Primeurs

La devanture d’une épicerie, faisant aussi office de librairie, sert de décor à de savoureux échanges entre un épicier raisonneur et ses drôles de clients en quête de réponses à leurs questions existentielles.
Une farce philosophique mêlant situations rocambolesques et réflexions sur l’absurdité du monde.

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Liste des personnages (8)

Socrates Homme • Adulte • 173 répliques
Mauricette Femme • Âgé • 81 répliques
Josiane Femme • Âgé • 84 répliques
Billy Homme • Jeune • 30 répliques
Ève Femme • Adulte • 79 répliques
Alban Homme • Adulte • 51 répliques
Ramirez Non genré • Adulte • 22 répliques
Sanchez Non genré • Adulte • 43 répliques

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La devanture d’une échoppe, avec au milieu la porte d’entrée. D’un côté des cageots de fruits et légumes disposés sur des présentoirs. De l’autre des caisses contenant des livres façon bouquiniste. Près de la porte une balance. Pour l’heure le devant de la scène, qui figure un trottoir, est vide. Arrive Josiane, tirant un chariot à roulettes. Elle se plante devant les primeurs et se met à les inspecter. Elle prend une banane, la tâte et, insatisfaite du résultat de sa palpation, la remet en place. Mauricette arrive à son tour.

Mauricette – Faut pas vous gêner !

Josiane – Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Mauricette – Vous tripotez cette banane, et vous la reposez dans le cageot…

Josiane – Et alors ? Moi les bananes, je les aime bien fermes, je n’ai pas le droit ?

Mauricette – Avouez que ce n’est quand même pas très hygiénique pour celles qui passent derrière !

Josiane – Ah oui ? Et pourquoi ça ?

Mauricette – Si vous avez les mains sales…

Josiane – Les mains sales ! (Changeant de ton du tout au tout) Tiens justement je viens de lire le livre…

Mauricette – Quel livre ?

Josiane – La pièce de théâtre ! De Jean-Paul Sartre.

Mauricette – Ah oui… Et alors, qu’est-ce que vous en avez pensé ?

Josiane – Entre nous, ce n’est pas bien fameux...

Mauricette – Sartre, ça a beaucoup vieilli.

Josiane – On ne devrait pas laisser les philosophes écrire des pièces de théâtre.

Mauricette – Si vous vous voulez mon avis, on ne devrait pas non plus les laisser écrire des traités de philosophie…

Josiane – Est-ce que Socrate a écrit Le Banquet ou La République ?

Mauricette – Pas plus que Dieu n’a écrit l’Ancien Testament ou Jésus-Christ le Nouveau.

Josiane – Depuis Héraclite, on n’a rien inventé…

Mauricette – Mais malheureusement, on a beaucoup écrit.

Josiane – Beaucoup trop !

Mauricette – Les livres de philosophie sont de plus en plus épais, pour un contenu de plus en plus mince.

Josiane – Et de plus en plus fumeux ! Pour allumer le feu, ça va encore, mais pour emballer les légumes… Les feuilles ne sont pas assez larges…

Mauricette – Depuis les Grecs, la philosophie va de mal en pis.

Josiane – Un tas de bouquins complètement creux empilés depuis des millénaires dans nos bibliothèques poussiéreuses…

Mauricette – La philosophie est une construction hasardeuse.

Josiane – Si on arrivait à escalader ce château de cartes sans se casser la gueule, on atteindrait sûrement les régions les plus hautes de la stratosphère.

Mauricette – Pour ne pas dire le vide intersidéral.

Josiane – La philosophie est une imposture. Je ne sais plus qui a dit que nous étions des nains juchés sur des épaules de géants…

Mauricette – Bernard de Chartres.

Josiane – C’est ça… Mais ça ne vaut que pour les disciplines scientifiques, qui impliquent une idée de progrès. Or la philosophie n’est pas une science, mais une opinion !

Mauricette – Les philosophes d’aujourd’hui ne sont que des nains juchés sur les épaules de tous les nains qui les ont précédés.

Josiane – Ça me fait penser à ces pyramides humaines que les Catalans montent dans les rues pendant leurs fêtes folkloriques. Les plus grands sont en dessous et les plus petits tout en haut.

Mauricette – Hélas, les pyramides de nains, c’est beaucoup moins esthétique que les pyramides d’Egypte.

Josiane – Et beaucoup moins stable.

Mauricette – Sans compter que tout ce que font les Catalans n’est pas forcément un exemple à suivre.

Josiane – Se monter dessus les uns sur les autres en pleine rue comme ça… Avec les plus jeunes qui grimpent sur les plus vieux… Il faut vraiment être catalans…

Mauricette – Ça peut même être dangereux, ces pyramides des âges…

Josiane – Je crois qu’ils appellent ça des châteaux, en Espagne.

Mauricette – Et les Catalans français, ils font des châteaux aussi ?

Josiane – Oh, je ne crois pas quand même…

Mauricette – En France, ça doit être interdit… Bon alors vous la prenez, cette banane ?

Josiane – Je vais plutôt prendre celle-là, elle est plus verte.

Mauricette – Moi les bananes, je les aime bien mûres.

Josiane – Chacun son goût…

Mauricette se met elle aussi à examiner l’étalage.

Mauricette – Je vais prendre une livre de carottes, moi…

Josiane – C’est pour faire une soupe ou des carottes râpées ?

Mauricette – Je vous en pose des questions ?

Josiane – Vous avez raison, les questions, c’est à Socrate qu’il faut les poser…

Mauricette – Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints…

Josiane (appelant) – Socrate !

L’épicier apparaît, sortant de son échoppe.

Socrates – Mesdames… Que puis-je faire pour vous ?

Mauricette (lui tendant les carottes) – Tenez, Socrate, vous pouvez me peser ça ?

Josiane – Eh, il ne faut pas vous gêner ! J’étais là avant vous, non ?

Mauricette – Je pensais que vous n’aviez pas encore fait votre choix… Vous ne voulez pas les tâter encore un peu, ces bananes ?

Josiane hausse les épaules et tend ses bananes à Socrates.

Josiane – Voilà…(Socrates prend les bananes que lui tend Josiane et les pose sur la balance.) Je voulais aussi vous poser une question…

Socrates – Allez-y…

Josiane – Alors… Attendez, je l’ai noté sur ma liste de course… (Elle sort un papier froissé, le déplie laborieusement et le lit.) Ah, voilà... Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Socrates – Et tout ça pour le prix d’une livre de bananes…

Josiane – Vous trouvez que c’est une question idiote ?

Socrates – Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien…

Josiane – Alors ?

Socrates – En réalité, la réponse est très simple.

Mauricette – Vous permettez que j’écoute aussi ?

Josiane – Mais je vous en prie…

Socrates – Lorsqu’une question d’ordre philosophique ne peut à l’évidence trouver aucune réponse, c’est forcément que la question est mal posée.

Josiane – C’est évident…

Socrates – Ou encore que la question a été délibérément formulée de façon à ne rendre possible aucune réponse.

Josiane – Euh… Oui.

Socrates – Tout d’abord pourquoi ?

Mauricette – Pourquoi quoi ?

Socrates – Le pourquoi de la question « Pourquoi y a-t-il quelque chose...

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