1.
La maison de Katia dans la banlieue de Kyïv.
Katia et Oksana, toutes les deux vêtues de noir, préparent de la farce pour les gâteaux fourrés.
Oksana est à son septième mois de grossesse.
Le portrait de Sacha en uniforme de colonel de l’armée ukrainienne.
Sacha.
Une casserole avec de la pâte.
Katia et Oksana échangent sans hausser la voix, pour ne pas perturber la pâte qui lève (selon une croyance populaire).
Katia — Tu verses un peu d’huile sur la poêle. Tu éminces l’oignon et le lard… Dès que l’huile est chaude et commence à crépiter, tu ajoutes l’oignon avec le lard et tu mélanges jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides, puis tu ajoutes de la farine. Tu laisses sur la poêle. Tu ajoutes du sel. Jusqu’à l’obtention d’une masse homogène. Tu éteins. La farce est prête. Que ce soit pour les gâteaux ou que ce soit pour les varenyky.
Oksana — M-m-m-m… Ça me rappelle mon enfance… On en fait pour demain aussi ?
Katia — Non. Pour demain, il faut du basique. Sans fioriture. Avec de la viande et du chou.
Oksana — Il y aura combien de personnes ?
Katia — Une soixantaine.
Oksana — Et s’il y en a plus ?
Katia — On a dit qu’on pourrait en commander plus.
Oksana — Je vais encore manger du hareng.
Katia — Ça va aller ?
Oksana — Je crois que je vais mourir si je n’en mange pas.
Katia — Allez, mange, ne meurs pas.
Sur la table, des bonbons de huit variétés.
La farce de viande est dans un grand plat.
Des piles.
Du chou émincé, un bougeoir et du pain noir.
Une corbeille avec des gâteaux, un rouleau de scotch, un vase.
Un vieil oignon coupé en quatre.
Une paire de ciseaux.
Une assiette avec un hareng découpé grossièrement.
La facture des charges.
Oksana engloutit le hareng, l’oignon et le pain.
Moi, la nourriture je ne peux même plus la voir.
Oksana — Le plus triste, c’est qu’il ne verra pas Kolia. Il avait tant envie de le voir.
Katia — S’il avait envie, il n’y serait pas allé.
Oksana — Maman…
Katia, avec défiance — S’il avait envie de voir son petit-fils, il n’y serait pas allé.
Oksana — Je me souviens de sa réaction quand il a appris que ce serait un garçon. Ça y est, le règne des femmes est rompu. Maintenant, on sera à égalité.
Katia — Et moi, j’ai dit, c’est ce qu’on va voir. Et j’avais raison.
Oksana — Kolia n’aura pas de papi. Ni papa ni papi.
Katia — Il a un papa.
Oksana — On peut dire que non.
Katia — Parle-lui, tu veux ? Peut-être qu’il reviendra. Tu es la seule personne qu’il écoute.
Oksana — Oleh ?
Katia — Sacha. Parle à Sacha.
Oksana, à Sacha — Sach’, sérieux… On a vraiment besoin de toi. Qu’est-ce qui t’a manqué ?
Sacha — Ça allait. C’était bien.
Katia — Quand tout va bien, on ne fait pas des choses pareilles.
Sacha — Qu’est-ce que j’ai fait ?
Oksana — Comme s’il ne savait pas.
Katia — J’entends qu’il est réveillé. Cinq heures trente, comme d’habitude. Je n’avais pas l’intention de me lever, j’avais tout préparé la veille. J’entends qu’il est allé dans la salle de bains. Et puis j’entends un terrible bruit. J’entre, il est étendu au sol. La tête comme ça… Et il murmure quelque chose.
Sacha — Je ne m’en souviens pas.
Katia — Il murmure quelque chose, encore et encore. (Quelque chose au sujet d’Oksana.) Et celle-là, on doit pas la contrarier. Qui appeler ? Quand j’y pense… Une équipe de la morgue est venue, on l’a enroulé dans un tapis, pour le sortir… On nous a pas rendu le tapis… (À Oksana.) Enlève le hareng, j’en peux plus comme il pue. (À Sacha.) Comment as-tu pu me faire ça ?!
Oksana — Ne crie pas, la pâte ne lèvera pas.
Elles regardent la pâte. Baissent de ton.
Katia — On ne s’est même pas disputés, la veille. Tout était calme. On s’est couchés.
Oksana — Vous vous disputiez...