Bloc 9

« Va-t-on attendre le 22 -ème siècle pour raconter notre histoire en face ? ». Je suis le petit fils d’un « indigène » mort dans le camp de Ndjock lors de la colonisation allemande au Cameroun.

Quand j’arrive en Belgique le 6 septembre 2012, à la suite des persécutions liées à mon métier de journaliste, je suis loin d’imaginer, en quête d’asile, que je séjournerai dans un lieu d’internement.

Dans le camp de Bierset (Liège), je reçois une ration alimentaire, vis dans la promiscuité…. -hasard de la vie-, comme mon grand-père. « Nos femmes étaient des maitresses forcées de ces Blancs subalternes » Témoignage d’un rescapé
Bloc 9 est une invitation à regarder ensemble les oppressions, les affronter. Nous faisons un travail de mémoire et d’histoire, écoutons les récits, les cris des victimes, faisons preuve de pédagogie à travers des témoignages, récits, vidéo et audio.

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BLOC 9

 

Quand on n’a pas de tombes où se recueillir

 

 

 

 

 

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  1. Camp colonial de Ndjock au Cameroun. Des forçats chantent et dansent dans la cour. C’est dimanche, jour de relâche. (Jeux marionnettes dans une cage)

 

 

Debout, deux colons observent la cage en hauteur, sirotant du thé.

 

Libot

 

Je les aime bien.

 

Hans

 

Moi aussi, vous savez.

 

Libot

 

Cette manière de se ligoter est poétique.

 

Hans

 

Ce sont des rites méticuleux.

 

Libot

 

Ils dansent vraiment bien.

 

 

Hans

 

On voit qu’ils miment les meurtres qu’ils ne peuvent pas commettre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Libot

 

Absolument. Nous devrions les helléniser, les éduquer.

 

Hans

 

Ce ne sont cependant pas les derniers des hommes. Il faut classer, après eux, les petites races d’hommes qui habitent les régions les plus inaccessibles.

 

 

 

 

Libot

 

Moi qui ai vécu en Amérique centrale, je puis témoigner du désespoir des prêtres chrétiens qui s’efforçaient d’imprimer aux Indiens le sceau de la civilisation alors que ces derniers s’abîmaient dans l’alcool et des liqueurs fortes. En Amérique du Sud, dans les plantations, j’ai observé les ravages opérés par l’alcool sur les indigènes et précisément sur ceux enlevés en Afrique centrale, aucun mot ne pourrait décrire avec justesse ce que mes yeux ont vu. Les indigènes ne succombent pas seulement physiquement à l’ivrognerie, ils y succombent moralement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Dans la pénombre, un indigène danse au rythme d’une mélodie. Chants parlés

 

 

 

 

Ayissi Beko’o, l’ancêtre

 

Il n’y a rien d’aussi délicieux sur cette terre que le mets de pistaches cuit dans des feuilles de bananiers. Vraiment rien d’aussi délicieux que le mets de pistaches cuit dans des feuilles de bananiers. Le mets d’arachides est bon, c’est vrai, mais le mets de pistaches est meilleur ; surtout les pistaches concassées en saison sèche, pas les pistaches concassées en saison des pluies. Non pas celles-là.

Dieu merci, ma femme cuisine très très bien. Je ne dirai pas que c’est pour ça que je l’ai épousée.  Non. Mais soyons franc, Therissa m’a fait 2 beaux enfants. Bennebeu est grand, fort et bien musclé. Il a passé son initiation, le tso, sans problèmes.  Essimi Kouna, ma fille, son portrait vaut bien un poème. Beaucoup de garçons du village clament avec zèle sa beauté. Sa dote sera très élevée. C’est sûr. C’est sûr.

Therissa, ma femme, la première fois que je l’ai vue, c’était par hasard, par pur hasard, à la rivière. J’aurai pu lui dire tout de suite qu’elle est belle comme la lune, mais ça ne se fait pas. Ça ne se fait pas. De toutes façons, ça n’aurait pas marché, je n’avais rien à l’époque, pas même un champ, ni une case, encore moins une lance. C’est important d’avoir une lance pour aller chasser le gibier dans la forêt, prendre soin de sa famille.

 

C’est vrai que jeune j’ai des atouts. Je sais battre le tam-tam et le tambour des fêtes, et je me fatigue difficilement à ce jeu. Du coup, ma croissance inquiète plus d’un mari du village. Beaucoup de jeunes femmes mariées introduise mon nom dans des chansons d’amour. C’est à qui me violerait la première « Quelle chance pour être celle-là de gouter aux primeurs d’un arbre si vigoureux ! ». Ma mère s’enorgueillit de cet état de choses. Elle me demande cependant de ne pas regarder les femmes d’autrui. Et parfois, elle me demande si je suis déjà « un homme ». Mais je ne comprends pas le sens de sa question.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Il est rejoint par Mbani, une indigène.

Chants parlés.

 

Mbani

 

« Issam Seukleu », mon nom est « Issam Seukleu », qui veut dire « fluette ». Silures, anguilles, truites, poissons chats et crabes cohabitent en mon sein. Ma cambrure est la plus haute montagne du pays. Mon lait.  Mon lait peut nourrir la tribu Engap tout entière. Combien de fois j’ai été souillée ? Combien ? Combien ? Autant de fois que les gouttes de pluie qui tombent ; que les étoiles du ciel, que les grains de sable de la mer. Je suis une voute, une voute, prête à accueillir, à recueillir.  Je suis une route sans fin, sans fond.

 

Quoi ? J’ai un mari. Oui, c’est vrai. Il l’aime, oui c’est aussi vrai. Mais pas assez pour lutter. Il me laisse partir tous les soirs et revenir tous les matins. Mais j’espère qu’il...

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