Une comète à Cuba

Genres :
Thèmes : · · · ·
Distribution :
Durée :
Édition :

L’action se déroule à Cuba. Nous sommes chez les sœurs Alba, propriétaires d’une boutique “d’ouvrages de dames” à Cárdenas. Ce 11 avril 1910, l’agitation est à son comble, car il est dit que la comète Halley doit traverser le ciel de Cuba… Le père Rafaël, curé de paroisse, prépare ses “ouailles” au grand voyage et persuade ses fidèles de Lui confesser tous leurs secrets. De retour à l’église, Amelia s’emploie à convaincre ses sœurs du bien fondé des paroles du père Rafaël… Le passé ressurgit et, avec lui, les rancœurs et les mesquineries de ces “nonnes espagnoles” qui ont fuit leur Espagne pour cacher leur déshonneur… Une visite inattendue viendra bouleverser leur vie…leur dernier jour… et elles s’empressent alors de faire tout ce qu’elles ne se sont pas autorisé pendant toutes ces années… Une folle aventure cubaine, sur des airs de Mamb et de Salsa.

🔥 Ajouter aux favoris

Soyez le premier à donner votre avis !

Connectez-vous pour laisser un avis !

 

Dans l'église de Cárdenas.

Le père Rafaël en chaire…

Les cloches sonnent. De dos : Angustias, Amelia, Martirio, Magdalena…

Rafaël - En vérité je vous le dis, mes frères, l'heure a sonné…

Martirio - Déjà onze heures ?!

Toutes se tournent sur Martirio.

Ensemble (sur Martirio) - Chut !

Rafaël - L'heure a sonné, mes frères, où tous les chrétiens du monde se retrouveront face à notre Seigneur… c'est à cela mes frères…

Martirio - Et nous ?

Ensemble - Chut !

Rafaël - C'est à cela mes frères, et mes sœurs, que nous devons nous préparer ! Que diras-tu, Martirio, à notre Seigneur, le jour du Jugement dernier ?

Martirio - Moi ?

Rafaël - Oui, toi !

Martirio - Seigneur !

Rafaël - Oui ! Si tu n'es pas préparée, tu resteras comme une sotte à bredouiller des niaiseries… Nous devons nous préparer à rejoindre notre Seigneur ! Cette étoile qui nous vient, c'est le signe de Dieu… Elle va nous guider jusqu'à lui… Mais dans quel état ?… Dans quel état, je vous le demande ? Alors, il faut nous préparer, faire notre toilette… Oui, Martirio…

Martirio - Pourquoi moi ?

Ensemble - Chut !

Rafaël - Parce qu'il rappellera d'abord les plus humbles… N'est-il pas dit dans les Saintes Ecritures : "Bienheureux les simples en esprit, ils seront les premiers au paradis."

Martirio - Il a dit ça ?!

Angustias (tout bas) - Peut-être pas tout à fait dans cet ordre-là, mais quelque chose qui y ressemble.

Rafaël - Nous ne sommes que de pauvres créatures livrées depuis trop longtemps à nous-mêmes ! Nous devons réfléchir sur nous et nous demander : "N'ai-je pas commis, moi aussi, de ces petites mesquineries, de ces cachotteries que je regretterai sur mon lit de mort ?" Alors, le temps est venu de demander pardon à ceux que nous avons offensés… pardon à notre Seigneur… pardon à tous ceux que nous avons laissés sur le bord du chemin… Pardon ! Reprenez en chœur avec moi mes frères ! Pardonne-nous Seigneur et accueille-nous dans ta maison.

Tous - Pardonne-nous Seigneur et accueille-nous dans ta maison…

Rafaël - Regarde-nous comme tu as regardé… Pierre, Paul, Matthieu, Jean baptiste, Luc, Thomas, Jean-Jacques… (Se reprenant.) Jean, Jacques… Pardonne-nous comme tu leur as pardonné… comme tu as pardonné à Marie-Madeleine…

Martirio - Qu'est-ce qu'elle vient faire là-dedans, celle-là ?!

Angustias - C'est le seul prénom de femme qu'il doit connaître !

Martirio et Magdalena rient.

Rafaël (plus fort) - Comme tu as pardonné à Marie-Madeleine… et à toutes celles qui ont commis le péché de chair, à toutes celles qui ont trahi leurs familles, leurs amis… qui gardent enfouis de trop lourds secrets… (Le prêtre continue pendant toute la conversation qui suit.) Je vous salue Marie pleine de grâce… (etc.)

Martirio - C'est pour nous ?

Magdalena - Mais non.

Martirio - Il n'arrête pas de nous regarder.

Magdalena - Mais non.

Angustias - Ce sont des exemples…

Martirio - Qui tombent un peu trop bien… Tu t'es confessée, Amelia ?

Amelia - Pourquoi ?

Martirio - Tu ne dis rien. Je suis sûre que c'est toi. Tu t'es confessée ?

Amelia - Oui.

Martirio - Qu'est-ce que tu as raconté ?

Amelia - Ça ne te regarde pas.

Angustias - C'est vrai, ça ne te regarde pas.Tu as parlé Amelia ?

Amelia - Tu t'y mets aussi ? Je me suis confessée, une chose entre parenthèses, que vous feriez bien de faire de temps en temps…

Martirio - C'est lui qui t'a dit ça ?

Amelia - Pas aussi directement, mais bon… je me comprends !

Angustias - Tu es bien la seule !

Martirio - Bon c'est fini, ce prêche !

Ensemble - Martirio !

Rafaël - Martirio ! Au nom du Père, du Fils et du Saint- Esprit…

Tous - Amen !!

