La Divine

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” La Divine” est un hommage à Sarah Bernhardt. La pièce explore la vie et la légende de la grande tragédienne en mettant en lumière, au-delà du mythe, la femme passionnée, fragile et résolument moderne qu’elle fut. Les grands événements, qui ont marqué son parcours à la fois sur un plan personnel et professionnel, sont retracés: ses débuts hésitants, son ascension fulgurante, ses triomphes sur les scènes du monde entier, mais aussi ses combats intimes, ses blessures et ses audaces. Dès le prologue, Sarah Bernhardt apparaît plus vivante que jamais; elle s’avance à l’avant-scène, s’adresse directement au public pour annoncer ce qui sera le plus grand rôle de sa carrière: la mise en scène de sa propre vie.

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La Divine

 

Drame écrit par Elisabeth Danjean

 

 

 

 

 

PERSONNAGES

(Par ordre d’entrée en scène)

SARAH BERNHARDT

JUDITH-JULIE VAN HARD, la mère de Sarah Bernhardt

EDOUARD BERNHARDT, le père de Sarah Bernhardt

MERE SAINTE-SOPHIE, la supérieure du couvent

LE DUC DE MORNY, amant de la mère de Sarah Bernhardt

LE NOTAIRE

M.BED, prétendant de Sarah Bernhardt

ROSINE, la tante de Sarah Bernhardt

REGINA, la jeune sœur de Sarah Bernhardt

MADEMOISELLE NATHALIE, sociétaire de la Comédie-Française

MONSIEUR THIERRY, administrateur de la Comédie-Française

VICTOR HUGO, écrivain

FELIX DUQUESNEL, directeur du théâtre de l’Odéon

CHARLES DE CHILLY, directeur  associé du théâtre de l’Odéon

JEAN MOUNET-SULLY, comédien

EMILE PERRIN, administrateur de la Comédie-Française

GEORGE SAND, écrivaine

SOPHIE CROIZETTE, comédienne

EDWARD JARRETT, impresario

MAURICE BERNHARDT, le fils de Sarah Bernhardt

DOCTEUR  JEAN-SAMUEL POZZI, chirurgien et amant de Sarah

LUCIEN GUITRY, comédien et amant de Sarah

Pensionnaires du couvent, Elèves du Conservatoire, Professeur du conservatoire, Metteur en scène, Comédiens…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A Sarah Bernhardt…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prologue

 

Une grande scène de théâtre avec un lourd rideau de velours rouge…Sur le côté, une psyché…On entend en sourdine l’Adagio de Paganini…Temps d’attente…Puis les trois coups théâtraux…Voix off en coulisses : « Mesdames, messieurs, mademoiselle Sarah Bernhardt !...Veuillez faire un accueil triomphal au grand retour sur scène de la célèbre tragédienne !… » Applaudissements…Le rideau rouge s’écarte et Sarah Bernhardt apparaît au milieu de la scène…Elle est très en beauté, chevelure flamboyante, regard étincelant, vêtue d’une somptueuse robe en tulle perlé avec une longue traîne rose et une petite collerette autour du cou…Sarah Bernhardt s’avance majestueusement tandis que le rideau se referme derrière elle…Elle va contempler un instant son reflet dans la psyché, réajuste sa coiffure…Puis s’avance à l’avant-scène, face public… Lumière en douche sur Sarah Bernhardt, le reste de la scène est plongé dans l’obscurité… La divine tragédienne semble très émue…

 

SARAH BERNHARDT

Merci ! Merci ! Merci cher public d’être là !

Public applaudit

SARAH BERNHARDT

Merci ! Merci ! Vous êtes merveilleux ! (Levant légèrement la tête.) Et merci à l’auteure de me faire revivre le temps d’un spectacle !... (Ecoutant la musique de Paganini.) Et cette musique pour saluer mon grand retour sur scène, elle est divine !...

Un moment de silence…Sarah Bernhardt semble se recueillir dans l’écoute de la musique qui ira en s’assourdissant au fur et à mesure de son discours…

