La Jeune Fille des Faubourgs

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Le jour de son mariage, Rigaudon annonce à son ami Lafouine qu’il ne veut plus épouser madame de la Roche au Pois, qu’il vénérait autrefois, parce qu’il est tombé amoureux de Thekla, une belle inconnue. Lafouine, quant à lui, cherche à élucider un vol dont aurait été victime Boursicault, l’oncle de madame de la Roche au Pois, le privant de toute sa fortune. Les deux intrigues vont se combiner de manière spectaculaire, mêlant avec virtuosité intrigue amoureuse et enquête policière.
Cette comédie de haut vol est l’une des préférées du public viennois, qui lui fait un triomphe à chaque reprise. Elle a été créée le 24 novembre 1841 au Theater an der Wien à Vienne : Nestroy incarnait Lafouine et la musique était d’Adolf Müller.

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Johann Nestroy

La Jeune Fille
des Faubourgs

ou L’Honnêteté Finit
Toujours par Payer

(Das Mädl aus der Vorstadt
oder Ehrlich währt am längsten)

Traduit de l’allemand (Autriche) par
Marc Lacheny

Editions du Brigadier
14, rue du Quai - 59800 Lille

Personnages

Boursicault, un spéculateur

Madame de la Roche au Pois, veuve d’un marchand de céréales, sa nièce

Monsieur de Rigaudon, son fiancé, parent éloigné de Boursicault

Lafouine, agent secret

Nanette, femme de chambre de madame de la Roche au Pois

Lemercier, bonnetier, veuf

Madame Lelongbec, sœur de Lemercier, veuve

Josie, fille de Lemercier

Rosalie, Sabine, couturières, parentes de la femme défunte de Lemercier

Thekla, une brodeuse

Dominique, domestique de Boursicault

Un épicier

Un notaire

Des invités, des épiciers, des commis, des modistes

Acte I

Chambre élégante dans la maison de monsieur Boursicault. À droite et à gauche, une porte latérale, deux portes centrales. À droite et à gauche, des tables et des chaises.

Scène 1

Quelques épiciers et commis, quelques modistes, Dominique.

Dominique, debout devant une table, payant leur dû aux personnes présentes. Une cliente pareille, c’est plutôt rare, non ? Une fiancée qui paye déjà tout avant le mariage !

Tous. — Ça, c’est ben vrai.

Dominique. De nos jours, y en a, même après le divorce, ils ont toujours pas payé leur trousseau.

Un épicier. M’sieur Dominique, n’hésitez pas à nous recommander encore auprès de Madame, si elle a besoin de quelque chose.

Dominique. Cette fois-ci, vous m’avez tous fait une bonne ristourne, et si vous vouliez remettre ça —

L’épicier. Ça va de soi, on sait se tenir, quand même ! Que vous nous le rappeliez sans cesse, c’est un peu dégoûtant.

Dominique. Au contraire, y a rien de plus propre : pour moi, l’important, c’est qu’une main lave l’autre. Maintenant, que Dieu vous garde !

Tous. Adieu, M’sieur Dominique !

Ils sortent à gauche par la porte centrale.

Scène 2

Dominique, puis madame de la Roche au Pois et Nanette.

Dominique, seul. — Avec madame de la Roche au Pois, il faut être respectueux ! Mais je peux aussi me montrer flatteur, gagner toute sa confiance —

Madame de la Roche au Pois entre avec Nanette par la porte latérale de droite.

Madame de la Roche au Pois. Soit l’horloge est en avance, soit mon fiancé est en retard. Dominique !

Dominique. Quels sont vos ordres ?

Madame de la Roche au Pois. Du balai !

Dominique. Vot’ Grâce souhaite peut-être —

Madame de la Roche au Pois. Ne pas être importunée par un curieux doublé d’un empoté comme vous, voilà ce que je souhaite !

Dominique, quittant la pièce, pour lui-même. — Étrange caprice, qu’elle fait presque tous les jours !

Il sort à droite par la porte centrale.

Scène 3

Madame de la Roche au Pois, Nanette.

Madame de la Roche au Pois, agacée et fébrile. — Ça fait une bonne heure que je l’attends, et lui — refais-moi mes boucles correctement !(Nanette s’exécute.) Ça fait déjà une heure et demie qu’il aurait dû — Regarde-moi un peu cette manche ! Mais passe donc le cordon dedans ! — (Nanette s’exécute.) Deux heures qu’il me fait poireauter !

