Elia, généalogie d’un faussaire

Alain Laumonier est peintre. Toute sa vie, il s’est cru orphelin, abandonné sur un trottoir parisien. Sans nom, sans date de naissance, sans famille. Evelyn, une Américaine venue visiter son atelier, l’interroge sur sa signature, « Elia », et sur sa vie. Le vieux peintre refuse tout dialogue et chasse l’intruse. Laumonier découvre alors une pochette où est brodée sa signature. Troublé, il plonge dans le chaos de sa vie : autodidacte doué, il est devenu faussaire, connaît d’abord l’argent facile, puis la prison. À sa libération, il décide de signer ses toiles « Elia », nom revenu des limbes de ses souvenirs, le nom de son doudou d’enfant… De son côté, Evelyn se filme avec un caméscope et raconte l’histoire du père d’Elia, rescapé des camps de la mort, qui a cherché son fils, toute sa vie.

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Espace Atelier

Scène 1

Assis sur un tabouret haut, Alain Laumonier peint. On frappe…

Laumonier — Entrez, entrez, la porte est ouverte ! (Il se lève et essuie ses pinceaux tandis qu’Evelyn paraît. Elle a une réaction de surprise qu’il ne voit pas. Elle porte un petit paquet.) La galerie m’a prévenu de votre venue. Ravi de vous rencontrer… (Il tend une main sale.) Alain Laumonier. Enchanté.

Evelyn, troublée — Evelyn Rabinowitz. (Un temps… Comme essoufflée.) Oui, oui… Je… Je voulais… vous rencontrer pour…

Laumonier — Vous ne vous sentez pas bien ?

Evelyn — Si, si…

Laumonier — Asseyez-vous. Je vais vous chercher un verre d’eau.

Il sort remplir un verre d’eau.

Evelyn — Merci.

Evelyn s’assied et cale dans son dos le petit paquet qu’elle portait à la main. Elle regarde autour d’elle, émue. Laumonier revient et donne le verre d’eau qu’elle boit… Un silence. Elle regarde Laumonier intensément. Il est gêné.

Laumonier — Je n’ai pas l’habitude de recevoir… Il paraît que vous venez de loin ! Vous êtes américaine, n’est-ce pas ?

Evelyn — J’ai les deux nationalités : mon père était français, ma mère américaine. (Elle sourit.) Mon mari est de Montréal, et nous vivons à Boston !

Un silence. Elle le dévisage plus ou moins discrètement.

Laumonier — Je vous montre ?

Evelyn — Oui, bien sûr… Et aussi, pour mieux comprendre, parlez-moi de vous, s’il vous plaît…

Laumonier, rit — Oh non ! Je ne parle pas de moi… Ma vie est ici, dans cet atelier… Le reste ! (Il balaie l’air d’un geste vague.)

Evelyn — Ah… Je comprends… Tout de même, pourquoi signez-vous vos toiles « Elia », et dans cette écriture particulière ?

Laumonier, sincère — Franchement, je ne sais pas… Elia et cette calligraphie se sont imposés à moi. Je n’ai pas d’explication rationnelle.

Evelyn — C’est joli, « Elia », en tout cas…

Laumonier — Oui, j’aime bien… Laumonier, ça fait peintre du dimanche !

Evelyn — Elia, c’est juif ?

Laumonier, rit franchement — Juif ! Non, non, je n’ai pas tué le petit Jésus, madame ! Aussi loin que remontent mes souvenirs, aucun juif à l’horizon ! J’ai été élevé chez les curés ! Debout six heures, matines, vêpres et tout le tralala…

Un silence. Laumonier présente une toile qu’elle ne regarde pas.

Evelyn, encourageante — Ah… Vos parents étaient des catholiques pratiquants…

Laumonier — Certainement pas, madame… Mes parents n’étaient rien, je ne les ai jamais connus.

Evelyn — Pardon, je… (Un temps.) La guerre… ?

Laumonier — La guerre, oui, sans aucun doute. (Montrant ses toiles.) Je vous montre les toiles ? Vous vous sentez mieux ?