SARAH BERNHARDT

Je reviens de si loin pour vous parler…De si loin… (Se dirigeant à nouveau lentement vers la psyché.) Je suis passée de l’autre côté du miroir… (Se retournant vers le public.) Je reviens car morte, j’ai une fascination pour la vie, comme vivante, j’avais une fascination pour la mort…Et le théâtre est un merveilleux miroir pour jouer avec ces deux dimensions… (Revenant lentement au centre de la scène.) J’ai joué la mort tant de fois sur scène, avec tant de passion et de conviction, qu’il me fallait quelquefois plus d’une heure pour reprendre vie… (Souriant légèrement.) Et là, il m’a fallu beaucoup plus de temps pour revenir parmi vous… Et c’est moi qui suis devenue à présent un personnage de théâtre ! (Riant.) C’est normal, ma vie a toujours été une vraie pièce de théâtre ! (Avec élan.) Le théâtre a toujours été ma passion, mon temple, et je donnais mon cœur, ma chair, mon sang au public… (Faisant une petite révérence.) Et c’est pour vous, public aimé, que j’ai revêtu ma plus belle robe…Quand je jouais la reine dans Ruy Blas, le rôle qui lança ma carrière et me fit rencontrer Victor Hugo, le plus grand poète du 19ème siècle… (Frappant dans ses mains avec enthousiasme.) C’est merveilleux !... Merveilleux d’être à nouveau sur scène devant mon public !...Et dire que dans ma première jeunesse je voulais être religieuse ! Mais sous le sentiment religieux et mystique qui était le mien dormait l’amour de la poésie et du beau… Et j’ai fait du Théâtre mon temple, où, telle une prêtresse de la nuit, j’officiais la messe, moi, la Divine !... (Se déplaçant, souriante.) Oui je sais, je parle, je parle beaucoup, cher public, mais cela fait un siècle que je suis en coulisse, spectatrice de vos faits et gestes sur la grande scène du monde… (S’arrêtant brusquement, regard public.) Oui, vous aussi, public chéri, vous êtes acteur…Et souvent j’applaudis vos actions…Ou j’en ris… Ou bien j’en pleure… (Soudain grave.) Et je dois dire que je pleure beaucoup ces derniers temps devant le triste spectacle qu’offre le monde avec la destruction de l’environnement- moi qui ai toujours tant aimé la nature et les animaux !- le spectre menaçant et toujours renaissant de la guerre et de l’antisémitisme, les violences faites aux femmes… Car ma vie durant j’ai lutté, comme personne, pour le respect de la liberté individuelle, et telle a toujours été aussi la mission du théâtre, de mon théâtre : transmettre la Vérité. Le théâtre est un vaste miroir  dans lequel la société se reflète car le théâtre est la métaphore de la vie comme la vie est la métaphore du théâtre… (Avec élan.) C’est pourquoi je reviens pour mettre en scène tous les grands moments de ma vie qui ont défilé dans mon esprit au moment fatal…Et vous allez voir que je ne suis pas seulement une femme et une actrice de mon époque, je suis aussi de votre époque… (Avec passion.) Je suis le théâtre entier et j’y représente toute l’humanité… (Désignant d’un geste théâtral le côté gauche de la scène.) Au début de la pièce, j’entrerai donc côté jardin, symbole de la naissance, et (Désignant le côté droit de la scène.) je sortirai côté cour à la fin de la pièce pour regagner les coulisses, symbole de l’au-delà du monde… (Frappant dans les mains :) Mais, en attendant, il me faut vivre…vivre…vivre…ou plutôt revivre quand même ! selon ma devise préférée… (Levant la tête comme si elle s’adressait à un régisseur :) Allez ! De la lumière ! Je veux de la lumière pour illuminer les grandes scènes de ma vie !...Et ouvrez-moi ce rideau complètement !...Que se lève le rideau de ma vie !...The show must go on !…

Le lourd rideau rouge s’écarte alors lentement tandis que Sarah Bernhardt, après un dernier salut au public, disparaît dans les coulisses…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte I

Scène 1

SARAH, SA MERE

 

Au centre de la scène, un immense sofa sur lequel est allongée        Judith-Julie Van Hard, la mère de Sarah Bernhardt. C’est une belle femme aux cheveux incroyablement longs. Elle lit un livre quand sa fille Sarah entre soudain côté jardin. C’est une petite fille maigre aux cheveux crépus.

SARAH, se précipitant vers sa mère.

Tu veux me parler maman ?

LA MERE, posant son livre et s’asseyant sur le sofa.

Oui j’ai à te parler Sarah. Assieds-toi près de moi !

Sarah s’assoit sur le sofa à côté de sa mère. Sa mère la contemple un moment en silence. Avec un soupir, elle passe une main dans les cheveux frisés de sa fille.

LA MERE

Toujours cette tignasse !...

SARAH, les yeux plein de larmes.

Tu me trouves laide maman ?

LA MERE, avec un mouvement d’impatience.

Mais non ! Tu as toujours de ces idées !

La mère de Sarah Bernhardt se lève, et va se regarder dans la psyché. Elle se recoiffe tandis que sa fille se lève également et va se mettre derrière elle.

SARAH, admirative.

Tu es si belle maman ! Tes cheveux, on dirait de l’or !

LA MERE, continuant à se recoiffer.

J’ai reçu une lettre de ton père Sarah. Il souhaite que tu sois mise en pension.

SARAH, effarée.

En pension ?! Mais pourquoi ?!

 

LA MERE, se recoiffant toujours.

Tu dois aller en pension pour tes études Sarah. Tu seras avec beaucoup d’autres petites filles.

SARAH, entourant la taille de sa mère de ses bras et la serrant de façon convulsive.

Je ne veux pas aller en pension ! Je ne veux pas te quitter maman !

LA MERE, se dégageant, impatiente.

Ne fais pas l’enfant Sarah ! Tu dois aller étudier ! Les ordres de ton père sont formels. Tu partiras demain au couvent de Grand-Champs à Versailles. Ton père va t’y emmener. Je vais préparer tes affaires.

La mère de Sarah Bernhardt s’apprête à sortir, puis se retourne une dernière fois vers sa fille.

LA MERE

Tu sais bien que je ne suis pas souvent là et que j’adore voyager. Je ne peux pas m’occuper de toi. Tu recevras une meilleure éducation au couvent.