Nanette. Oui, oui, sa négligence mérite en effet une petite réprimande.

Madame de la Roche au Pois. Quoi ? Ce qui mérite une petite réprimande, c’est qu’il me néglige alors que je me suis mise sur mon trente et un ! C’est pour lui que brille ce satin, pour lui que s’agitent les plumes de cette queue de cigogne, pour lui encore que mon bras ploie sous le poids des bracelets, et lui, pendant ce temps-là, il est peut-être occupé à lire le journal ou à jouer au billard, à moins qu’il ne ah, quels sombres pressentiments contient ce « à moins qu’il ne ».

Nanette. Madame, ne vous rendez pas malade avec des idées pareilles, il ne va sûrement pas tarder à arriver, et s’il devait apercevoir des rides sur votre front —

Madame de la Roche au Pois. Puisque tu parles de rides, je suis tentée de te dire une belle grossièreté.

Nanette. Je parlais juste des rides de la tristesse.

Madame de la Roche au Pois. Les gens cultivés n’ont pas de rides ! La tristesse peut projeter de l’ombre sur mes traits, mon front peut s’assombrir, mais les rides, je les refuse en bloc à l’âge de vingt-sept ans et huit mois, c’est ridicule ! Quelle sombre idiote tu es !

Nanette, à part. C’est sur moi qu’elle passe sa colère : tel est le sort des femmes de chambre ici-bas.

Madame de la Roche au Pois. Depuis quelque temps, tu donnes tellement de preuves de ta stupidité que je — Rigaudon arrive — ah non, c’est mon oncle.

Nanette sort par la porte latérale de droite, Boursicault entre à droite par la porte centrale.

Scène 4

Boursicault, madame de la Roche au Pois.

Boursicault, à l’embonpoint frappant, mais vêtu avec grande élégance. — Bien le bonjour, ma nièce !

Madame de la Roche au Pois. — Le jour peut bien être bon, mais moi, je suis méchante et laide !

Boursicault. — Méchante, c’est possible, mais laide ? Au contraire, je trouve que ces habits —

Madame de la Roche au Pois. — Ah, vous me plaisez, mon oncle ! Quand je dis « laide », vous ne croyez quand même pas que c’est de mon apparence que je parle ! Chez moi, seuls l’humeur et l’état d’esprit peuvent être laids.

Boursicault. — Je sais, je sais ! (Pour lui-même :) Si seulement elle n’était pas si vaniteuse ! (À voix haute :) Parlons d’autre chose : ma nièce, ne trouves-tu pas que j’ai mauvaise mine aujourd’hui ?

Madame de la Roche au Pois. — Non —

Boursicault. — Ça doit venir du fait que j’ai mal dormi cette nuit. J’ai les traits tirés, mais ça a l’air d’attirer, alors —

Madame de la Roche au Pois. — Mon oncle, arrêtez de vous tracasser !

Boursicault. — Oh, je n’en fais pas toute une affaire, au contraire : la pâleur de ces jours a des conséquences colorées car elle rend un homme, déjà intéressant en soi, absolument irrésistible.

Madame de la Roche au Pois, éclatant de rire. — Mon oncle, arrêtez, je vous en prie !

Boursicault. — Oh, je sais, tu te dis que je ne compte plus du tout.

Madame de la Roche au Pois. — Au contraire, je crois que vous êtes obligé de compter beaucoup, et même énormément d’argent, si vous voulez avoir encore la moindre valeur.

Boursicault. — Et après ? Un amour complètement désintéressé, ça existe ? Le plus sentimental des adolescents est souvent contraint de mettre en gage sa plus belle redingote pour pouvoir conduire à l’église sa dulcinée désintéressée ! Et pourquoi moi, un homme valant bien quatre adolescents, je devrais renoncer à ma générosité ? Dans le cœur des femmes, il n’y a jamais d’entrée gratuite ; les freluquets se pressent en masse pour obtenir un billet bon marché au parterre, mais moi, je suis un homme à qui il faut une loge : ma splendeur ne rabaisse en rien ma générosité.

Madame de la Roche au Pois. — Tout est affaire d’interprétation !

