La terrasse d’un bistrot surplombée d’une enseigne : La Part des Anges. Quelques tables entourées de chaises sur lesquelles sont installés Maurice, notable un peu pochtron, René, genre artiste, et Dominique, allure martiale. On entend les cigales.
Maurice – C’est calme aujourd’hui.
René – Même les cigales chantent moins fort que d’habitude.
Dominique – Le calme avant la tempête…
Maurice – C’est vrai qu’il fait lourd, non ?
René – Ah oui, quelle chaleur !
Dominique – Si au moins il y avait un peu de mistral.
René – Le mistral, c’est la clim du pauvre.
Maurice – Tu travailles sur quoi en ce moment ?
René – Attends, je consulte mon thermomètre (Il sort un thermomètre médical de sa poche et y jette un coup d’œil.) Ouh la ! 38,5 ! Je suis en arrêt de travail moi...
Maurice – Si tu as de la fièvre, il faut consulter. Je te rappelle que je suis médecin.
René – Je parlais de la température extérieure. Les cigales commencent à chanter au-dessus de 25 degrés. Moi je ne commence à peindre qu’en dessous de 22.
Dominique – Il est encore plus fainéant que la cigale de la fable. Elle au moins, elle chantait tout l’été.
René – Qu’est-ce que tu veux ? Je suis une cigale qui ne supporte pas la chaleur.
Maurice – Pourquoi tu es venu t’installer dans le sud, alors ?
René – Eh bien justement, pour me reposer. Comme Van Gogh.
Dominique – Van Gogh, il a quand même profité de son séjour dans le sud pour peindre quelques chefs-d’œuvre.
René – Il faisait moins chaud que cette année, sûrement…
Maurice – C’est vrai que ça donne soif.
Ils vident leurs verres.
René (en direction du bistrot) – Madame Claude, vous nous remettez ça !
Claude, la patronne, style tenancière de maison close, arrive avec un air renfrogné pour remplir les verres.
Claude – Rosé pamplemousse ?
Ils opinent du bonnet, et elle les ressert.
Maurice – Pas trop de pamplemousse pour moi, ça me donne des aigreurs d’estomac.
Claude – Vous avez raison Docteur, le jus de fruit c’est très mauvais pour la santé.
Maurice – Mais vous savez que le vin est un excellent antioxydant.
Dominique – Tu dois avoir une santé de fer, alors.
Le chant des cigales s’interrompt brusquement.
Claude – Ah, les cigales ont arrêté de chanter !
Maurice – Oui, ça se rafraîchit.
Dominique (à René) – Tu vas pouvoir te remettre à bosser.
René jette à nouveau un regard sur son thermomètre.
René – Pourtant il fait toujours aussi chaud.
Claude – Ces cigales sont complètement détraquées. Comme le temps...
Maurice – Ça doit être les pesticides.
René – Ou alors, c’est juste l’heure de la pause.
Claude – C’est ça, c’est la pause cigales. Elles aussi elles sont passées aux 35 heures. Elles sont en RTT.
Claude rentre dans son bistrot. Charles, style BCBG en vacances, arrive.
Charles – Quelle chaleur !
René – Oui, c’est justement ce qu’on était en train de dire.
Charles – Si tôt le matin. Ce n’est pas un jour à travailler.
Maurice – Ça tombe bien, tu es à la retraite.
Charles – Et vous les actifs, ça va ? Ce n’est pas trop dur ?
Dominique – Moi aussi, je suis à la retraite.
Charles – À ton âge, je ne m’en vanterais pas. Et après on s’étonne que la sécu soit en déficit.
Dominique – Je suis toujours colonel de réserve.
Charles – Eh bien tu vois, de savoir qu’en cas de troisième guerre mondiale tu reprendras du service, je me sens tout de suite plus rassuré.
Maurice – C’est vrai. C’est les vieux qu’on devrait envoyer au front en cas de conflit. Une bonne guerre de temps en temps, et ça réglerait le problème des retraites.
René – Vous imaginez 14-18, avec de chaque côté des vieux en déambulateurs en train de se foutre sur la gueule à coups de cannes. Ça me donne une idée, tiens. Je me demande si je ne vais pas faire un tableau là-dessus.