Sortie de la mère…Sarah reste un moment à fixer son image dans le miroir…Des larmes glissent sur ses joues…

SARAH

Ma mère ne veut pas de moi parce que je ne suis pas jolie…Je ne lui plais pas… (Air de défi.) Mais un jour je serai quelqu’un et elle sera forcée de m’admirer…Quand même !...

 

NOIR

 

 

 

 

 

 

 

Scène 2

SARAH, SON PERE, MERE SAINTE-SOPHIE

 

Parloir du couvent de Grand-Champ à Versailles…La scène est toujours plongée dans l’obscurité…On entend seulement les voix de Sarah Bernhardt, son père, et mère Sainte-Sophie, la supérieure du couvent.

 

SARAH, off, en larmes.

Papa ! Papa ! Ne me laisse pas ici ! C’est une prison cela, j’en suis sûre !...Je ne veux pas aller en prison !...J’ai peur !...J’ai peur !...

LE PERE, off.

Sarah, mon enfant, ma fille chérie, calme-toi ! Ne pleure pas. Tu n’es pas dans une prison et je suis sûr que tu vas te faire beaucoup d’amies. Et, si tu es sage, dans quatre ans, je te promets que je t’emmènerai avec moi faire de grands voyages…

SARAH, off.

Alors, je vais être sage, sage et bien travailler pour partir dans quatre ans avec toi.

MERE SAINTE-SOPHIE, off.

Ne vous inquiétez pas monsieur. Sarah sera bien traitée ici. Mais l’heure avance, je dois emmener Sarah, lui faire visiter le couvent et la présenter à ses camarades.

LE PERE, off.

Merci pour vos bons soins. (Très ému.) Au revoir Sarah, je dois te quitter. Je pense à toi, n’oublie pas ta promesse !

SARAH, off, cri déchirant.

Papa ! Papa !...

 

 

 

 

Scène 3

SARAH, SA MERE, MERE SAINTE-SOPHIE, PENSIONNAIRES DU COUVENT

 

Quelques mois plus tard…Lumière sur la scène…Au centre de la scène est montée une petite estrade…Sur le devant de la scène, la supérieure du couvent, mère Sainte-Sophie apparaît, entourée de plusieurs pensionnaires. Les jeunes filles semblent surexcitées…

 

MERE SAINTE-SOPHIE, frappant dans ses mains avec autorité.

Mesdemoiselles ! Mesdemoiselles ! Calmez-vous ! Monseigneur Sibour va bientôt arriver…Je vous rappelle que nous jouons pour lui la petite pièce écrite par mère Sainte-Thérèse Tobie recouvrant la vue (Regardant autour d’elle.) Toutes les comédiennes sont prêtes ? Mais je ne sais pas où est Sarah ? Sarah ! Où est Sarah ?...

A ce moment, Sarah entre sur scène…Elle est vêtue d’une longue robe blanche, avec une ceinture bleue autour de la taille et deux ailes en papier retenues par des petites bretelles qui se croisent sur sa poitrine. Elle porte un lacet d’or autour de la tête, et tient une longue branche de saule dans la main.

MERE SAINTE-SOPHIE, sévère.

Sarah ! Dépêchez-vous ! Monseigneur Sibour ne va pas tarder à arriver ! N’oubliez pas que vous jouez le rôle de l’ange Raphael et que vous êtes la première à monter sur scène !

SARAH, furieuse.

Ce n’est pas ma faute ! C’est la faute de sœur Marie qui a pris beaucoup de temps à essayer de me démêler les cheveux !

MERE SAINTE-SOPHIE, toujours sévère.

Sarah !

SARAH, rageuse.

Si, c’est sa faute !

Petits rires parmi les pensionnaires qui murmurent : « Mademoiselle Révolte fait encore des siennes !... Mademoiselle Révolte fait encore des siennes !... »

On entend du bruit dans la salle…

MERE SAINTE-SOPHIE, avec autorité.

Monseigneur Sibour vient d’arriver ! Sarah et Amélia sur l’estrade ! Et toutes les autres dans les coulisses !

Sortie de mère Sainte-Sophie et des pensionnaires… Sarah et Amélia montent sur l’estrade…Lumière en douche sur l’estrade, le reste de la scène est plongée dans l’obscurité.

SARAH, jouant le rôle de l’ange Raphael.

Ne crains rien Tobie, je serai ton conducteur. J’écarterai de ta route les ronces et les pierres. La fatigue t’accable. Repose-toi. Moi, je veille !

AMELIA, jouant le rôle de Tobie.

Merci mon ange gardien ! Je me sens bien fatigué…Mais je suis rassuré en ta présence, je vais me reposer.

Et Tobie accablé se couche au bord de l’estrade et s’endort.

Lumière centrée sur Sarah dans le rôle de l’ange. 

SARAH, toujours dans le rôle de l’ange Raphael.

Seigneur, merci de guider nos pas dans ta Lumière…Et merci de veiller sur nous durant ce long voyage…Hosannah ! Hosannah ! Gloire à Dieu au plus haut des Cieux !