Boursicault. — D’ailleurs, à mon âge —

Madame de la Roche au Pois. — Quel âge avez-vous, mon oncle ?

Boursicault. — Tout juste à peine mon âge, ce n’est pas vieux !
Je suis un danseur increvable.

Madame de la Roche au Pois. — Oui, c’est vous qui crevez les autres !

Boursicault. — Je suis un cavalier hardi et léger.

Madame de la Roche au Pois. — Votre cheval ne serait pas de cet avis.

Boursicault. — Je ne le lui demande pas non plus !

Madame de la Roche au Pois. — Au lieu de vous faire mousser, vous feriez mieux de pester contre un autre : là, je pourrais être d’accord.

Boursicault. — Et contre qui suis-je censé pester ?

Madame de la Roche au Pois. — Contre mon fichu fiancé qui se fait attendre le jour de son mariage.

Boursicault. — Bah, les invités ne sont pas encore arrivés ! Et puis c’est en se faisant désirer qu’un homme aussi jeune cherche à se rendre intéressant ! C’est une tactique que l’on utilise très souvent, nous, les hommes.

Madame de la Roche au Pois, le regardant de côté, réprimant ce qu’elle voulait dire et poursuivant. — Quand je repense à ce qu’il a fait il y a six ans quand je me suis mariée avec Roche au Pois : il était prêt à se donner n’importe quel type de mort !

Boursicault. — Ça a pris un bon bout de temps avant qu’il se rende à la raison.

Madame de la Roche au Pois. — À l’époque, je ne l’aimais pas parce que c’était un vrai pied-tendre. D’ailleurs, c’est ce qu’il est toujours : beaucoup trop craintif et timide.

Boursicault. — Ma foi, quand on est jeune — ça fait combien de temps que je ne suis plus si timide ?

Madame de la Roche au Pois, le regardant comme précédemment et poursuivant. — À peine entend-il que je suis veuve et le voilà qui se jette à mes pieds jusqu’à faire exploser le parquet, je me laisse attendrir, et maintenant —

Boursicault. — Maintenant, tu es à lui, c’est sûr, et quand un homme sait qu’une femme ne lui échappera plus, il se relâche. On est comme ça, nous, les jeunes.

Madame de la Roche au Pois. — Mon oncle, si vous persistez à vous compter parmi les jeunes, vous allez me faire fuir avec eux.

Elle va pour partir.

Boursicault. — Bon allez, ne fais pas d’histoires et reste là !

Madame de la Roche au Pois. — Il y a plein de choses qui me préoccupent à propos de ma toilette de ce soir, il faut que je — j’attends d’ailleurs une brodeuse que ma Nanette m’a recommandée.

Boursicault. — Une brodeuse ? Jeune, jolie ?

Madame de la Roche au Pois. — Aucune idée — d’ailleurs, qu’est-ce que ça peut vous faire qu’elle soit jeune ou jolie ?

Boursicault. — Je voulais juste savoir si elle était habile de ses mains. Je veux me faire broder des petits mouchoirs de soie, avec dans un coin mon nom, et dans l’autre, un angelot, une colombe ou un truc comme ça — Dieu merci, en amour, je m’élève vers des sphères supérieures et je n’ai pas besoin de m’abaisser au niveau de couturières ou de brodeuses.

Madame de la Roche au Pois. — Je croyais juste qu’il était plus commode pour vous de vous abaisser que de vous élever.

Boursicault. — Va-t’en, méchante ! Et je n’ai même pas encore vu les achats que tu as faits, conduis-moi donc plutôt dans ta chambre !

Madame de la Roche au Pois. — Soit, venez, mon oncle !

Boursicault, pour lui-même. — Hors de question de la lâcher tant que je n’aurai pas vu la brodeuse. Mon cœur est encore plein de projets amoureux. (À voix haute :) J’aurais le droit d’être fâché contre toi : comment peux-tu croire que j’ai des vues sur une brodeuse ?

Madame de la Roche au Pois. — C’est qu’on entend un tas de rumeurs sur vous —

Boursicault. — Des ragots !

Il sort avec madame de la Roche au Pois par la porte latérale de droite.

Scène 5

Lafouine, entrant par la porte centrale de gauche et chantant.

1.