Evelyn, après un temps — Monsieur Laumonier, imaginez que moi, je puisse vous apporter des informations sur vos parents…

Laumonier, sur la défensive — Comment ça, des informations sur mes parents ?… Quels parents ? C’est pour ça que vous êtes venue ?

Evelyn — Non, non… Je suis maladroite ! Pardon ! Je suis venue…

Laumonier — Partez ! Foutez-moi le camp ! (Il reprend le verre et sort le poser.) Sortez ! Des parents ! C’est trop tard ! Ça ne m’intéresse pas.

Evelyn — J’ai reçu votre lettre… Celle que vous avez écrite à…

Laumonier, revient — Une lettre ? Quelle lettre ? Je ne vous connais pas ! Sortez ! Sortez !

Evelyn — Laissez-moi au moins…

Laumonier — Sortez ! Vous comprenez le français ? Get out ! Piss off ! Foutez-moi le camp ! Sortez !

Laumonier ouvre la porte de son atelier, attrape Evelyn par le coude et la chasse…

Quand il revient, il découvre une pochette laissée par Evelyn. C’est une pochette de talès en velours sur laquelle est brodé son nom de peintre, Elia, dans cette même calligraphie qu’il utilise. Il s’assied, perplexe…

Espace Vidéo

Scène 2

Une chambre d’hôtel. Un fauteuil. Evelyn parle au téléphone avec Lucas, son mari.

[Entre crochets, les propos supposés de Lucas pour la compréhension du lecteur.]

Evelyn — Je n’ai rien pu dire, il m’a jetée dehors ! (Pause.) Je ne sais pas quoi faire, Lucas ! Je n’avais pas imaginé ça !

[Eh bien rentre, alors.]

Non ! Je ne peux pas rentrer sans qu’il sache.

[Tu devrais t’enregistrer…]

Oui… Mais c’est pas pareil, une cassette. J’aurais préféré lui dire les choses en face…

[Je pensais à une caméra.]

Ah ! Une caméra ?

[Comme ça, tu lui parlerais.]

Oui… C’est une bonne idée… Merci, Lucas.

[Tu seras rentrée pour Thanksgiving ?]

Pour Thanksgiving ? Oh oui, je serai sûrement rentrée…

[Pour la famille… Ils viennent de loin.]

Ta famille, Lucas pas la famille !

Espace atelier

Scène 3.1

Laumonier revit son passé.

Laumonier — Je n’ai jamais appelé personne papa. Jamais. Personne maman non plus, d’ailleurs. Jamais connu mes parents ! Jamais les bons, jamais les vrais. Des salauds, des lâches qui m’ont abandonné. C’était la guerre. On bouffait le chien, on larguait les mômes… Pas de nom, pas de date de naissance, pas de famille.

Espace Vidéo

Scène 4.1

Evelyn fixe un caméscope sur un pied. Elle enclenche l’enregistrement.

Evelyn — Bonjour, monsieur Laumonier, c’est encore moi… (Sourire.) Vous m’avez fait peur, vous savez… Mais je comprends ! C’est certainement vertigineux d’entendre le mot parents après toute une vie sans personne… Pour moi aussi, vous rencontrer a été un choc ! J’ai vraiment failli m’évanouir ! Merci pour le verre d’eau ! (Pause.) Quand je vous ai aperçu…

Espace atelier

Dans la pénombre, Laumonier essuie ses pinceaux et les pose.

Espace Vidéo

Scène 4.2

Evelyn — … C’était comme si Jakob Rabinowitz se tenait là, devant moi, essuyant tranquillement ses pinceaux avec ces mêmes gestes lents et minutieux. J’ai beaucoup aimé cet homme…

Espace Atelier

Scène 3.2

Laumonier — On n’a personne à aimer quand on est né sur un trottoir.

(Les notes sourdes d’un orgue emplissent l’espace.)

Mon premier souvenir : des mômes à la queue leu leu devant un baptistère ! Un froid de gueux, et un crétin enthousiaste qui marmonne...

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