Plusieurs voix reprennent en coulisse : « Hosannah ! Hosannah ! Gloire à Dieu au plus haut des Cieux ! »

Sarah dépose alors sa branche de saule sur l’estrade, puis détache ses ailes et s’exclame avec exaltation :

SARAH, écartant les bras.

Je veux être religieuse ! Je veux offrir ma vie à Dieu ! Pour lui, je sacrifie tout ! Tout ! Tout !

Lumière sur le côté de la scène…La mère de Sarah apparaît, en grand deuil…Sarah baisse les bras et tourne lentement la tête vers elle…

SARAH, soudain grave.

Ne me dis rien !...Ne me dis rien !...

 

 

LA MERE

Fillette, je viens te faire du chagrin…Papa est mort !...

SARAH, cri déchirant.

Je le sais…Je le sais…

 

NOIR

Scène 4

SARAH, SA MERE, SA TANTE ROSINE, LE DUC DE MORNY M.BED, LE NOTAIRE

 

Lumière sur la scène…Salon de Judith-Julie Van Hard, la mère de Sarah…Au centre de la scène, l’immense sofa sur lequel sont assis la tante Rosine, M.Bed et le notaire. Sur le côté de la scène, un grand miroir devant lequel se recoiffe la mère de Sarah… Près d’elle, le duc de Morny qui lui tient des propos galants…

LE DUC DE MORNY, galamment.

Chère amie, ce miroir ne vous renvoie qu’un pâle reflet de votre beauté…

LA MERE, se recoiffant.

Ma beauté va finir par passer avec les soucis que me causent Sarah…Elle a maintenant quinze ans et vous savez qu’elle veut toujours être religieuse…

LE DUC DE MORNY, moqueur.

Religieuse ?! Ah ! Bah ! Elle n’est pas sérieuse…Et quel blasphème pour vous et votre sœur Rosine dont la vie est principalement dans les alcôves…

LA MERE, avec un soupir.

Oui, un vrai blasphème ! Je suis complètement opposée à ce projet ! Moi, avoir une fille religieuse ! Je souhaite que Sarah se marie au plus vite ! C’est pourquoi j’ai invité M.Bed qui serait un beau parti pour elle, et notre notaire qui doit remettre à Sarah une jolie somme pour son mariage de la part de son défunt père.

LE NOTAIRE, se levant.

Cent mille francs exactement chère madame.

 

 

LA TANTE ROSINE, répétant joyeusement.

Cent mille francs !

A ce moment entre Sarah. C’est une jeune fille maigre, au teint pâle et à la chevelure rebelle. Léger silence à son entrée…

SARAH, à sa mère.

Tu m’as fait appeler maman ?

LA MERE, s’approchant de sa fille.

Oui Sarah, j’ai à te parler d’une affaire très sérieuse. Tu as à présent quinze ans et il est temps de songer à te marier. Je te présente M.Bed qui souhaite te demander en mariage.

M.Bed se lève et s’incline devant Sarah.

M.BED

Mademoiselle, si vous acceptiez ma demande, vous feriez de moi le plus heureux des hommes.

SARAH, catégorique.

Je ne veux pas me marier, je veux être religieuse.

M.BED, s’inclinant toujours davantage.

Mademoiselle, vous me plaisez beaucoup et je vous couvrirai de bijoux…

SARAH, impatiente.

Mais moi monsieur, je ne vous aime pas et vous ne me plaisez pas du tout !

LA MERE, avec reproche.

Sarah !

M.BED, se redressant soudain, air pincé.

Je vois que je n’ai pas le bonheur de plaire à mademoiselle. (A la mère de Sarah.) Permettez-moi, madame, de me retirer.

Après un dernier salut, M.Bed quitte la scène.

 

 

 

TANTE ROSINE, s’approchant de Sarah.

Ma chérie ! Qu’as-tu fait ? M.Bed est un jeune et riche tanneur, un homme aimable qui serait un beau mari pour toi.

SARAH, air dégoûté.

Il ne me plaît pas du tout, il est si barbu, si chevelu qu’il me répugne avec tous ses poils ! Je veux être religieuse et retourner à mon couvent de Grand-Champs !

LE NOTAIRE

Ton père t’a laissé de l’argent pour te marier !

SARAH, avec fougue.

Eh bien, j’épouserai le bon Dieu ! (Se tournant vers sa mère :) N’est-ce pas maman que tu veux bien que je sois religieuse ?

LA MERE

Non, je ne le souhaite pas. Et ton entêtement me fait de la peine. Tu sais bien qu’après ta sœur, tu es ce que j’aime le plus au monde.

Sarah reste figée, atterrée par cet aveu. Gêne dans le salon.

LE DUC DE MORNY, s’approchant de la mère.

Chère amie, savez-vous ce qu’il faut faire de cette enfant ?...Il faut la mettre au Conservatoire.

LE NOTAIRE, méchant.

Mais elle est trop maigre pour faire une actrice !

SARAH, avec emportement.

Je ne veux pas être actrice !...

TANTE ROSINE

Tu ne sais pas ce que c’est !

Le duc de Morny s’approche alors de Sarah et lui tapote la joue.

LE DUC DE MORNY, se retournant vers la mère de Sarah.