Mes affaires ne sont pas publiques, juste privées,

Mes affaires vivotent alors qu’elles pourraient cartonner.

Je ne fais pas partie des enfants du bonheur,

Je supporte toute une collection de malheurs.

Ceux auxquels je prête meurent ou s’retrouvent dans l’pétrin,

À l’inverse, mes créanciers restent frais et sains.

L’amour s’rait merveilleux, s’il n’en tenait qu’à moi,

C’est l’amour réciproque qui est plus délicat.

Quarante-neuf ans qu’j’attends, et toujours pas d’changement,

Enfin, l’homme doit pas tout désirer en même temps.

2.

Dommage que j’me marie pas, quelle joie ce s’rait,

Mais le bonheur a vite fait de se consumer.

Quelle joie d’ram’ner sa cuit’ le soir à la maison,

Et que vot’ femm’, pendant huit jours, vous pass’ un savon !

Quelle joie de perdre tout d’abord au café,

Puis, à la maison, par vot’ femm’ d’êtr’ sermonné !

Quelle joie que l’destin lui offre si vite un amant !

Les enfants qui s’agitent la nuit, comme c’est charmant !

Et la famille s’agrandit, comme c’est surprenant !

Enfin, l’homme doit pas tout désirer en même temps.

(Après avoir chanté :) Mon raisonnement sur le mariage tient un peu de la fable : il rappelle beaucoup Le Renard et les Raisins. Mon célibat n’a pas jailli comme un chardon poussiéreux sur la steppe aride de la misogynie ; il a, sombre lierre, stérilisé le jardin de l’amour. Pour moi, l’amour ne fut pas un tableau bigarré aux couleurs gaies, mais une lithographie gâchée dans l’imprimerie du destin, le gris mélangé dans le gris, le noir dans le noir, l’obscur dans le sale. L’histoire pragmatique de mon cœur se compose de trois misérables chapitres : les rêveries inutiles, les tentatives infructueuses et les triomphes sans valeur. Si l’homme ne remporte jamais ceux où, en principe, il — où ça vaut la peine de — où — je ne sais pas m’exprimer, au fond je ne veux pas m’exprimer — si l’homme n’a pas été assez bon grimpeur pour atteindre les vrais fruits sucrés de l’arbre de la vie, si — je ne trouve pas les mots qui conviennent, ou plutôt si, je les trouverais, mais justement, les mots qui conviennent ne seraient pas convenables — en un mot comme en cent, l’humain, après quelques accès soudains de désespérance, tombe dans un état de sereine langueur sarcastique où il raisonne sur tout et où tout lui paraît de nouveau acceptable. Aujourd’hui, un mariage est fêté dans cette maison — cette veuve — déjà avant son premier mariage — et après sans interruption — et maintenant aussi qu’une deuxième fois elle va — et aussi à l’avenir, toujours — mais je ne veux rien trahir de ce qu’on ne va pas tarder à toucher du doigt. On vient, je crois que c’est elle.

Scène 6

Le précédent, Boursicault, madame de la Roche au Pois.

Madame de la Roche au Pois. — Ah, Monsieur Lafouine —

Boursicault. — Notre charmant agent —

Lafouine. — Votre serviteur, chère Madame. (À Boursicault :) Pareillement votre serviteur ! Je suis venu vous souhaiter ce dont vous n’avez pas besoin, à savoir le bonheur, car vous l’avez déjà. Le bonheur, on ne devrait le souhaiter qu’à ceux qui vont mal : alors, ce souhait aurait un sens.

Madame de la Roche au Pois. — Oh mon ami, le pas que je fais maintenant est si risqué —

Lafouine. — Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Ce n’est pas la première fois que vous vous mariez : c’est la preuve manifeste que vous en raffolez ! Et puis vous êtes, c’est le moins que l’on puisse dire, l’incarnation de la perfection ; et lui, c’est un brave type, un bon gars : avec de tels ingrédients, le gâteau ne peut être que réussi —

Boursicault. — C’est vrai, le mariage, c’est souvent comme cuire des beignets : on met tout ce qu’il faut dedans et pourtant ça ne prend pas !

Lafouine. — Aha ? Et pourtant, vous m’avez souvent reproché mon long célibat.

