Elle : Qui sait ce qui se passe dehors ? On est ici depuis quand ?
Lui : 23 jours.
Elle : Comment on arrive encore à vivre dans cet endroit ? Sans confort ? Dans ces vieux draps ?
Lui : On a de l’eau, à manger, de la lumière, c’est l’essentiel.
Elle : Tu as raison. Et puis surtout ici, on est à l’abri.
Lui : Oui.
L’autre : Dans une guerre, personne n’est à l’abri.
Lui : De ta bêtise.
L’autre : Elle a déjà bien assez à faire dehors.
Lui : Ferme là, alors.
Elle : J’ai faim ! Quelle heure il est ?
Lui : Bientôt.
Elle : Je peux avoir un bout de quelque chose en attendant ?
Lui : Un peu de patience.
L’autre : Ça se mange ?
Lui : J’ t’ai pas déjà dit de la fermer ?
Elle : Si.
Lui : Qu’est-ce que tu cherches ?
L’autre : Rien, puisque tout est perdu.
Elle : C’est toi qui est perdu, mon pauvre.
Lui : Laisse. T’attends quoi ici, alors?
L’autre : Les soldes.
Temps.
L’autre : Qu’ attendre d’un monde qui partout sème la mort ? Quelle récolte espérer ?
Elle : Il a raison. J’ai faim.
Voix de l’enfant : Tout est transitoire. Rien ne vit dans l’achèvement. La fleur et le papillon l’ont depuis longtemps compris. Tout parfum est fragile et tout vol indécis.
Lui : C’est cruel à dire mais tu sais, si tu meurs, ça nous facilitera la vie.
L’autre : Tu crois ça ?
Elle : Un autre prendra sa place.
Lui : Pas si nous refusons.
L’autre : On tente l’expérience ?
Noir. Lumière. L’autre a un panier de poires.
Lui : Vous êtes ?
L’autre : Oui. Ma maison a été détruite par une bombe. Je n’ai plus où aller.
Elle : C’est des pommes ?
Lui : Désolé mais ce n’est pas possible de vous cacher ici. Nous sommes déjà deux, trouvez un autre endroit.
Elle : Des oranges ?
L’autre : Et ce lit ?
Lui : Il est occupé.
L’autre : Par qui ?
Lui : Un mort.
Elle : Des pêches !
L’autre : Et si je lui demande de laisser sa place à un vivant, vous croyez qu’il acceptera ?
Lui : Demandez lui, mais la réponse risque de prendre une éternité.
L’autre : Ça ne me dérange pas d’attendre. Je peux m’asseoir là ?
Elle : C’est quoi ?
L’autre : Des poires, servez-vous.
Elle prend une poire dans le panier et Lui s’avance pour faire de même.
L’autre : Désolé, il n’y en a plus. Si un mort occupe ce lit alors tout est vide. Alors, cette poire ?
Elle : Délicieuse. C’est quelle variété ?
L’autre : Angelys.
Elle : Vous devez l’être aussi. Prenez ce lit, il est à vous !
Lui : Quoi ?
L’autre : A vous aussi, si vous le désirez.
Lui : Et moi ?
L’autre : Trop étroit.
Temps.
Lui : D’accord… mais je ne veux pas vous entendre.
L’autre : Je peux faire le mort si vous voulez ?
Elle : Je vous l’interdis.
Temps.
L’autre : On continue ?
Elle : Oui, allons jusqu’au bout.
L’autre : Il est tout prêt de vous.
Elle : Je vois ça.
Lui : Garce, salope !
Elle : Tu trouves ?
Lui : On avait dit quoi ?
Elle : Tu avais dit quoi ! Moi, j’en décide autrement. Et alors, je n’ai pas le droit ? Vas-y, empêche moi ! Impossible, t’en es incapable. Cette guerre t’a foutu à poil, t’as plus rien dans le bide. T’es plus bon qu’à ramper comme un rat. Au moins lui, il est imprévisible.
Lui : Imprévisible, lui ? Un prétentieux, c’est tout ce qu’il est ! Qui pue la sueur et la discorde. Vivement la paix que tout rentre dans l’ordre.
L’autre : Quel ordre ? Celui du chacun pour soi ?
Lui , à Elle : Tu entends ? ( à L’autre) Une minute, c’est toi...