Suivez mon conseil, mettez-la au Conservatoire. Cette enfant a du caractère, elle est peut-être douée pour le théâtre !

Sortie du duc de Morny.

Moment de silence.

LA MERE, brusquement.

Allez, c’est décidé, dès ce soir nous faisons connaître le monde du théâtre à Sarah. Allons voir Britannicus à la Comédie-Française !...

 

NOIR

Scène 5

SARAH, JURY (OFF)

 

Lumière…Sarah vient passer l’examen d’entrée au Conservatoire. Elle entre sur scène, vêtue d’une robe de soie noire. Sarah est pâle et semble nerveuse. Elle fait une petite révérence, puis reste figée au milieu de la scène.

VOIX D’HOMME, off.

Voyons, Mademoiselle, nous ne sommes pas des ogres. Approchez-vous…Venez à l’avant-scène…

Sarah s’approche, face public.

VOIX D’HOMME, reprenant, off.

Qu’allez-vous nous interpréter ?

SARAH, voix enrouée par l’émotion.

Les Deux Pigeons de La Fontaine.

AUTRE VOIX D’HOMME, off.

Commencez, Mademoiselle, commencez !

SARAH, voix toujours enrouée par l’émotion.

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre…

MEME VOIX D’HOMME, off.

Plus haut, Mademoiselle, plus haut ! On ne vous entend pas !

 

 

SARAH, toujours très émue.

L’un d’eux, s’ennuyant au logis,

Fut assez fou pour entreprendre

Un voyage en lointain pays…

 

VOIX D’HOMME, reprenant, off.

C’est inaudible, Mademoiselle. Allons, recommencez, et plus haut !

VOIX DE FEMME, off.

Ah ! Mais si elle recommence sans cesse, cela n’en finira plus !

Petit rire dans le jury.

Indignée et vexée, Sarah reprend sa récitation :

SARAH, voix plus ferme.

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre :

L’un d’eux, s’ennuyant au logis,

Fut assez fou pour entreprendre

Un voyage en lointain pays.

L’autre lui dit : « Qu’allez-vous faire ?

Voulez-vous quitter votre frère ?

L’absence est le plus grand des maux…

Au fur et à mesure de sa récitation, la voix de Sarah se fait plus expressive, harmonieuse et musicale…

SARAH, terminant avec lyrisme.

Ah ! Si mon cœur osait encore se renflammer !

Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?

Ai-je passé le temps d’aimer ?...

Moment de silence dans la salle.

VOIX D’HOMME, off.

Mes félicitations, Mademoiselle, vous avez une fort jolie voix et de la présence.

SARAH, le cœur battant.

Alors, je suis reçue ?!

MEME VOIX D’HOMME, off.

Mais oui, vous êtes reçue !

SARAH, folle de joie.

Je suis reçue ! Je suis reçue ! Je cours l’annoncer à maman !

Sarah fait une petite révérence et sort de scène précipitamment. On entend sa voix dans les coulisses : « Maman ! Je suis reçue ! Maman ! J’ai réussi ! Quand même !... »

 

NOIR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte II

Scène 1

SARAH, PROFESSEUR, ELEVES DU CONSERVATOIRE

 

Salle du Conservatoire…Un grand miroir sur le côté de la scène…Sarah et d’autres élèves suivent un cours de maintien et de diction…

LE PROFESSEUR, une baguette noire à la main.

Allons, Mesdemoiselles, le corps rejeté en arrière, la tête haute, la pointe du pied en bas…Là…Parfait…Un, deux, trois, marchez !

Sarah et les autres élèves suivent les conseils du professeur.

LE PROFESSEUR, avec autorité.

Tout est dans le regard, le geste, l’attitude. Aidez-vous du miroir, Mesdemoiselles, vérifiez votre maintien !

Les élèves se regardent tour à tour dans le miroir ; Sarah s’y contemple un peu plus que les autres, accentuant le geste, l’attitude, finissant par rire et sourire de ses poses exagérées.

LE PROFESSEUR, sévère, agitant sa baguette.

Mademoiselle Bernhardt, un peu de sérieux ! Vous n’êtes pas dans un cirque, vous êtes au Conservatoire de Paris !...Bon Mesdemoiselles, enchaînons avec le cours de diction ! Veuillez faire cercle autour de moi et répétez !

LE PROFESSEUR, ouvrant la bouche de façon exagérée, un peu ridicule.

Un très gros rat dans un très gros trou ! A vous, Mesdemoiselles, ouvrez bien les!

Les élèves en cercle répètent tandis que le professeur agite sa baguette comme un chef d’orchestre. Sarah fait des efforts pour retenir son rire.

LE PROFESSEUR, ouvrant encore plus la bouche.

Combien ces six saucisses-ci ? C’est six sous, ces six saucisses-ci ! Six sous ces six saucisses-ci ? A vous Mesdemoiselles, répétez plusieurs fois ! (Sévère.) Mademoiselle Bernhardt, un peu de tenue !

Les élèves répètent sous l’égide de leur professeur qui agite toujours sa baguette pour marquer le rythme…

LE PROFESSEUR, avec autorité.

