ACTE I
N° enregistrement SACD : 379127
Il est 10 h du matin un vendredi 1er novembre. Nous sommes dans un tout petit commissariat de quartier d'une ville provinciale de moyenne importance. La journée se prépare à être sans doute très calme, car c'est en général la journée la plus calme de l'année. Il ne se passe quasiment jamais rien ce jour-là. Monsieur Zonec, brigadier-chef nouvellement promu vient de prendre ses fonctions dans ce tout nouveau commissariat qu'il découvre. Cela arrange beaucoup de monde qu'il soit là, car ses collègues en ont profité pour récupérer des RTT... A l'ouverture du rideau, rien ne se passe et l'on ne voit que le décor du commissariat, bien triste. La grosse pendule affiche 9 h 55. Le téléphone sonne six fois bruyamment. On voit alors le brigadier-chef, qui s'était endormi derrière le comptoir émerger, évasif...
Monsieur Zonec (Enervé d'être réveillé) - C'est pas une heure pour me réveiller ! On est ici dans un commissariat, pas dans le hall des urgences de l'hôpital quoi !
Il décroche le téléphone mollement et répond.
Monsieur Zonec – Allô, Allô, Allô... Et en plus y' a plus personne au bout... Ah ! Faut se les farcir !
Monsieur Zonec se replonge derrière son comptoir et on ne l'aperçoit alors plus. On devine qu'il va redormir. Le téléphone sonne à nouveau plusieurs fois et le temps que monsieur Zonec s'empare du combiné, celui-ci s'arrête de sonner. La scène se répète trois fois au total. A la troisième fois, monsieur Zonec décide de débrancher le téléphone et laisse pendre par-dessus le comptoir la prise téléphonique...
Monsieur Zonec (Avant de se recoucher une dernière fois) – Voilà, comme ça, ils ne vont plus m'enquiquiner !
Un temps qui doit sembler long passe sans que rien ne se passe afin de bien laisser croire que Zonec s'est carrément endormi. On peut éventuellement l'entendre ronfler !
Monsieur Bedet (Qui arrive sans faire de bruit par la porte qui donne sur le couloir menant à la fois à l'extérieur à gauche et sur les cellules à droite) – Tiens ! Il n'y a personne ici ?
Il va poser son imperméable et son parapluie sur le porte-manteau perroquet qui se trouve au bord de la scène et, en se retournant, aperçoit le câble téléphone qui pend.
Monsieur Bedet (se dirigeant vers le câble pour tenter de comprendre) – C'est quoi ce foutoir ? Ils doivent sans doute être en panne de téléphone ! (ayant une révélation soudaine) Ah, j'ai compris, on est en panne et le brigadier-chef Zonec est parti chercher de l'aide !
Il décide de prendre le fil et tout en le tenant, il fait le tour du comptoir pour passer de l'autre côté du comptoir...
Monsieur Bedet – Ca ne sert à rien de laisser traîner le fil. Je vais le repasser de l'autre côté... (Sursautant lorsque, après avoir ouvert les battants il s'aperçoit que Zonec est là qui dort) Ouah ! Mais qu'est-ce que vous faites là vous ?
Monsieur Zonec (Mollement) – Le téléphone n'arrête pas de dérailler et comme j'ai fait une toute petite nuit à cause de la petite à la maison qui fait ses dents, je me suis assoupi !
Monsieur Bedet (Qui s'énerve) – Ah mais faut pas jouer à ce jeu-là. Moi je m'en fous des dents de la petite ! Vous vous rendez compte, si le procureur de la République avait débarqué...
Monsieur Zonec (Etonné) – Le quoi ?
Monsieur Bedet (Expliquant doucement et clairement ) – Le Procureur !
Monsieur Zonec (Qui visiblement ne comprend rien) – C'est qui ça ?
Monsieur Bedet (Qui pense que monsieur Zonec blague) – Allez. C'est bon. S’il n’y a personne, vous pouvez continuer à roupiller. Mais dites à votre femme qu'elle achète du baume pour les dents de la petite...
Monsieur Zonec (Qui prononce le nom de Bedet avec un accent aigu) – Je vous remercie bien monsieur Bédet...
Monsieur Bedet (Qui décide très franchement de mettre les choses au clair) – Alors je vous préviens que si vous voulez rester longtemps dans mon commissariat, il va falloir que vous appreniez immédiatement à prononcer mon nom comme il faut : Je m'appelle Bedet avec un « e » et pas Bédet avec un « é accent aigu »...
Monsieur Zonec (Surpris) – C'est comme ça que j'ai dit !
Monsieur Bedet (Très énervé et d'un ton très ferme) – Non ! C'est pas comme ça que vous avez dit. Alors arrêtez de me casser les pieds où je vous fous au milieu du carrefour à faire la circulation. C’est clair ?
