SOUS LE CASQUE DU SOLDAT CORBIN
De Léon Clémence
NOTE D’INTENTION
Dany Corbin, unique personnage en scène, est un soldat qui parle d’une guerre contemporaine - Vietnam, Koweït, Irak ou d’Afghanistan, c’est égal. Il m’est apparu urgent de faire parler un soldat moderne.
On entretien un rapport ambigüe et complexe avec nos soldats : Crainte, respect, rejet, appréhension, mais rarement l’admiration finalement. Il y a ceux qui arpentent nos métros et sont parfois si jeunes avec leur bérets écrasés sur leurs têtes rasées, qu’on prendrait presque leurs armes pour des jouets bien imités. Et puis il y a ceux qui reviennent des zones de conflits aux quatre coins du globe, ne pouvant partager ni leurs secrets, ni leurs souffrances – par absence de droit, ou par manque de mots. (Les soldats ne sont pas des auteurs) J’ai aimé donner la parole à ce type qui en a pris plein la gueule - construire son cheminement contradictoire, ses racines et son envie confuse de justice. Il a fallu mettre au point son langage et régler son niveau de conscience pour lui permettre de dire tout, à sa manière – lui permettre d’être un peu poète parfois, en décrivant le décorum sublime de ce pays en guerre aux heures d’accalmie alors que le soleil décline. Son langage est organique, les mots deviennent des failles émotionnelles enfouies au plus profond de son ADN, sortant de ses entrailles.
Sous le joug d’une mémoire qui ne le lâche pas, il continue de tordre son présent – dans sa chair en furie traversé d’éclairs et de visions, confus dans son bilan, car il n’est pas pour lui facile de dire le monde. Il parvient néanmoins à trouver des pistes pour faire sa syntaxe et découvre que la mystique, dernier rempart avant le néant, lui permet encore de se retenir à d’intangibles poignées.
Le texte appelle l’émotion, l’induit de par sa matière et sa construction. C’est la mémoire qui provoque sa transe, induit ses mots qui surgissent comme un ultime recours. Ce personnage tout seul sur sa scène, n’est pas là pour défendre un texte, mais pour défendre sa peau. C’est ainsi dans ce combat, que le soldat Corbin invite avec force) à venir sous son casque, partager sa vivance exacerbée et sa quête.
SYNOPSIS
En pleine guerre un simple soldat a dû faire un choix crucial, pour tenter de sauver son bataillon. Des années après, il doit encore répondre de ses actes devant une commission. Il sais qu’il ne sera jamais pardonné, mais veut raconter par le détail sa version des faits.
SOUS LE CASQUE DU SOLDAT CORBIN
De Léon Clémence Pièce pour un personnage
Une pièce unique fait face à une baie vitrée qui surplombe un parking dans une cité (Le public). Une musique s’échappe d’une radio, un évier crasseux croule sous la vaisselle à côté d’un réfrigérateur vieillot. Des cartons avachis sont empilés le long d’un mur, avec des piles de bouquins, des journaux, de vieux magazines. Pendu bien proprement sur un cintre, on remarque un uniforme militaire avec des galons et des médailles de guerre. Le soldat Corbin, la quarantaine déglinguée est planté là, dans un pantalon de coton et un T-shirt kaki fané. Sur son torse, une croix en pendentif se mêle avec une chaînette qui retient une vielle plaque militaire. On repère sur une caisse, des cannettes vides qui côtoient un casque militaire et des douilles de fusils d’assaut. En plein milieu de la pièce, un ancien téléphone filaire est posé au sol parmi des dossiers administratifs éparpillés.