Et maintenant, Mesdemoiselles, une dernière ! (Toujours avec des mouvements de bouche exagérés :) Le plus petit papa, petit pipi, petit popo, petit pupu ! Fermez bien la bouche en cul de poule pour les P ! Comme ceci !

Le professeur fait alors des grimaces grotesques avec sa bouche et Sarah éclate de rire. Son rire est si puissant et sonore qu’il fait résonner les murs de la salle.

LE PROFESSEUR, menaçant, agitant sa baguette.

Mademoiselle Bernhardt ! Je vous prie de cesser immédiatement ce rire insolent ou je vous chasse de mon cours !

Sarah rit de plus en plus fort, pliée en deux.

UNE ELEVE, au professeur.

Vous n’arriverez jamais à faire cesser le rire de Sarah, monsieur ! Son rire est incassable, légendaire !

LE PROFESSEUR, toujours menaçant.

Nous verrons si mademoiselle Bernhardt rira autant quand elle aura échoué au concours d’entrée à la Comédie-Française !...

La lumière baisse alors progressivement sur la scène…On entend encore résonner les éclats du rire de Sarah…

Puis voix off dans le noir : « Mademoiselle Bernhardt a reçu le second prix de comédie. Elle a été engagée à la Comédie-Française où elle a fait ses débuts dans la pièce Iphigénie de Racine.

 

NOIR

 

 

 

 

 

 

 

Scène 2

SARAH, SA JEUNE SŒUR REGINA, MADEMOISELLE NATHALIE, MONSIEUR THIERRY, ARTISTES…

 

Lumière sur la scène…Couloir des bustes de la Comédie-Française…Au centre se trouve le buste de Molière…L’administrateur de la Comédie-Française, Monsieur Thierry, fait un discours, entouré de comédiennes et de comédiens

 

MONSIEUR THIERRRY

Mesdames, messieurs les comédiens…Je vous remercie d’être présents pour le jour de l’anniversaire de Molière…La cérémonie va commencer… (Se tournant vers le buste de Molière.) Nous allons tous venir les uns après les autres pour saluer le buste du célèbre dramaturge…

A ce moment entre Sarah qui tient sa jeune sœur Régina par la main. Régina est une enfant espiègle, d’une blondeur angélique. A leur entrée, Monsieur Thierry et certains artistes leur jettent un regard réprobateur.

MONSIEUR THIERRY

Que la cérémonie commence ! Tant pis pour les retardataires !

Les comédiennes et comédiens commencent à défiler devant le buste de Molière. Sarah et Régina marchent derrière Mademoiselle Nathalie, une vieille sociétaire grosse et hargneuse. A un moment, Régina marche sur la traîne de la robe de Mademoiselle Nathalie. Cette dernière se retourne et pousse brutalement Régina qui va s’écraser contre la colonne supportant le buste de Molière. Régina se blesse au visage. Furieuse, Sarah se précipite et gifle Mademoiselle Nathalie.

SARAH, avec emportement.

Vous êtes méchante et bête !

Mademoiselle Nathalie s’évanouit sous l’insulte. Des comédiens se pressent autour d’elle. D’autres aident Régina à se relever.

REGINA, à Sarah.

Je ne l’ai pas fait exprès, grande sœur, je te jure ! Je n’ai pas vu sa traîne ! Cette grosse vache a rué pour rien !

Rires étouffés de certains comédiens.

Monsieur Thierry s’approche de Sarah.

MONSIEUR THIERRY, froidement.

Mademoiselle Bernhardt, votre conduite est scandaleuse et impardonnable. Vous allez immédiatement présenter vos excuses à Mademoiselle Nathalie qui commence à reprendre ses esprits.

Silence.

MONSIEUR THIERRY, sèchement.

Eh bien, mademoiselle ?

SARAH, rebelle.

Jamais je ne présenterai mes excuses !

MONSIEUR THIERRY, sévère.

Mademoiselle Bernhardt, si vous ne présentez pas vos excuses pour votre insolence et votre comportement déplacé, je résilie votre engagement à la Comédie-Française !

SARAH, révoltée.

Eh bien, dans ce cas, je quitte tout de suite la Comédie-Française ! Et si c’était à refaire, je giflerai encore Mademoiselle Nathalie !

Sarah attrape la main de Régina, et se retourne une dernière fois face à Monsieur Thierry et aux comédiens, figés de surprise.

SARAH, déterminée.

Et je réussirai, je serai la plus grande actrice du monde…Quand même !

Exit Sarah et Régina.

UN COMEDIEN

Voilà une sortie bien théâtrale ! Sarah Bernhardt est un vrai personnage de théâtre !

NOIR

 

 

Scène 3

LETTRE DE SARAH BERNHARDT A L’AUTEURE…

 

Eclairage clair-obscur…Au milieu de la scène, un cercueil ouvert…Sur le côté, Sarah se regarde dans un miroir, réajuste sa coiffure, puis se dirige lentement vers le cercueil, y prend un papier et un crayon, puis s’y installe confortablement pour écrire.

SARAH, écrivant.

