Rendez-vous à Monte Carle

Sur le quai d’une petite gare de la Côte d’Azur, Pierre, écrivain à succès, et Virginie, professeur de mathématiques, attendent, fatigués, le train de minuit sept qui les ramènera à Paris. Ils ne se connaissent pas, ils se toisent, et c’est Pierre, le faiseur d’histoires, qui ouvre la conversation.
Elle est aussi sèche qu’il est jovial : on ne brise pas facilement la carapace des grands solitaires. Chacun est sur le point de retourner à son isolement, mais le destin en décide autrement. Alors que le train accuse du retard, les montres s’arrêtent et la fuite du temps laisse place au surnaturel. Peu à peu, les protagonistes vont se rapprocher, ouvrir leurs coeurs et trouver, ensemble, un chemin vers l’amour.

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SCÈNE 1

 

Une petite gare de la Côte d’Azur. On entend le chant des cigales, c’est un joli soir de pleine lune d’été. Un homme vêtu d’un costume de lin clair arrive sur le quai. Il tient un sac de voyage en cuir, et parle au téléphone.

Pierre. – Ne t’inquiète pas, je serai là à l’heure, demain, au rendez-vous… (Regardant l’horloge.) Vingt-trois heures trente… Minuit sept… Mon train part à minuit sept… Oui, ça s’est très bien passé… Bien sûr que j’ai signé le contrat. Je leur livre la pièce dans trois mois… Ce sera fait, Richard… Un rôle ? Quel rôle ?… Encore un toubib ! J’en ai ras le bol de jouer des médecins… Quoi ?… Une série ?… Cinq épisodes ?… Trente mille euros l’épisode ?… C’est quand le rendez-vous ?… Je prends… Mélo t’a encore appelé ? Qu’est-ce qu’elle veut ?… Je te dis que je ne retournerai pas avec ta sœur. On s’est mariés, on a divorcé, aujourd’hui je suis libre… Ecoute, tu es mon agent, ça fonctionne très bien comme ça, alors fous-moi la paix avec cette histoire de famille qui n’en est plus une. Pigé ? Je sais qu’elle est malheureuse… Mais non, je ne suis pas avec une autre fille, je suis seul !… Seul, je te dis. O.K. ?… Et merde, Richard, fous-moi la paix, sinon je change d’agent ! Bye, c’est ça, bye… (Il raccroche. Il marche le long du quai en faisant de petits allers-retours. Le téléphone sonne, il refuse l’appel, range le portable dans sa poche, s’assied sur le banc, puis ressort le portable de sa poche et compose un numéro.) Excuse-moi, Richard, je suis un peu fatigué ce soir… Demain, on a rendez-vous à midi chez toi… On déjeune avec Henri Arthur ?… Oui, Richard… A demain.

Pierre remet le portable dans sa poche, s’affale un peu sur le banc et somnole légèrement.

Une demoiselle arrive, habillée d’une robe ajustée à l’allure de tailleur, un cartable à la main. Elle voit Pierre qui s’est endormi, regarde l’horloge de la gare qui indique 23 h 50. La jeune femme reste droite sur le quai et observe de temps en temps Pierre endormi qui ne l’a pas encore vue.

Le téléphone sonne. Pierre se réveille et répond. Il croise le regard de la demoiselle et ils se font un petit signe pour se dire bonjour.

Pierre. – Oui, Richard… J’entends ce que tu me dis… O.K. ! Je note… T’inquiète pas, je n’en parlerai pas… Bien sûr… Allez, à demain… (Il regarde la jeune femme avec insistance, qui le regarde à son tour.) Vous attendez le minuit sept ?

Virginie. – Oui.

Pierre. – Vous allez à Paris ?

Virginie. – Non.

L’homme regarde l’horloge qui indique 23 h 59. La fille reste immobile.

Un temps.

Pierre. – Vous vous appelez comment ?

Virginie. – Virginie.

Pierre. – Vous habitez ici ?

Virginie. – Non.