CORBIN : Si ça se trouve, ils ont classé le dossier… plus personne n’en entendra jamais parler. (Pause) Ça m’arrangerait peut-être de ne jamais faire le point sur toute cette affaire, finalement… que tout ça s’évapore dans l’éternité, sans que la commission, ne puisse… la commission… où ils en sont, depuis tout ce temps ? (Pause) Après tout je m’en fiche ils font ce qu’ils veulent... j’ai ma conscience pour moi. Elle est confuse… elle demande certainement à être éclaircie, mais en tout cas c’est la mienne. (Corbin regarde quelques papiers qui traînent) C’est quoi une vie, merde… si on n’est pas le même temps que les autres ? Les autres ils ont des vies… enfin je suppose. J’espère pour eux en tout cas… avec des familles… des JOBS. Moi je ne peux plus bosser… incapacité à supporter son environnement, ils ont dit… irritabilité à tout : au bruit, à la lumière, au changement de temps, à la hiérarchie… la température, l’humidité dans l’air… instabilité de l’humeur, angoisse du sommeil… tendance à l’agoraphobie, fatigue chronique et schizophrénie paranoïde accompagnés de maux de tête. Le patient souffre globalement de stress post-traumatique dû à un engagement prolongé dans une zone de conflit. Haha... elle est bonne celle-là!
Une zone de conflit… putain je t’en foutrais une zone de conflit! (Pause) A mon avis ils ont dû en rajouter, pour me laisser sur la touche… conclusion : incapacité de travail à 70% ! Voilà ce qu’ils ont fini par décréter après toutes ces années d’examens… tous ces recoupements avec les autres soldats… tous ces diagnostics incessants… ces heures de trajets pour les visites obligatoires. L’examen de votre santé post-conflit fait partie du contrat, pas possible de se débiner ! (Pause) Repos forcée… à perpète ! (Il éclate de rire) Il y a certainement un tas de fainéants qui l’envieraient ma condition… mais moi, je n’ai jamais demandé ça bon sang ! JE T’EN FOUTRAI DES TROUBLES DE L’HUMEUR ! C’EST UN STATUT DE LEGUME... PAS D’ÊTRE HUMAIN!
(Pause) Ils m’avaient proposé un job de bureau pour rester dans la maison… mourir tranquillement à côté de la fenêtre du quartier général. J’ai dit : ‘Je suis un homme de terrain, qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec ça !?’. (Pause) Quelle honte… en arriver là, à mon âge… j’avais à peine vingt-quatre ans à l’époque… mon Dieu. J’étais destiné à être un héros, moi… un soldat d’élite qui défend des vraies valeurs… un guerrier super-entraîné, prêt à se sortir de tous les coups fourrés… ou mourir pour sa patrie ! PAS UN LEGUME. (Pause) Sur mes premières feuilles de service je me rappelle encore, les mentions étaient plutôt flatteuses : bonne capacité à s’intégrer dans un groupe, enthousiaste… garçon curieux et tonique… ne rechigne jamais à la tâche… bonne lecture de son environnent, plutôt lucide. (Pause) Où j’en suis de tout ça aujourd’hui ? (Pause)
A force de ramer, l’assistante sociale avait fini par me trouver un ‘temps-partiel’ dans une boutique de bricolage… j’avais du mal à trouver ma place, mais bon je m’accrochais. C’était pas le salaire, c’était histoire d’avoir un pied dans le système, enfin... l’orteil… un boulot à dose homéopathique. On avait des blouses rouges avec un badge, je ne trouvais ma place nulle part. Je n’arrivais pas à me concentrer. Quand un client me demandait un renseignement, je lui disais que j’étais pas du rayon ou je l’envoyais n’importe où, parce que j’en avais rien à foutre de son histoire de peinture satiné ou de raccord en PVC! J’arpentais les rayons sous les néons, pour donner à penser que j’étais en train de... faire-quelque-chose. Je remontais les perceuses et l’outillage de jardin… je débouchais dans la peinture et les rouleaux… j’allais faire un petit coucou au mec de la coupe et je ressortais par les vis, avant d’aller m’en griller une à côté de la porte des livraisons (Pause) Qu’est-ce que je m’emmerdais… j’avais besoin d’adrénaline moi, je n’étais pas du tout dans mon élément. J’avais besoin de combattre, j’ai été formé pour ça ! (Pause) J’ai dû rester là, quoi ? Quelques mois… brûlé de l’intérieur, emmuré dans mon cauchemar. Une sorte de monde à l’envers avec des tiroirs… un labyrinthe… une guerre sans merci avec ma conscience. (Pause) Aux heures de...