Chère auteure, je vous écris d’outre-tombe…Je me permets d’intervenir dans votre travail d’écriture car je vous sens un peu perdue… Je vous comprends, ma vie est remplie de tant de péripéties, d’amantes, d’amants qu’il y a de quoi se perdre…Je prends donc la plume pour vous aider ma jeune amie (permettez-moi cette appellation familière car, comparée à moi qui mange des pissenlits par la racine, comme on dit, depuis plus d’un siècle, vous êtes incroyablement jeune…). Et puis, vous m’êtes une femme sympathique, partageant la même passion du théâtre que moi, et vous n’hésitez pas à vous engager dans la défense de causes nobles et généreuses comme le respect de la nature et de l’environnement, les droits des femmes, la dénonciation des préjugés de toute sorte…Donc je vous aide à démêler l’écheveau de ma vie…Ne croyez pas, je suis très bien installée dans mon cercueil ; de mon vivant, je m’étais déjà achetée ce cercueil en bois de rose dans lequel je m’installais pour apprendre mes rôles ou pour dormir…J’ai toujours eu une passion pour le morbide ayant frôlé la mort de nombreuses fois dans mon enfance…En plus du cercueil, je portais même un crâne humain baptisé Sophie attaché à ma ceinture…Bien entendu, j’ai toujours excellé dans l’art de mourir sur scène, les yeux révulsés…Oh mais je parle, je parle, je suis une incorrigible bavarde !...Revenons à nos moutons comme on dit…Après mon départ précipité de la Comédie-Française, un des grands évènements de ma vie fut la naissance de mon fils Maurice, mon Mauriçou comme je l’appelais, le grand amour de ma vie avec le théâtre…Son père est le prince de Lignes, un de mes amants de passage…Puis je fus engagée au théâtre de l’Odéon…Ah ! Comme j’ai aimé ce théâtre de l’Odéon ! Tout le monde s’y plaisait et y était heureux ! Le directeur, Félix Duquesnel, était un homme charmant, si charmant qu’il ne tarda pas à devenir mon amant…Puis la guerre de 1870 entre la France et l’Allemagne éclata…Ah je hais la guerre avec toutes ses atrocités et ses horreurs ! Ma jeune amie, j’espère que vous ne connaîtrai jamais la barbarie d’une guerre causée par les vanités ou caprices de quelques potentats…Le théâtre de l’Odéon s’était transformé en ambulance et j’apportais mon soutien aux soldats blessés…Puis la guerre finit par cesser et je repris ma vie de comédienne et de femme libre, car pour moi – et je sais pour vous aussi- une femme se doit avant tout d’être libre…Ah mais je vous entends piaffer d’impatience ma jeune amie ! Je vous connais, vous êtes impulsive comme moi, et vous souhaitez à présent reprendre le cours de votre écriture théâtrale…Mais n’oubliez pas de mettre en scène Ruy Blas, le drame romantique qui consacra mon triomphe, qui me fit devenir l’Etoile du théâtre avec le rôle de la Reine, et de parler de ma rencontre avec le plus grand poète de tous les temps, Victor Hugo…Bon je vous quitte à regret et j’expérimente le douloureux paradoxe de me sentir, bien que morte, encore terriblement vivante…

 

NOIR

 

Scène 4

SARAH, VICTOR HUGO, COMEDIENS

 

Lumière…Scène du théâtre de l’Odéon…Première représentation de Ruy Blas de Victor Hugo…Scène finale…Sarah, qui joue le rôle de la Reine, est éblouissante de beauté, vêtue d’une robe somptueuse brodée en perles avec une longue traîne rose…Sa voix est magnétique, ses gestes gracieux et majestueux, ses expressions remplies d’émotion…

 

SARAH, dans le rôle de la Reine.

Ruy Blas, je vous pardonne !

Mais qu’avez-vous fait là ? Parle, je te l’ordonne !

Ce n’est pas du poison, cette affreuse liqueur ?

Dis !

UN COMEDIEN, jouant Ruy Blas.

Si ! C’est du poison, mais j’ai la joie au cœur.

Tenant la Reine embrassée et levant les yeux au ciel.

Permettez, ô mon Dieu, justice souveraine,

Que ce pauvre laquais bénisse cette reine.

Car elle a consolé mon cœur crucifié,

Vivant, par son amour, mourant par sa pitié.

SARAH, jouant la Reine.

Du poison ! Dieu ! C’est moi qui l’ai tué ! – je t’aime !

Si j’avais pardonné ?...

LE COMEDIEN, jouant Ruy Blas.

J’aurais agi de même.

Sa voix s’éteint. La reine le soutient dans ses bras.

Je ne pouvais plus vivre. Adieu !

Montrant la porte.

Fuyez ici !

Tout restera secret. Je meurs.

Il tombe.

SARAH, jouant la Reine.

Ruy Blas !

Elle se jette sur son corps.

LE COMEDIEN, jouant Ruy Blas.

Merci !

Noir sur la scène…Puis lumière…Salves d’applaudissements…Tous les comédiens viennent saluer…On entend le public crier : « SaRah ! SaRah ! SaRah !... ». Les autres comédiens se retirent et Sarah reste seule sur scène à saluer de nouveau. Un homme imposant, à la chevelure d’argent, s’avance vers la scène…Murmures dans le public : « C’est Victor Hugo ! L’auteur de la pièce !... ».