Charles (à René) – Et si tu terminais d’abord celui que je t’ai commandé pour mettre au-dessus de ma cheminée ?
Dominique – C’est quoi cette commande ?
Charles – Une reproduction de la Liberté guidant le peuple.
Maurice – Eh ben… Il y a du boulot…
René – À qui le dis-tu... (À Charles) Tu ne préfères pas que je simplifie un peu ?
Charles – Je veux une copie que Delacroix lui-même aurait pu signer.
Maurice – Mais dis donc, je ne te savais pas aussi farouchement républicain.
Dominique – Comme quoi on peut être à l’ISF et rester fidèle à l’esprit de la Révolution.
Maurice – L’original est au Louvre, non ? Alors tu prends quoi comme modèle pour ta copie ?
René sort un Delacroix de sa poche et le montre.
René – Un ancien billet de cent francs.
Maurice – Ah d’accord… Je comprends mieux cette passion de Charles pour Delacroix. Nostalgie, quand tu nous tiens…
Dominique – C’est vrai que du temps des anciens francs, on n’avait pas encore inventé l’impôt sur la fortune…
Charles – En tout cas, j’aimerais bien l’avoir avant cet hiver, mon tableau !
René – Ne t’inquiète pas, il est presque fini.
Maurice – Il ne lui reste plus qu’à passer la deuxième couche.
René – Mais là il fait vraiment trop chaud…
Charles – Je suis un client moi, pas un mécène. Et je te rappelle que je t’ai déjà versé une avance.
René lève son verre.
René – Et crois-moi, elle a été très bien employée.
Il vide son verre cul sec.
Charles – Entre un artiste provençal qui ne peint que par grand froid, un médecin qui donne ses consultations au bistrot et un colonel qu’on paie à rien faire en attendant la troisième guerre mondiale… la France est bien barrée. Enfin, je viens d’installer la clim. Au moins, je serai au frais chez moi cet été.
René – Tu as raison. La canicule, c’est très mauvais pour les personnes âgées.
Maurice – C’est vrai qu’en 2003, ça a été une véritable hécatombe. On ne m’appelait que pour signer des certificats de décès.
René – Ça n’a pas beaucoup changé, d’ailleurs…
Charles – D’un autre côté, si le mistral se lève, j’aurais fait installer la clim pour rien. C’est que ce n’est pas donné, quand même.
Dominique – La clim, c’est comme l’arme atomique. Ça coûte cher à l’achat, mais le mieux c’est de ne pas avoir à s’en servir.
Madame Claude, la patronne, pointe son nez en terrasse.
Claude – Qu’est-ce que je lui sers ?
Charles – Quelle heure il est ?
Claude regarde sa montre.
Claude – L’heure du rosé pamplemousse.
Charles – Bon, un rosé pamplemousse, alors.
Maurice – Vous allez voir que ce parasite, qui ne survit que grâce au système par répartition, ne va même pas payer sa tournée…
Charles – Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Ce n’est pas avec ce que vous cotisez que je pourrai avoir une retraite.
Claude – Alors ?
Charles lui tend à regret un gros billet.
Charles – J’imagine que vous n’avez pas de monnaie sur 500.
Claude – Si.
Charles – Bon ben tant pis alors, arrosez cette bande de vieux débris. On ne sait jamais, ça pourrait les ramener à la vie.
Claude – Ou les achever… OK, rosé pamplemousse pour tout le monde, alors.
Claude prend le billet et repart. Charles s’assied avec les autres. Dominique se plonge dans la lecture du journal régional.
Maurice – Tu n’as pas l’air dans ton assiette. Encore un souci domestique ?
Charles – C’est ma piscine.
René – Qu’est-ce qu’elle a, ta piscine ?
Charles – Elle fuit.
Dominique – Comment est-ce qu’une piscine peut bien fuir ?
Charles – Ben je n’en sais rien, justement.
René – Et comment tu t’es rendu compte que ta piscine fuyait ?
Charles – Ce matin, j’ai voulu faire un plongeon, comme tous les matins, et il n’y avait plus...