Vincent, son mari et sa femme

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Betty et Grégoire se partagent Vincent depuis trente-cinq ans. Dans leur maison, Vincent passe de la chambre de l’un à la chambre de l’autre selon les jours pairs ou impairs. Entre eux, c’est une belle et longue histoire où chacun a su trouver son équilibre avec les autres. Jusqu’au jour où Betty et Grégoire découvrent que l’homme de leur vie les trompe avec un plus jeune, avec un plus beau.

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Scène 1

Betty, Grégoire, Vincent

Grégoire entre ; tenue élégante de dandy moderne, des bagues.

Grégoire, au public — Un vieil amour, c’est beau. Les amours naissantes sont plus romanesques. Dans les films, on les voit, ces gens aux désirs contrariés qui se bécotent à la fin ; ils échangent leurs hormones, il y a une promesse d’épanouissement relationnel, social, sexuel. Mais on ne sait pas ce qu’il se passe après le générique. Est-ce qu’ils ne vont pas s’entretuer ? Il peut y avoir des raisons, des vices cachés… Ou alors c’est le refus des concessions, le choc des ego, l’intolérance à l’autre, comme le gluten. Et puis, il y a les amours qui durent, qui surmontent. C’est beau, un vieil amour. Moi… après trente-cinq ans, j’aime toujours Vincent.

Betty entre à son tour. Elle assume une tenue néo-baba cool.

Betty, au public — Trente-cinq ans et j’aime toujours Vincent. C’est comme ça. Depuis le premier jour. C’était à une soirée à la con autour d’une piscine. Déjà, il attirait mes pupilles comme deux boussoles. Et puis, il m’a embrassée sans préavis. J’hallucine encore de ses lèvres, c’était comme une évidence. C’étaient les bonnes lèvres. Je ne m’en suis jamais lassée, jamais.

Entre Vincent, tenue décontractée de bon goût.

Vincent, au public — Bon, c’est vrai, je n’avais pas prévu que ça m’arriverait, l’amour en double. En plus avec un homme et une femme. J’ai toujours aimé les deux. Et puis j’ai rencontré Betty et Grégoire, le même jour, à une fête à Cagnes-sur-Mer. J’étais… un peu plus jeune. Trop de champagne. J’ai embrassé Grégoire, très embrassable. Et puis je tombe sur Betty, drôle, jolie, désirable, désireuse… Je l’ai embrassée aussi. Ensuite… J’ai un peu couché avec les deux. À l’époque, c’était assez libre… Mais je ne leur ai rien caché. Eux, au début, ils se toisaient…

Grégoire et Betty se toisent et rejouent la scène.

Betty, jouant Betty jeune — Écoute, Vincent, non mais tu vois… OK, je veux dire, on est libres, c’est cool, mais là, c’est too much. Je ne vais pas te négocier sans arrêt avec ton gay luron. Je ne te demande pas de choisir, mais je suis désolée : ce sera lui ou moi !

Grégoire, à Vincent — Je suis un homme, j’aime les hommes, et tu es un homme ; il y a une certaine cohérence. Alors, si tu veux, cette créature du sexe opposé, ça fait désordre. Elle encombre. Je suis désolé, mais il va falloir te débarrasser de Janis Joplin.

Vincent, au public — Alors, l’un ou l’autre ? L’autre ou l’un ? Sartre dit que ne pas choisir c’est encore choisir. Bon, il a sûrement inventé ça pour coucher un peu avec tout le monde ; moi, j’ai choisi de renoncer aux deux. Ils sont partis…

Grégoire — Adieu, Vincent.

Betty — Bye-bye, Baby.

Vincent, au public — Betty est allée faire les vendanges avec sa guitare, et Grégoire est allé à Bayreuth avec sa mère. Et puis… ils sont revenus. Ils préféraient encore se supporter que de ne plus m’avoir. Ensuite, bon, ils se sont acceptés de mieux en mieux.

Grégoire — Oui, oui…

Betty — On va dire ça.

Vincent, au public — On a fini par passer beaucoup de temps ensemble, tous les trois. On a même décidé de se marier, enfin de se « mariager », on avait appelé ça comme ça, c’était un simulacre… À forte valeur symbolique. (Betty et Grégoire lui prennent chacun un bras. Solennel.) Élisabeth Champin et Grégoire Demeyer, acceptez-vous de prendre Vincent Villardet, ici présent, pour époux ?

Betty et Grégoire Oui.

Vincent montre les deux alliances qu’il porte à son annulaire.

Vincent, au public — Ils m’ont passé les bagues au doigt. Une, deux. Mon père, c’était Jacques Villardet, le photographe. Quand il est mort, j’ai repris sa fondation ; les expos, les éditions, les droits… (Son téléphone sonne.) Pardon. (Il décroche, s’éloigne.) Oui, Yasmine ? Ils avaient dit à 16 heures ! Bon, j’arrive…

Vincent s’en va.

