La salle de délibération. Plusieurs chaises réparties de part et d’autre d’un chevalet de conférence sur lequel est fixé un paperboard. A droite, une urne, un code pénal, des enveloppes et des stylos, posés sur une commode. Six jurés entrent.
Ils patientent (et s’impatientent) debout.
THEA : Oulà, mais il fait chaud ici. Les fenêtres sont condamnées. On ne peut pas les ouvrir. Mais la vue est drôlement belle.
SYLVIE : C’est vrai que c’est très joli ! Dites… Maintenant qu’on est ici, vous pensez que ça va durer encore longtemps ?
THEA : C’est ICI que tout va se passer ! Mais, ne vous inquiétez pas. Avec tous les éléments qu’on a vus et entendus, il ne devrait pas y avoir de débat… Ça me parait clair.
SYLVIE : Ah oui, vous avez raison. Tous ces éléments… C’est parce que j’habite assez loin d’ici donc…
ANTOINE : Vous savez comment on s'installe ? On a des places désignées ?
HELENE : Le Président nous le dira.
MYRIAM : Bien. Moi, je me mets là en attendant. On va pas rester debout. (elle sort ses notes)
ANTOINE : Vous lisez vos notes.
MYRIAM : Oula oui… Avec tout ce qui s’est dit, tout ce qu’on a vu, c’est important de prendre des notes. Sinon, comment voulez-vous tout retenir. Vous en avez pas vous ?
ANTOINE : Si, si… Bon, je reviens. (Il va aux toilettes.)
Marc entre, précédé de Catherine.
MARC : Voilà, nous venons d’ôter nos robes de juge pour vous signifier que nous sommes dorénavant à égalité avec vous, les jurés tirés au sort. Allons‑y, maintenant. Catherine, conseillère à la Cour d’appel et première assesseure, m’assistera pour ce qui concerne les éclairages juridiques dont vous pourriez avoir besoin. Prenez place où vous voulez, il n’y a pas de règle. Bon… Excusez-moi, Madame à la fenêtre ? Vous voulez bien nous rejoindre ?
SYLVIE : Ah oui, pardon excusez-moi.
MARC : Bien. Allez, on démarre…
THEA : Excusez-moi mais je crois qu’il manque un juré.
MARC : Effectivement. Où est-il ?
ANTOINE : Me voilà, j’arrive, j’arrive… Désolé, j’étais au… Enfin, me voilà ! Ouh, il fait chaud ici. La place est libre ?
MYRIAM : Oui, pardon (elle rassemble ses notes)
MARC : Bon, tout le monde est là cette fois ?
SYLVIE : Pardon, monsieur le président, mais vous savez combien de temps ça va prendre, les délibérations ?
MARC : Non. Mais ne vous inquiétez pas, on n’est pas dans une série américaine, ici. Après la discussion, c’est par un vote à bulletins secrets que nous trancherons. Pas besoin de l'unanimité. Donc il n’y a pas de raison que cela s’éternise. Il faut réunir au moins deux tiers des voix, soit cinq, pour prononcer une condamnation. Autrement, c’est l’acquittement.
THEA : Un acquittement ? Ce ne sera pas supportable pour la victime.
MARC : Attention, soyons précis sur les mots, Théa. Pour l’instant, Daphné est une plaignante. On ne pourra parler de victime qu’après avoir rendu notre verdict, et seulement si l’accusé est déclaré coupable. Bien, pas d’autre question ?
ANTOINE : Euh, si, moi, j’en ai une. Euh, si quelqu’un n’arrive pas à se décider, au moment du vote… Est-ce qu’il pourra s’abstenir ?
MARC : Je le dis tout net, c’est non. S’abstenir, c’est botter en touche. C’est lâche. Si vous hésitez, assumez vos doutes, et votez pour l’acquittement. Bien, allez, on démarre. On va d’abord procéder à un premier tour de table, pour savoir où chacun se situe. Myriam, à vous l’honneur.
