Le Voleur de Couleurs
Préambule
Le voleur de couleurs apparaît et déambule dans le décor avec un appareil dans les mains qui semble être un appareil photo. Il le porte plusieurs fois à ses yeux, de grands flash en sortent et les couleurs disparaissent. Puis lui aussi disparaît.
Acte I – Ce que l’on ne voit plus
Toute la scène en voix off
Scène 1 — L’enfant et la grand-mère
Lieu : Une cuisine modeste. Lumière blafarde. Une table, une tasse de thé fumant, mais sans chaleur. Léo, 8 ans, dessine avec des crayons gris. Josiane, sa grand-mère, le regarde tristement.
ENFANT
Mamie… mon dessin est tout moche. J’ai colorié le soleil, mais il brille pas. Il est triste lui aussi ?
GRAND-MÈRE
Ce n’est pas de ta faute, mon cœur. Le voleur de couleurs est passé par là. Il prend tout ce qu’il voit.
ENFANT
Pourquoi il fait ça ? Il est fâché ? Il a peur des couleurs ?
GRAND-MÈRE
Peut-être qu’il les a perdues, lui aussi. Peut-être qu’il ne se souvient plus de ce que c’est d’aimer quelque chose.
ENFANT
Mamie, c’était comment… avant ?
GRAND-MÈRE
Avant ? C’était plein de couleurs, mon trésor. Le jardin brillait de verts, de rouges, de bleus… Le matin, le soleil entrait par cette fenêtre et dansait sur les murs.
ENFANT
Et maintenant ?
GRAND-MÈRE
Maintenant, on tricote du silence et on parle en soupirs. Mais si tu fermes les yeux…
ENFANT
…je vois une rose rouge. Et un oiseau avec un ventre jaune !
GRAND-MÈRE
Tu vois… Rien n’est perdu tant qu’on se souvient.
[…] Les autres scènes suivent dans la version complète.
Scène 2 – Après l’attaque
Lieu : Une ruelle déserte. Noir et blanc.
Le vent fait voler un vieux sac plastique gris. Tout semble figé.
CAMILLE
Tu vois ça, Éloïse ? Mes mains.
Elles sont grises. Comme si elles n’étaient plus à moi. Comme si j’étais un dessin effacé.
Tu te souviens du rouge de mon écharpe ? Elle était rouge, hein ? Un vrai rouge. Pas un rêve.
ÉLOÏSE
Non... pas un rêve.
Oui. Elle l’était. Rouge comme… le soleil qui se couche en hiver.
Ou les bonbons cerise que tu cachais dans ta poche.
Maintenant, tout est plat. Même le silence est plus lourd qu’avant.
CAMILLE
Je me sens vide.
Comme si on m’avait aspiré de l’intérieur. Ce n’est pas juste les couleurs.
C’est quelque chose d’autre… Tu le sens ?
ÉLOÏSE
Oui.
C’est comme si les souvenirs aussi avaient perdu leur teinte.
Je n’arrive même plus à me rappeler la couleur de ma propre voix.
CAMILLE
Il avait un regard fixe.
Comme un photographe, mais sans émotion.
Il ne regarde pas les gens… il vise.
J’ai senti un flash, mais pas de lumière.
Juste… une perte.
ÉLOÏSE
Tu te souviens d’hier ? Il y avait du jaune. Sur les volets.
CAMILLE
Et le bleu du ciel…
Ce matin, j’ai cru qu’il allait revenir.
Mais non. C’est toujours… comme ça.
ÉLOÏSE
On dirait qu’on vit dans un rêve.
Pas un vrai cauchemar, non…
Un rêve sans couleur. Sans réveil.
CAMILLE
Un monde effacé.
Étrange…
Tout à l’heure, j’ai cru sentir l’odeur des pommes.
Des pommes chaudes, comme dans la cuisine de ma mère.
ÉLOÏSE
Moi aussi. Une odeur… jaune.
ÉLOÏSE
Tu crois que c’est pour toujours ?
CAMILLE
Je sais pas.
Mais je veux pas m’habituer.
Scène 3 – Une trace
Lieu : Toujours la ruelle déserte.
Le sac plastique s'est accroché à un lampadaire. Le vent s'est calmé. Un bruit lointain - très léger - se fait entendre.
CAMILLE
T'as entendu ? Un bruit ? Un froissement comme une page qu'on tourne ? Ou quelqu'un qui marche ?
ÉLOÏSE
Je l'ai entendu aussi. Ça venait de là-bas, je crois. On devrait peut-être...
CAMILLE
Tu l'as vu ? Dis-moi que tu l'as vu
ÉLOÏSE
Je… je crois. Quelque chose. Ou quelqu’un.
Et une tache. Rouge. Mais elle a disparu.
CAMILLE
Ça veut dire qu’il reste quelque chose. Qu’il n’a pas tout volé. Pas encore. Ou qu’il en laisse exprès. Pour qu’on le suive ?
ÉLOÏSE
Ou pour qu’on ait de l’espoir. Ce serait pire, non ? Offrir un éclat, juste pour mieux le reprendre.
CAMILLE
Il joue avec nous.
ÉLOÏSE
Viens.
On ne doit pas rester ici.
Scène 4 – L’école vide
Lieu : Une ancienne école primaire.
Couloirs silencieux. Lumière pâle par les fenêtres poussiéreuses. Les murs sont gris. Les affiches ont perdu leurs dessins. Une horloge s'est arrêtée.
ÉLOÏSE
C'est encore pire ici.
Je croyais que ce serait familier. Réconfortant.
Mais on dirait un souvenir sans voix.
CAMILLE
Ici, il y avait la fresque
Des enfants qui couraient sous l'arc-en-ciel. Tu te souviens ?
Maintenant, ce n'est qu'une...