Betty — Nous, on a squatté la maison de beau-papa à Saint-Raphaël, à côté de la fondation.

Betty va s’asseoir et lit une revue de rock.

Grégoire, rêveur, évoquant le décor — C’était une charmante bastide avec un immense salon agrémenté de tableaux, de statues dogons de toute beauté ; des portes-­fenêtres ouvertes sur un perron de pierres roses gagnées par les liserons, le bleu profond de la mer à travers les cyprès…

Betty, au public — Oui, bon. Voilà. (Grégoire, un peu vexé, va s’asseoir et ouvre une revue d’art classique.) Les jours pairs, Vincent dormait dans la chambre de Grégoire ; et les jours impairs, dans la mienne.

Grégoire, au public — Oui, le côté coquet et… (Il regarde vers Betty.) l’autre.

Betty — Le côté chiant et le côté vivant.

Tous deux se plongent dans leurs lectures. Vincent surgit avec son téléphone.

Vincent — J’ai plus de batterie ! Mon chargeur ? J’étais où, cette nuit ?

Grégoire montre Betty qui lève le doigt. Vincent fonce chez Betty.

Grégoire, à Betty, moqueur — Il ne s’en souvient plus… C’est que ce n’était pas inoubliable.

Betty lui fait aimablement un doigt d’honneur. Vincent revient avec son chargeur.

Vincent — Ma veste lilas, je ne la trouve plus !

Betty montre Grégoire qui lève le doigt.

Betty — Chez Naphtaline !

Vincent — Merci, ma beauté !

Vincent s’en va.

Scène 2

Betty, Grégoire, puis Vincent

Betty, au public — Dans la journée, on bossait à la fondation pour scanner les billets : bip, chère madame, bip, bonne visite, bip…

Grégoire, au public — La vie s’écoulait ainsi, dans l’harmonie paisible de nos amours alternatives. Et puis un jour, patatras !

Betty, au public — On était en ville, dans un bazar, tous les deux.

Ils rejouent la scène. Betty regarde la boutique autour d’elle, et Grégoire arrive avec deux plumeaux. Il en tend un à Betty.

Grégoire — J’en ai acheté un pour ta chambre aussi. Ça peut servir.

Betty — Écoute, je ne sais pas quoi dire, Grégoire. C’est magnifique ! Tiens… Vincent. Là. Dans la rue…

Grégoire — Ah oui. Avec un jeune homme…

Betty — Il devait pas voir la conservatrice de New York, là ?

Grégoire — Miss McCormick ? Si… Normalement. (Un temps, stupeur.) Qu’est-ce qu’ils font ?

Betty — Là, si tu veux, ils se roulent un patin.

Grégoire — Ça fait mal.

Betty — Oui, ça fait mal.

Grégoire — Je vais… Je vais lui casser la gueule !

Betty — Attends, attends…

Grégoire — Quoi ?

Betty — C’est quand la dernière fois que tu t’es battu ?

Grégoire — En 2006. Avec toi.

Betty — Tu l’as vu, l’autre baraque, avec ses tatouages et son chignon ? Il faut réfléchir là.

Grégoire — Oui, réfléchissons.

Betty — Tiens. (Elle lui donne son plumeau et sort son téléphone.) De toute façon, c’est pas le moment. À chaud, comme ça, on va être lamentables.

Grégoire — Ah ! mais non, ils recommencent ! (Betty fait un numéro en éloignant l’écran qu’elle a du mal à voir.) Tu appelles qui ?

Betty — Vincent. Tiens, il se barre, l’autre petit con. (Au téléphone.) Vincent ?

Vincent apparaît. Grégoire approche son oreille du téléphone de Betty.

Vincent, au téléphone — Oui, ma Betty ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Betty, au téléphone, froidement — Je te dérange ?

Vincent, au téléphone — Non, non. J’étais en rendez-vous.

Betty, au téléphone — Avec Miss McCormick ?

Vincent, au téléphone — Oui, c’est ça.

Grégoire — Elle a la langue bien pendue, Miss McCormick !

Betty fait taire Grégoire.

Vincent, au téléphone — Greg, il est là ? Qu’est-ce qu’il dit ?

Betty, au téléphone — Rien. On voulait juste savoir si… si tu pensais à nous.

Vincent, au téléphone — Mais… Mais oui, je pense à vous, tout le temps. Je vous aime, mes amours. Ça va comme vous voulez ?

Betty — Oui, super.

Grégoire, entre ses dents — Super.

Vincent — Bon, faut que j’y aille. Salut !

Vincent disparaît.

Betty — Salut ! (Au public.) Après ça, on était complètement comme des petites serpillières. On a marché dans les rues sans...

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