MYRIAM : Hein, euh, il faut que je dise quoi, là ? Vous voulez que je donne mon avis sur l’affaire, là, comme ça ? Bon, OK, euh, je me lance. De base, pour être honnête, mon impression à moi, je le dis comme je le pense, hein, c’est qu’il n’y a pas eu de viol.
THEA : Et pourquoi ?
MYRIAM : On a tous vu la vidéo des faits. Daphné s’est déshabillée toute seule, librement. Et c’est seulement quand elle s’est aperçue que Diego la filmait qu’elle a prononcé le mot “Non”. Il a continué à filmer sans s’en cacher et elle a accepté d’aller au bout. Moi je ne les comprends pas, ces nanas qui se laissent faire, puis qui regrettent ensuite. Après, faut assumer. C’est pas juste pour le gars, de se retrouver accusé de viol, simplement parce qu’après coup, elle a des regrets. Elle a trompé son nouveau mec avec son ex, et après, elle voudrait qu’on s’apitoie…
MARC (la coupant) : Bien, merci Myriam. Antoine, c’est à vous.
ANTOINE : Bien, bien, bien. Euh, d’accord. Bon, euh, déjà, je tiens à préciser que c’était grave intéressant d’être là. J’ai kiffé ! J’ai été super impressionné ces deux derniers jours. La fin, surtout, quel match ! Le discours…
MARC : Vous voulez dire le réquisitoire.
ANTOINE : Ouais, c’est ça “réquisitoire”. Le réquisitoire de l’avocat général, c’était implacable. La plaidoirie de l’avocate de la victime, c’était poignant. Je me croyais convaincu, et puis soudain, l’avocate de la défense a dégainé ses punchlines. Wahou, on aurait dit une prise de judo verbale ! Mes neurones ont été secoués dans tous les sens. Du coup, pour l’instant, je n’ai pas d’avis tranché.
MARC : Je vous rappelle que si vous êtes dans le doute, vous penchez pour un acquittement.
ANTOINE : Ah mais non non non ! L’acquittement, purement et simplement, j’aurais du mal… J’aurais bien aimé qu’on puisse prononcer un verdict de compromis. Un « oui, mais » ou un « peut-être un peu, d’une certaine façon ».
THEA : Et donc ?
ANTOINE : Donc… Je compte sur les délibérations pour m’aider à faire mon choix.
MARC : Hélène, c’est à vous.
HELENE : Bon, c’est à moi ! Bien. Aujourd’hui je suis à la retraite, mais je peux vous dire, j’ai assisté à une belle quantité de procès quand j’étais journaliste. Alors, je sais distinguer un crime d’une simple broutille. Alors voilà. Ce procès, il m’a ennuyé. Pour moi, cette affaire ne méritait pas d’arriver devant une cour d’assises. Elle n’est pas vraiment blanche, notre colombe.
THEA : Quelle colombe ?
HELENE : Ah, vous ne connaissez pas l’expression “Blanche comme une colombe” ? C’est Daphné. Elle n’a rien de l’innocente victime qui me fait de la peine.
MARC : Vous expliciterez votre propos plus tard, Hélène. Théa, pouvez-vous attendre votre tour sans intervenir à tout bout de champ.
ANTOINE : En vrai, moi, je me sens quand même un peu écrasé par le poids de la responsabilité. En longeant les murs de la ville, pour arriver au tribunal ce matin, j’ai vu les slogans collés aux murs par des militantes féministes dans la nuit. Certains m’ont émue, notamment ce « Daphné, tu n’es pas seule ». Il y en a un autre, par contre, qui m’a carrément révolté: « on empale tous les mâles ! ».
MYRIAM : “Empaler tous les mâles” !!! C'est vraiment pas ma vision de la Justice. Non coupable.
THEA (un cri du cœur) : C’est pas vrai !
MARC : Maîtrisez-vous, Théa. Vous aurez la...