Madame de la Roche au Pois. — Dans ce cas précis, mon oncle a eu raison. Ça fait belle lurette que vous auriez dû vous trouver une compagne — et même encore maintenant. Vous êtes toujours un homme —

Lafouine. — Bien sûr que je suis toujours un homme, mais il faut voir lequel : sûrement pas celui que j’étais, et je suis bien trop malin pour m’imaginer qu’une femme s’arrachera mes beaux restes. Et pour peu qu’on ajoute un nez rouge et des marques indélébiles pour porter le coup de grâce à ma beauté —

Boursicault. — Ne soyez pas trop modeste ! Vous pouvez toujours correspondre à l’adjectif « aimable » —

Lafouine. — Adjectif ? Ne dévoilez pas à ce point votre incurie grammaticale ! Au sens strict du terme, « aimable » est un verbe parce que sa conjugaison est entièrement soumise aux variations : au temps semi-révolu, ça veut dire « défraîchi », au temps révolu, « moche », et au temps complètement révolu, « atroce ».

Boursicault. — Bon, pas obligé que ce soit une Vénus après tout : vous en trouverez bien une dans votre genre !

Lafouine. — Cher ami, si une femme ne doit me plaire qu’à moitié, il faut alors qu’elle soit incomparablement plus belle que moi.

Madame de la Roche au Pois. — Monsieur Lafouine fait la fine bouche !

Lafouine. — Si un jour les souhaits s’égarent en grimpant tels de hardis chasseurs alpins, ils se retrouveront vite devant la Martinswand près d’Innsbruck, où ils ne pourront certes plus monter, mais plus descendre non plus.

Boursicault. — Alors dites-vous que si vous aviez une femme, vous seriez plus à l’aise et vous sauriez mieux recevoir.

Lafouine. — Vous me prenez pour un aubergiste ? Contrairement à un aubergiste, je me nourris de ce que j’ai.

Madame de la Roche au Pois. — Donc, vous ne vous en sortez toujours pas, avec votre revenu ?

Lafouine. — Tout est relatif ! Entre sorties et rentrées d’argent, difficile d’établir le bon rapport : l’argent rentre sur des pieds alourdis par la goutte et ressort sur des ailes de zéphyr. D’ailleurs, il ne me manque rien d’autre en ce moment que, de temps à autre, les trois mille florins que j’ai, dans un élan effronté de capitalisme, placés (à Boursicault :) chez vous et que j’aurais déjà utilisés à maintes reprises, mais que vous ne pouvez pas me rembourser depuis qu’on vous a volé cent vingt mille florins.

Boursicault. — Oh, ne me rappelez pas cet épisode, ce fut —

Lafouine. — Un coup très dur ! Et le fait que ce coup ne vous ait pas achevé constitue la plus belle preuve que, malgré votre corpulence, vous n’avez pas le moindre talent pour l’apoplexie. Cent vingt mille florins d’un coup ! Si encore un tel voleur vous plumait en plusieurs fois, ça ne serait pas aussi douloureux, mais là —

Boursicault. — Comme vous le savez, c’était la part de l’héritage que j’aurais dû verser à des parents éloignés. Je dois désormais, tant bien que mal, leur donner satisfaction au compte-goutte. Ce sera bientôt leur tour, à eux aussi.

Lafouine. — Je vous demande pardon, je n’ai pas dit ça pour ça. Vous n’êtes pas de ceux qui se sont enrichis par une sorte de cessation de paiement.

Boursicault. — Au contraire, je suis à sec et ne vis que de la générosité de ma nièce.

Madame de la Roche au Pois. — Eh bien, eh bien, mon oncle, ça ne doit pas être si grave —

Lafouine. — Si j’évoque tout cela, c’est parce que je suis sur le point de prouver qu’à l’époque, les soupçons qui s’étaient portés spontanément sur ce pauvre homme, votre —

Boursicault, l’interrompant vite, à voix mi-basse, à Lafouine. — On en parlera plus tard, quand on sera seuls — (à voix haute :) essayez plutôt de dérider un peu ma nièce !

Lafouine. — Oui, oui, tout à l’heure déjà, j’ai remarqué une petite éclipse dans le ciel de ses traits de séraphin, de sa physionomie de chérubin.

Madame de la Roche au Pois. — Pas de flatteries, cher Lafouine !

Lafouine. —...

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