Victor Hugo monte sur la scène, s’agenouille devant Sarah et lui prend les mains.

VICTOR HUGO, très ému.

Madame, merci ! Merci ! Vous avez été grande et charmante dans le rôle de la Reine ! Vous avez magnifié ce personnage, et vous m’avez beaucoup ému, moi le vieux combattant ! A un certain moment, j’ai pleuré, et cette larme que vous avez fait couler, je la dépose à vos pieds.

SARAH, également très émue.

Monsieur, relevez-vous…Je me sens honteuse…C’est moi qui au contraire doit vous remercier pour ce rôle qui consacre ma carrière. Vous êtes le plus grand poète de ce siècle.

VICTOR HUGO, galant.

Madame, je suis votre valet et vous êtes ma reine.

Lumière plus intimiste sur la scène…Victor Hugo se relève et garde les mains de Sarah dans les siennes. Victor Hugo et Sarah semblent fascinés l’un par l’autre...

VICTOR HUGO, toujours galant.

Vous avez une voix d’or, fascinante, envoûtante…

SARAH

Monsieur, je suis confuse…Je dois avouer que j’avais des préjugés envers vous… Vous m’aviez été présenté comme un révolté, un renégat, un proscrit, revenant de vingt ans d’exil…Et lors de nos rencontres, j’ai découvert un homme charmant, fin, spirituel…Quelle sotte j’ai été !

VICTOR HUGO, portant la main de Sarah à ses lèvres.

Ne dites pas cela madame !

SARAH, charmée.

Vous avez la beauté du génie !

VICTOR HUGO

Je ne suis qu’un vieil homme par rapport à vous.

SARAH, se rapprochant.

Nos quarante ans de différence n’ont aucune importance quand on s’appelle Victor Hugo et Sarah Bernhardt.

Victor Hugo et Sarah s’étreignent…Long baiser passionné… 

SARAH, entraînant Victor Hugo vers les coulisses.

Venez !...Ce soir, je veux passer une longue nuit d’amour avec vous !...

VICTOR HUGO, subjugué.

Je vous suis madame…Je vous suis…Vous réveillez les ardeurs du vieux lion…

Sarah et Victor Hugo disparaissent dans les coulisses…

 

NOIR

 

Scène 5

CHARLES DE CHILLY, FELIX DUQUESNEL, SARAH

 

La lumière revient progressivement…Les deux directeurs du théâtre de l’Odéon, Charles de Chilly et Félix Duquesnel, sont en grande conversation…Les deux hommes paraissent très animés…

 

CHARLES DE CHILLY, indigné.

Quoi ! Tu me dis que Sarah veut nous quitter pour retourner à la Comédie-Française ?! Après le succès de Ruy Blas ! Oh ! Mais cela ne se passera pas ainsi ! Elle a signé un engagement avec nous nous qu’elle se doit de respecter !

FELIX DUQUESNEL, embarrassé.

Ecoute…Sarah est prête à négocier…Elle veut une augmentation…

CHARLES DE CHILLY, en colère.

Et puis quoi encore ! Une augmentation ?! Non mais pour qui se prend-elle ?! Elle est déjà bien suffisamment payée…Va me la chercher !...

Entrée de Sarah.

FELIX DUQUESNEL

Inutile…Voilà Sarah…

CHARLES DE CHILLY, brutal, à Sarah.

Eh bien, Duquesnel me dit que tu veux t’en aller ? Et pour aller où ? A la Comédie-Française d’où tu t’es fait renvoyer il y a quelques années ! Allons, c’est stupide, ta place est ici…

SARAH, déterminée.

L’administrateur de la Comédie-Française, Monsieur Perrin, me propose de m’engager à nouveau. Il m’offre douze mille francs par an. Donne-moi quinze mille francs ici, et je resterai.

CHARLES DE CHILLY, à nouveau en colère.

Il n’en est pas question ! Tu te contentes de ton salaire actuel ! (Sarcastique.) Et puis qui voudra vraiment de toi à la Comédie ? Ils en ont déjà soupé de ton mauvais caractère. L’autre soir, j’ai dîné avec Maubant, le grand tragédien. Eh bien, je t’assure qu’il n’a pas été tendre pour toi, il a même failli s’étrangler de fureur à l’annonce de ton éventuel retour !

SARAH, froidement.

Bien, je vais donc signer de ce pas mon contrat à la Comédie-Française puisque tu ne veux pas m’augmenter.

FELIX DUQUESNEL, allant vers Sarah et essayant de la retenir.

Chère Sarah, tu ne peux pas nous laisser, me laisser…

SARAH, se dégageant doucement.

Je n’en ai pas le choix.

CHARLES DE CHILLY, menaçant.

Tu as encore un an d’engagement avec nous. Je ne te laisserai pas partir !

SARAH, air de défi.

Personne ne m’a encore empêchée de faire ce que je voulais !

CHARLES DE CHILLY, toujours menaçant.

Ah ça ! Tu me prends donc pour un idiot !

SARAH, en colère.

Oui, je te prends même pour un triple...

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