Pierre. – Vous n’êtes pas très bavarde.

Virginie. – Et vous l’êtes trop.

Pierre. – Il est minuit pile, on est seuls sur ce quai, il me semble que de ne pas engager la conversation serait plus inquiétant, non ?

Virginie. – Comment voulez-vous que je sache ? Et puis je ne sais pas quoi vous dire.

Pierre. – Hum… vous pourriez me demander comment je m’appelle !

Virginie. – Je vais être franche avec vous : je suis épuisée, j’ai travaillé jusqu’à vingt et une heures. Il est très exactement minuit deux, dans trois minutes je serai dans ce train, moi à ma place, vous à la vôtre, alors franchement, à quoi cela servirait-il que je connaisse votre nom, qui vous êtes, où vous allez et je ne sais quoi encore ?

Pierre. – Veuillez m’excuser, je ne voulais pas vous importuner.

Virginie ne répond pas. Elle regarde, impatiente, en direction du train qui n’arrive pas.

Elle regarde sa montre, l’horloge de la gare…

Un temps.

Elle se tourne vers Pierre.

Virginie. – Je suis désolée. Comment vous appelez-vous ?

Pierre. – D’après vous ?

Virginie. – Vous vous foutez de ma gueule ? Vous croyez que j’ai envie de faire mumuse à minuit ?

Virginie s’éloigne un peu.

Pierre. – Je déconne… Je m’appelle Pierre. (Virginie ne répond pas, Pierre s’approche d’elle.) Ho !… Ça va ? Je ne voulais pas vous vexer. C’est mon métier d’amuser les autres… Je suis comédien… Auteur, aussi. J’écris des pièces, des romans. Et vous, vous faites quoi dans la vie ?

Virginie. – Je travaille, moi. Je suis professeur agrégé de mathématiques… Voilà. Ça vous intéresse ?

Pierre. – Beaucoup… Petit, j’étais nul en maths. Néanmoins, ça m’intéresse énormément. Vous travaillez l’été ?

Virginie. – J’anime des stages de prépa à Monaco… et sincèrement je préfère vous dire que si nous n’étions pas seuls tous les deux ici… dans cette gare… sur ce quai… à minuit… un soir de clair de lune… je ne vous aurais jamais adressé la parole…

Pierre. – Sympa… Moi non plus, remarquez… Je me demande simplement ce que vous foutez là, à attendre le minuit sept.

Virginie. – Et vous, qu’est-ce que vous fichez ici ?

Pierre. – J’attends le train.

Virginie. – Eh bien, moi, d’après vous, si je n’attends pas le train, qu’est-ce que je peux bien attendre ?

Pierre. – Moi.

Virginie. – Vous rêvez !

Pierre. – Oui, je rêve… J’écris du rêve, c’est mon métier… Donc là, à l’instant présent, j’imagine que vous êtes là… pour moi. En prenant ce train, vous saviez que vous alliez me rencontrer… Le pire, c’est que ça marche… Je suis sûr et certain que vous avez prémédité notre rencontre. Je suis connu, vous savez. C’est pour ça ! Vous avez tout orchestré : l’horaire du train, le jour du départ, le fait qu’on serait seuls, sur ce quai, en cette magnifique soirée d’août.

Virginie. – Vous êtes encore plus malade que vous ne le paraissez. Je vous signale que moi aussi je suis connue, alors si vous croyez que je veux rencontrer l’auteur, soi-disant connu, dont je ne connais même pas le nom et que je n’ai jamais vu de ma vie, ni dans les journaux, ni à la télé, ni nulle part, vous vous trompez sur toute la ligne.

Pierre. – En parlant de ligne, il est minuit sept, pile… Le train va arriver.

Virginie. – Vous changez rapidement de sujet quand ça vous arrange.

Pierre. – Pas du tout. Je constate simplement que le train devrait arriver. Vous êtes connue ? Pourtant, je ne vous ai jamais vue, et je n’ai jamais entendu parler de...

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