Monsieur Zonec (Qui ressort de derrière le comptoir, décidé à ne pas se faire remarquer plus et saluant comme un militaire) – A vos ordres chef !
Monsieur Bedet (Qui se redresse comme un chef de l'armée et répond fermement) – C'est bon. Rompez.
Monsieur Zonec (Visiblement gêné par une envie d'aller aux toilettes) – Ca tombe bien, parce que j'ai envie d'aller aux toilettes. Je crois que j'ai une gastro !
Monsieur Zonec sort précipitamment.
Monsieur Bedet (Qui se dirige sur le comptoir en regardant la main-courante et s'étonne) – Qui c'est ce clown qu'on nous a envoyé. Y'a rien de marqué sur la main-courante. Il ne va quand même pas me dire qu'il ne s'est rien passé du tout. C'est pas clair tout ça.
Soudain, le talkie-walkie du central se met à parler avec sa voix brouillée.
Voix off – Voiture patrouille à Commissariat... Voiture patrouille à commissariat... Voiture pat...
Monsieur Bedet (Qui se saisit ostensiblement d'un talkie-walkie et répond) – Qu'est-ce qu'il y a encore Dupont ?
Voix off – Chef. On vient juste de prendre en charge un vieux monsieur qui prétend qu'on lui a volé sa voiture il y a une heure...
Monsieur Bedet – Il prétend ou bien il est sûr de lui votre petit vieux qu'on lui a volé sa voiture ?
Voix off - Non, il a plutôt l'air sûr de lui !
Monsieur Bedet – Alors s'il est sûr de lui, dans ce cas, amenez-le au commissariat, on va l'interroger.
Voix off - Oui, chef, on arrive. Il est épais comme un casse-croûte SNCF. C'est pas lui qui va nous embrouiller...
Monsieur Bedet (Méfiant) – Prenez garde à ce que vous dites. Ce n'est pas parce que c'est un petit vieux épais comme un casse-croûte SNCF qu'il faut le négliger. On ne sait jamais, c'est peut-être un espion du ministère de l'Intérieur !
Voix off – A vos ordres chef. De toutes façons on arrive, on est dans la rue d'à côté.
Fin de l'action Talkie-Walkie. Monsieur Bedet attrape le téléphone qui se trouve sur le bureau et fait un numéro.
Monsieur Bedet (parlant visiblement haut et fort à quelqu'un qu'il connaît très bien) – Salut l'ami. Comment vas-tu bien ?
Tél...
Monsieur Bedet (Faisant une petite mise au point) – Bon, je suppose qu'il n'y a rien de changé pour ce soir ?
Tél...
Monsieur Bedet (Semblant visiblement prendre à l'avance de l'amusement pour ce qui va se passer) – Attends, je voudrais voir la tronche de l'autre andouille quand il va se retrouver sur le pallier au deuxième étage habillé en clown !
Tél...
Monsieur Bedet (Qui semble étonné) - Comment ça vous avez changé le déguisement !
Tél...
Monsieur Bedet (A dire très clairement - De plus en plus étonné) - Vous allez l'habiller en gonzesse et il faudra qu'il fasse un aller-retour jusqu'au carrefour ! ! !
Tél...
Monsieur Bedet (qui prend ses distances) – Méfiez-vous les mecs, il va finir par se douter de quelque chose le petit prétentieux...
Tél...
Monsieur Bedet (Qui se méfie déjà de la fin de la blague) – Ouais, d'accord, mais vous avez intérêt à lui poser des questions ultra compliquées. On ne sait jamais. S'il avait réponse à tout ! Ah ! Vous feriez comment ?
Tél...
Monsieur Bedet (Enfin rassuré) – Ah oui ! Génial. Ah le Gégé s'il était obligé de prendre la place de ce vieux plouc... Ah la grosse marrade !
Entre un monsieur qui semble un peu perdu.
Monsieur Bedet (qui aperçoit le visiteur et abandonne son interlocuteur) – Bon dis Jean-Jacques, je te laisse, car j'ai un client à me taper... Ouais, salut à ce soir !
Monsieur Bedet se dirige vers le monsieur hésitant.
Monsieur Bedet – Vous avez besoin d'un renseignement monsieur ?
Monsieur Voloto (Visiblement très choqué) – Oui, je viens d'être jeté par vos collègues juste à l'entrée. Ils m'ont dit de me débrouiller tout seul. Il paraît que quelqu'un est déjà au courant !
Monsieur Bedet (Reprenant le fil) – Ah oui. Vous êtes sans doute le petit vieux qui prétend qu'on lui a volé sa voiture ! (Constatant après avoir regardé Voloto de haut en bas) Mais vous êtes plus épais qu'un casse-croûte SNCF à ce que je vois.
