrai, vous entendez, je me plaindrai à vos supérieurs.
Hôtesse 3 : – Elle croise les bras – Eh bien, faites ce que vous avez à faire. J’ai ma conscience pour moi. Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour Lucie ! Piquer le mec de sa meilleure amie, c’est pas correct du tout, du tout.
Alexandre : – Il se prend la tête entre les mains – OK, OK, calme, calme. – Il se ravise soudain réalisant qu’il a l’avantage – Bon, écoutez ! Vendez-moi ce séjour et je ne dirai rien. OK ? On efface tout ! Je n’ai aucune intention auprès de Lucie, je veux juste rejoindre ma famille et vous n’entendrez plus parler de nous. Ça va comme ça ?
Hôtesse 3 : Dans la mesure où elle veut de vous, je n’ai pas de raison de vous le refuser.
Alexandre : A la bonne heure !
– Elle pianote sur son clavier–
Hôtesse 3 : Voilà, c’est fait ! – Elle soupire – Je vous ai rattaché de plein droit au contrat de votre épouse et de vos deux enfants. Mais ce n’est pas de gaité de cœur…
Alexandre : – Triomphant – Enfin !
Hôtesse 3 : Ça vous fera trois mille dix-sept euros.
Alexandre : – interloqué – Quoi ? Trois mille euros pour moi tout seul ? Alors que j’ai payé mille deux cents pour nous quatre ? Mais vous plaisantez ?
Hôtesse 3 : Monsieur, je regrette, c’est le prix. Nous sommes dans la période la plus demandée. Entre nous, vous auriez dû commander très à l’avance, vous auriez bénéficié d’un tarif promotionnel. Mais là, au dernier moment, c’est plein pot ! Et encore, ici, vous ne payez pas la TVA.
Alexandre : Mais c’est ce que j’ai fait, j’ai commandé ce séjour il y a six mois. Votre collègue ne m’a rien dit avant de résilier ma part du contrat.
Hôtesse 3 : Ah, parce que vous veniez de résilier et maintenant vous voulez revenir ? –intuitive – Hum… Ça sent la dispute, ça… Vous êtes sûr que votre couple fonctionne bien ?
Alexandre : Mais fichez-moi la paix avec mon couple, ça ne vous regarde pas si mon couple marche ou pas.
Hôtesse 3 : – cynique – Hé, hé. Aurais-je mis le doigt, là où ça fait mal ?
Alexandre : – il lui tend nerveusement sa carte bleue – Tenez ! Allez-y, rackettez-moi ! Qu’on en finisse !
Hôtesse 3 : – Offusquée – Monsieur, je vous en prie, je ne fais que mon travail.– Elle prend la carte, la place dans le lecteur – Votre code, s’il vous plait, pour un paiement uniquement comptant.
Alexandre : Ah oui ! Content ? Vous croyez que je suis content ? – Il s’exécute visiblement à contre cœur – C’est mes chères vacances…Que dis-je, mes très chères vacances.
Hôtesse 3 : Votre paiement est accepté. – sur un ton commercial – Soyez le bienvenu au ‘village enchanteur’. Je suis Marie, à votre service.
Alexandre : – rancunier – Le ‘village enchanteur’, laissez-moi rire, le village de l’horreur, oui. Allez ! Donnez-moi mon bracelet qu’on en finisse !
Le téléphone d’Alexandre sonne. Il regarde l’écran et fait une grimace. Il décroche penaud. Il part encore s’isoler.
Alexandre : Oui, ma chérie ? – On devine une voix de femme très irritée. Il est très embarrassé – Ah, oui, heu… Effectivement, il est fort possible que le plafond de la carte bleue soit atteint. Hein ? Heu non, je n’ai pas fait de dépenses inconsidérées… Enfin, tu me connais… Écoute, ça va s’arranger… On appellera la banque mardi. C’est sûrement une erreur. Ça y est, tu sais, je peux entrer. Ah quelle histoire ! Je vais tout t’expliquer. Je suis sûr que dans quelque temps, on en rigolera beaucoup… – un temps – Oui, c’est ça, rentre au bungalow avec les enfants. J’arrive ! A tout à l’heure, ma chérie.
Il raccroche, pas très fier. Il va pour se retourner et marque un temps d’arrêt. Angoissé à l’idée que l’hôtesse puisse encore avoir changé. Il virevolte d’un coup. Constatant qu’hôtesse 3 est toujours là, il pousse un long soupir de soulagement. Pendant ce temps, Hôtesse 3 consulte son écran.
Hôtesse 3 : Ah, je vois qu’une information est incomplète dans l’état civil de votre épouse.
Alexandre : – inquiet – Qu’est-ce qu’il y a encore qui ne va pas ?