Rafaël - Et pour le temps qu'il nous reste sur cette terre… Allez en paix ! (Il commence à chanter les premières paroles de "Plus près de toi Mon Dieu".)

Amelia reprend avec lui. Regard consterné de Martirio.

Tous se lèvent, les portes s'ouvrent et la lumière jaillit.

 

Dans la rue, l'une derrière l'autre…

Martirio - Quelle purge !

Amelia - Tu ne respectes rien !

Martirio - Je ne suis pas un crapaud de bénitier moi !

Angustias - Une grenouille… Grenouille de bénitier !

Martirio - Je sais bien, mais elle est tellement laide avec ce chapeau que ce serait offenser les grenouilles ! (Elle se signe et fait semblant de réciter un "Je vous salue Marie".)

Amelia - La "laide" c'est toi dans la famille Alba, ma chère Martirio… d'ailleurs avec un prénom pareil !

Martirio (elle prend une sucrerie de sa poche) - Ça ne veut rien dire ce que tu dis !

Amelia - Je me comprends !

Angustias - Tu es toujours la seule ! (A Martirio.) Donne-moi un bonbon…

Martirio - J'en ai plus !

Amelia - Elle ment, elle en a plein les poches, regarde ! (Elle la bouscule et l'oblige à vider ses poches. Les bonbons tombent.)

Magdalena (se baisse et les ramasse) - Tiens, Angustias !

Martirio (la singeant) - Tiens, Angustias… Mange, Angustias… Reprends-en, ma chère Angustias… (Elle se sauve en courant et en hurlant.) Etouffe-toi, ma chère, ma très chère Angustias !!

Amelia va pour la rattraper.

Angustias - Non, laisse…

Magdalena - Tu es trop bonne avec elle !

Angustias - C'est pour tout ce que la vie lui a refusé.

Amelia - "Elle" nous a refusé à nous toutes ! Toujours seules à l'âge d'être mère !!

Magdalena - Qui te dit que nous voulions être mères ?

Amelia - C'était dans l'ordre des choses.

Angustias - Garce de vie !

Amelia (se signe) - Ne dis pas ça… Mon Dieu, ne dis pas ça ! Si nous devons vivre la fin de ce monde aujourd'hui, respectons au moins ce petit moment de paix qui nous est offert.

Angustias - Ce curé t'a ensorcelée, ma parole ! Je ne crois pas à cette fin du monde… tout ça parce que nous aurons pendant quelques minutes, au-dessus de nos têtes, une grosse étoile avec une petite queue… ou une petite étoile avec une grosse queue ?… C'est une histoire bonne pour les "Négresses". On ne me fera pas avaler ces sornettes !

 

Devant la boutique des sœurs Alba.

Angustias pousse la porte.

Angustias (criant) - José ! José ! Les volets sont encore fermés à cette heure-ci ? Avec tout ce monde qui sort des Vêpres, on aurait pu faire nos affaires ! Au lieu de ça, la boutique est fermée !! José ! José !! (Elle ouvre les volets.)

Martirio (sortant de la cuisine) - Il n'est pas là. (En lui proposant un bonbon.) Tiens, tu en veux ?

Angustias (cherchant) - Il n'y en a plus, des violets ? Allez, au travail !!

Elles ouvrent les fenêtres, ôtent leurs coiffes et leurs gants. Elles prennent leurs broderies et s'installent.

Martirio - Le café est chaud.

Magdalena - Je vais le chercher.

Elles sortent toutes les deux.

Angustias (à Amelia) - Tu as parlé ?… Amelia ?

Amelia - Je ne voulais pas, je te jure, je ne voulais pas… Mais je ne pouvais pas partir avec ce poids sur la conscience !

Angustias - Saloperie de curé !! Saloperie de religion !! Elle a pourri notre jeunesse et elle continue !!

Amelia - Tais-toi, je t'en prie, tais-toi !

Martirio et Magdalena (entrent) - Le café !

Magdalena - Qu'est-ce que tu as ? Tu as pleuré ? (Elle sert le café.)

Martirio - Elle s'en veut de nous avoir trahies.

Amelia éclate en sanglots.

Magdalena (à Martirio) - Arrête !

Angustias - On le boit, ce café ?

Amelia - Je veux que vous le sachiez toutes… Je n'en pouvais plus, depuis dix-huit ans qu'on est ici, j'ai ce secret au fond de moi, j'étouffais, je n'en pouvais plus…

Martirio (perfide) - Quel secret ?

Magdalena - Martirio !

Martirio - Quoi ?

Magdalena - Tu es cruelle !

Martirio - Comme tous les bossus !

Angustias - On le boit, ce café ?

Amelia - Depuis dix-huit ans, il n'y a pas un jour où je ne me suis pas réveillée en pensant à elle… à lui… Et comment faire autrement ? Nous partageons notre vie avec la réincarnation de celui par qui notre malheur est arrivé… Comment oublier ? Comment as-tu oublié, Martirio ? Toi ?… Tu l'aimais… Et toi Angustias, toi, ton presque promis…

Angustias - J'ai tout oublié. Je suis morte en Espagne… Je suis née à Cuba !

Amelia - Et maman ? Toute cette peine ? Tu l'as oubliée ?

Angustias - J'ai tout oublié, n'insiste pas ! On le boit, ce café ?!

Martirio - "N'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre… Le royaume des cieux lui est ouvert… à l'heure du Jugement dernier, il sera...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accéder à tous nos textes en ligne, en intégralité.



Acheter le livre


error: Ce contenu est protégé !
Retour en haut