Monsieur Voloto (Stupéfait de la réflexion de Bedet et redressant le torse) – Je ne prétends pas monsieur : j'affirme.
Monsieur Bedet (Qui se rattrape) – Oui, je n'en doute pas. Ce n'est pas ce que je voulais dire.
Monsieur Voloto (Qui aimerait être rassuré) – Vous allez prendre ma déposition ?
Monsieur Bedet (Invitant monsieur Voloto à s'asseoir) – Oui, mais avant, si vous voulez bien me dire comment cela s'est passé.
Monsieur Voloto (Toujours très choqué) – Voilà, j'avais tout préparé dans ma voiture qui était garée juste devant mon appartement. J’étais prêt à monter pour partir...
Monsieur Bedet (Ferme) – Abrégeons s'il vous plaît...
Monsieur Voloto (Paniqué) – J'allais monter pour me mettre au volant car j'avais déjà démarré depuis longtemps pour faire chauffer le moteur...
Monsieur Bedet (Qui n'a pas envie de tout écouter et va serrer très fermement et franchement la main de monsieur Voloto) – Je m'excuse, je ne me suis pas présenté : Inspecteur principal Bedet. Je suis le responsable de ce commissariat...
Monsieur Voloto (Perdu) – Excusez-moi, mais pris par l'émotion, je ne me suis pas présenté non plus :monsieur Voloto...
Monsieur Bedet (Prêt à éclater de rire) – Avec un nom comme ça, c'est prédestiné...
Monsieur Voloto (Qui ne se démonte pas) – Vous ne croyez pas si bien dire. C'est la onzième voiture qu'on me vole dans les mêmes conditions..
Monsieur Bedet (Réfléchissant plus sérieusement) – Mais dites donc, si le moteur était en route et la portière ouverte, c'est de la provocation. Il n'y a plus qu'à accélérer pour partir !
Monsieur Voloto (honteux) – Je sais. C'est ce qu'on me dit à chaque fois. Mais moi, je ne veux pas brusquer mes moteurs, alors je les fais toujours chauffer avant de démarrer. C’est qu’il ne s'agit pas de les abîmer mes voitures hein !
Monsieur Bedet (Reprenant ses réflexes de commissaire) – Ca fait longtemps que vous avez votre permis ?
Monsieur Voloto (Qui prononce sans le faire exprès Bédet avec un « é »– Vous savez monsieur Bédet...
Monsieur Bedet (Reprenant poliment mais sèchement Voloto) – Non. Monsieur Bedet. Bedet s'il vous plaît, avec un « e » et sans accent...
Monsieur Voloto (Qui ne réagit pas vraiment) – Pardon monsieur Bedet sans « e ». Ecoutez, ça fait onze ans que j'ai mon permis.
Monsieur Bedet – Dites donc, ça fait une voiture par an qu'on vous pique alors !
Monsieur Voloto (Rectifiant) – Non, cette année, ce sera la deuxième. On ne m'avait rien piqué la première année !
Monsieur Bedet (Etonné) – Mais les assurances. Elles n'en ont pas marre de vous ?
Monsieur Voloto (Qui remet les choses en place) – Vous savez, mon grand garçon est dans les assurances. C'est un chic type. Il ne me laissera jamais tombé.
Monsieur Bedet (Qui devine immédiatement) – Il magouille si j'ai bien compris !
Monsieur Voloto (Rectifiant à nouveau ironiquement) – Non. Ça finit aussi par « ouille », mais c'est plutôt de la… débrouille !
Monsieur Bedet – Et personne ne dit rien dans sa compagnie d'assurance ?
Monsieur Voloto (Se prenant au jeu et fier de son fils) – Pensez donc ! Lui c'est le roi de la tambouille. Si vous allez chez lui pour vous renseigner sur le prix d'une assurance auto, vous ressortez et vous ne savez même plus comment vous vous appelez. Mais vous avez au moins signé cinq contrats...
Arrive alors subitement la militante MLFB avec sa pancarte et qui crie en interrompant tout le monde.
Jeannette (Qui se met à hurler en levant sa pancarte sur laquelle on peut lire : vive le MLFB) – A bas la discrimination et vive le MLFB !
Monsieur Bedet (Complètement dépité) – Ah non ! Vous n'allez pas encore recommencer à remettre votre zone !
Jeannette (Qui menace Monsieur Bedet en s'approchant de lui et en le menaçant de lui donner un coup de pancarte) – Attention à ne pas assimiler le MLFB avec « Zone ». Ca pourrait vous coûter cher monsieur le commissaire.
Monsieur Voloto (Tout surpris et se levant de sa chaise) – C'est la révolution chez vous !
Monsieur Bedet (S'adressant menaçant à monsieur Voloto en lui montrant à nouveau la chaise devant son...