LE JARDINIER : Bon, vous venez, les jeunes ! Commencez à vous échauffer.
Les moins de 15, par là… Les U14, ici…
Y’a des filles ? Bon, loin, très loin des zigotos, je me comprends…
Des moins de 13 aujourd’hui ? Des U11 ?
Bé, qu’est-ce que vous fichez ? Vous… vous faites grève ! Vous aussi… ?
Parce que si le coach vous trouve là, à glandouiller, ça va pas le faire. Et sur qui ça va retomber : sur bibi. Comme d’habe.
Non. Non, c’est pas une raison : faut s’entraîner. Bé oui : qu’est-ce que vous croyez ? Que ça m’a amusé ?
Mais je suis là, je viens. Je me traine, mais je viens.
Allez, quoi, les gars, c’est le foot…
Hein !? Que je quoi… ?
Oui-oui, ho c’est bon, j’ai compris ! Pas besoin de faire un dessin. Ils m’ont balancée.
Ha je les retiens les U17 : hé steplait steplait ! raconte-nous… steplait, raconte !
Ouai, rigolez…
Dites ce que vous avez découvert et voilà : bel encouragement pour les lanceurs d’alerte.
C’est ça, marrez-vous, les jeunes, marrez-vous…
Par contre, faites gaffe ! Faites gaffe : parce qu’une fois qu’on sait, on sait. Plus moyen de faire comme.
Mais après, entraînement. On est bien d’accord, hein ? Entraînement. Non non, déconnez pas : entrainement.
Bon.
Alors j’ai tout vu. Ou presque. Zizou, les autres, tous, Raymond Domenech dit RD. Ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont caché, ce qu’ils ont ressenti. Tout de toutes les époques. Tout ce qui est revenu de partout et ramène ici sur le terrain ; où tout recommence.
(le jardinier s’assied sur le banc et fait signe d’approcher)
Ecoutez… Ecoutez bien.
Dans le bus qui menait l’équipe de France au stade où devait se dérouler la finale de la Coupe du Monde 2006, Zidane trouva, dans sa poche, un petit papier : « Yazid donne un coup de tête à Materazzi ! »
Surpris, il leva les yeux : Yazid, son vieux surnom de quand il était minot ; et, dans le mouvement, comme une évidence, se tourna vers Ribéry : « C’est toi ? »
« Quoi, moi ? »
« Si, ça : c’est toi. »
Ribéry s’empara du papier que tendait plus ou moins Zidane et, commençant à le lire, se mit à siffler.
« Tu vois que c’est toi ! »
« Non ! »
(Le jardinier se met à ratisser)
Franki avait quasi crié sa réponse : que son capitaine puisse penser cette chose-là… Parce que d’accord il aimait les farces, c’est vrai, mais des blagues dans un bus, surtout à ce moment-là, jamais.
« Tu me crois… ! »
Devant cette interrogation inquiète, ZZ prit conscience de l’importance de son opinion.
« Ok, Franki, c’est bon… » (puis Le jardinier se mettra à chanter ce qui suit) C’est bon, Franki, c’est bon… c’est bon, Franki, c’est bon bon bon… c’est (le jardinier s’arrête d’un coup de chanter) Quoi ! On a plus le droit de chanter leurs exploits maintenant ?
En tout cas Ribéry se détendit d’un bloc. Comme un soupir de soulagement de l’ensemble de son corps.
Seulement les mêmes mots délivraient toujours le même avertissement ; avertissement qui se propagea. Et Raymond Domenech, dit RD le terrible robot, senti ses capteurs de stress négatif s’affoler. Et se décida, bien qu’il lui en coûtât, de demander à Vikash Dhorasso s’il avait filmé la montée.
« Dans le bus, coach ? » (et faisant oui de la tête)
Domenech fondit sur le caméscope. Rien ne s’avérait un hasard avant un tel évènement. Mais, malgré l’attention portée aux images… non aucun geste suspect, pas d’ombre bizarre, ni main baladeuse – encore heureux – rien n’entrait en contact avec La Poche.
Ce qu’il voyait c’était Zidane s’avançant vers le bus, Zidane montant dans le bus du pied droit, Zidane allant à sa place, Zidane se grattant les, Zidane s’asseyant à sa place habituelle, Zidane assis, Zidane baillant, Zidane avec un vague sourire.
C’était passionnant, icônant même, et surtout surprenant lorsqu’on songeait que c’était le gros nul qui avait filmé, mais absolument pas déterminant : rien, y’avait rien. Le bus démarrait, se mettait à rouler, Le Lotus Bleu Souriant se tenait toujours assis imperturbable sur son siège, et le gros naze avait coupé. Fin.
RD contempla l’écran vide de sens.
Frustré, il rendit avec brusquerie la caméra à… Dhorassooo ! (nom prononcé d’un ton rageur contenu ; puis ensuite un ton normal) Puis entreprit de discuter de l’incident avec son adjoint Pierre Mankowski.
Bruno Martini, l’entraîneur des gardiens, ayant hélas l’habitude de ces échanges prometteurs, proposa prudemment, au cas où, et si cela n’embêtait personne, de visionner l’enregistrement.
Domenech commença par le fusiller du regard. Se demandant de quoi se mêlait la passoire auxerroise. Seulement fallait en effet entamer des contre-mesures car déjà de nombreux joueurs sortaient, claquettes aux pieds, de leurs concentrations.
« Ca suffit ! » gueula RD, « Bruno va décortiquer la vidéo de… Vikaaash ! (même ton que précédemment sur le nom) Et si c’est l’un de vous, je vous préviens : les plaisanteries les plus courtes… »
« C’est pas moi ! » s’écria Ribéry.
Ce qui déclencha quelques rires.
« Alors ? » insista Domenech.
Quelques anges habillés en bleu de l’auréole jusqu’aux ailes passèrent ; et dans ce silence persistant, Zidane finit par lâcher un heu prolongé, tel un vent d’espoir : « Heeeuuu… »
« Vas-y » l’encouragea Mankowski.
Le numéro dix secouait sa fameuse tête : « Bé, c’est que je me disais que je connais cette écriture… »
« Parfait » reprit Domenech, « C’est qui ? »
« Ben… la votre, coach. »
« Quoi ! »
RD arracha le papier des mains de Zidane, et, s’appliquant à le – en resta bouche bée : putain, pas besoin de lire pour reconnaître son écriture !
RD se sentit devenir petit, très petit, tout petit… et très central aussi, lui l’ancien latéral complètement débordé : qu’est-ce qu’il allait pouvoir raconter ? Parce qu’il allait devoir prononcer quelques mots, cela s’avérait le minimum syndical.
« Hé bien » hum hum « C’est clair »… sauf que rien ne venait, « Très très clair »… les yeux comme un Lionel Jospin étonné de pas être au second tour.
Plus tard, après la causerie technico-tactique de RD qui avaient plané à dix mille au dessus d’un complot médiatico-transalpin: Zidane-passe-à-Yazid-qui-perce-et-pousse-Materzzi-dans-le-but-but-buuuut ! Il avait même fallu le calmer le Raymond, le faire s’asseoir, le ventiler…
Plus tard donc, peu de temps avant la rencontre, Pascal Chibonda, à la porte du vestiaire, s’approcha de Zidane : « Psst psst, hé, Zinedine, psst … ! Moi aussi, tac-tac, j’en ai eu un un papier, tu sais. »
« Hein ! »
« Absolument, Zinedine. »
« De la main du coach, de sa main ? »
« Oui-oui, tac-tac, Zinedine,...