Hôtesse 3 : Ne vous inquiétez pas, c’est trois fois rien. Juste son deuxième prénom… Il n’y a que la première lettre : ‘J.’ C’est Josiane, peut-être ?
Alexandre : Non, c’est Jeanne. C’est le prénom de sa mère – un temps, il marche dans l’accueil, soupire –… Marie, Jeanne Hultou.
Hôtesse 3 est interloquée.
Hôtesse 3 : Vous êtes sûr de vous, Alexandre ?
Alexandre : Ben, évidemment … Si je vous dis : Marie, Jeanne Hultou, c’est que je suis sûr de moi ! Je suis marié avec elle depuis plus de douze ans, alors … Vous comprenez ?
Hôtesse 3 : OK, OK… Après tout, c’est votre choix, Alexandre. Mais faudra pas pleurer ensuite. – Elle secoue la tête – Y en a quand même… savent pas vraiment ce qu’ils veulent…
Elle pianote sur son clavier.
Alexandre : Mais de quel choix parlez-vous ? Et… pourquoi m’appelez-vous subitement Alexandre ?
Hôtesse 3 : Ben, parce que vous m’avez appelée Marie. J’ai cru qu’avec cette grave décision que vous venez de prendre, vous aviez besoin d’un peu de chaleur humaine, d’amitié, de compassion...
Alexandre : Mais qu’est-ce que vous me racontez ? Je ne vous ai jamais appelée Marie. Je ne me permettrais pas ! Et de quelle décision grave parlez-vous ?
Hôtesse 3 : Ah pardon, pardon !! N’avez-vous pas prononcé à l’instant : ‘Marie, j’annule tout’ ? Si ça, ce n’est pas une grave décision, Alexandre !
Alexandre : Marie, Jeanne Hultou ? Marie, Jeanne Hultou ? – Il se frappe le front – Marie, j’annule tout ? – Il se précipite affolé – Hé non !! Arrêtez ! J’annule rien du tout ! Qu’est-ce que vous êtes en train de faire ?
Hôtesse 3 : Juste ce que vous m’avez demandé, Alexandre, je viens d’annuler votre contrat familial. Je tiens à vous informer que le prochain vol pour Paris n’est que dans une semaine.
Alexandre : – Il est affolé – Non !!! C’est pas possible ! C’est un cauchemar !! Je vais me réveiller, je vais me réveiller !!
Son téléphone sonne. Il décroche en s’éloignant… Il tourne le dos pendant ce temps, hôtesse 3 a fait tomber quelque chose au sol avec grand fracas. (une pile de dossiers, un pot à crayons bien rempli ou la boite des bracelets. Elle porte ses mains au visage avec une mine catastrophée. Elle se baisse pour le ramasser et disparaît derrière son comptoir. On ne voit que le haut de sa tête et de dos. Elle s’emploie à ramasser les objets et on ne voit plus que sa main qui émerge régulièrement de sous le bureau.
Alexandre : – D’un ton planant, comme s’il était sous l’effet d’une drogue et résigné à son sort – Ah, c’est toi chérie – un temps, il est embarrassé – Ah ? Tu ne peux plus entrer dans le bungalow ? Comment ? Il semble que vos bracelets soient tous désactivés ? Oh mince !! Ce doit être un problème technique. Écoute, puisque je suis encore à l’accueil, je vais régler ça, d’accord ? Va t’asseoir à la terrasse d’un café et attends-moi. – un temps – Oui, oui. Ne t’en fais pas, j’ai la situation bien en main… Je… J’assure !! A tout à l’heure, ma chérie, je fais vite.
Il raccroche nerveusement. Il est en colère, il marche vers le comptoir d’un pas très décidé. Hôtesse 3 est accroupie derrière le comptoir, on ne voit que le haut de sa tête, occupée à ramasser ses affaires.
Alexandre : – très autoritaire – Vous allez tout de suite rétablir mon contrat pour toute la famille Hultou, Alexandre, Marie, Justine et Martin Hultou, au bungalow 17, vue sur la mer, et niveau de prestation B.
Hôtesse 3 se lève. C’est un homme costaud, barbu avec des cheveux longs et identiques à ceux d’Hôtesse 3. Il a la même veste de service qu’hôtesse 3.
L’homme :– Se levant, croisant les bras et sévèrement – Bonjour monsieur Hultou. Je suis le mari de Lucie. – Il tape vigoureusement du poing sur le comptoir, faisant sursauter Alexandre – Puis-je savoir quelles sont vos intentions concernant mon épouse ?
Alexandre : – se prenant la tête dans les mains – Nonnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn !!!!!!
Noir
[1] Voucher : terme anglais désignant un titre échangeable contre une prestation hôtelière.