Comédien 1. – Bonjour… Bonjour à tous… Alors voilà, avec mes camarades comédiens, on a eu un petit doute, là, en coulisses, et on se demandait si vous arriveriez à comprendre toutes les finesses de cette pièce. (Se rendant compte que ses propos peuvent être vexants.) Non, non, ne le prenez pas mal, mais au début la pièce a été écrite pour être jouée à Paris et… (Conscient qu’il s’enfonce.) Non, non, ce n’est pas ce que je veux dire… mais pour bien profiter, il faut quand même un minimum de connaissances générales sur Pompéi, donc je vous propose une petite remise à niveau pendant que les autres se préparent. Trois fois rien. (Il tire des ouvrages énormes de son sac.) J’ai apporté quelques ouvrages que l’on peut lire ensemble pour ensuite échanger, peut-être sous forme de commentaire composé. Je vais distribuer des copies…
Entre un autre comédien, finissant de s’habiller, qui le coupe.
Comédien 2, au public. – Bonjour… Qu’est-ce que tu fabriques ?
Comédien 1. – Je briefe le public sur Pompéi.
Comédien 2. – Non, laisse tomber les bouquins. C’est simple ! Bon, Pompéi, vous situez ? En Italie, à 240 kilomètres au sud de Rome. Juste à côté de Naples et au pied du… ? Vésuve ! Très bien. Alors attention, avant la fameuse éruption du 24 octobre 79 apr. J.-C., personne ne savait qu’il s’agissait d’un volcan. Le Vésuve était alors le Vesuvius, et n’avait l’apparence que d’une vulgaire colline. L’éruption de ce triste jour, puissante comme 50 000 bombes atomiques d’Hiroshima, a enseveli la ville sous 6 mètres de pierres ponces et de cendres presque instantanément, anéantissant toute forme de vie. La ville a été oubliée puis retrouvée presque 2 millénaires plus tard. C’est un véritable trésor archéologique qui a pu fournir des informations précieuses sur la vie de l’époque dans l’Empire romain. Notre histoire se passe la veille de l’éruption, le 23 octobre 79, dans la véritable et fameuse taverne ou popina d’Asellina, située dans la plus célèbre rue marchande de Pompéi. Les personnages ont réellement existé et les slogans électoraux ou dipinti cités dans la pièce ont réellement été retrouvés sur les murs de Pompéi. Maintenant que vous êtes au jus, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter un bon voyage dans le temps…
Le comédien sort en coulisses, le second est toujours présent sur le plateau quand un homme se lève dans la salle et prend la parole.
Vulcanologue. – Excusez-moi. Bernard-Henry Trochaud, vulcanologue à l’institut de physique du globe de Paris, expert en éruptions explosives, docteur en géologie et professeur émérite du laboratoire Magmas et Volcans. Je suis en quelque sorte une sommité dans mon métier. Je tenais à vous dire, jeune homme, que votre exposé enfantin manquait cruellement de rigueur scientifique. Il est effarant de constater à quel point l’exactitude historique et scientifique n’a que peu d’importance dans la société actuelle, surtout chez les saltimbanques de votre cru.
Comédien 2. – Écoutez, monsieur, nous avons essayé d’être au plus proche de…
Vulcanologue, le coupant. – Heureusement, et prenez cela comme un cadeau du ciel, je me trouve au bon moment, au bon endroit, et je propose de mettre mon immense savoir et tout ou partie de ma richesse intellectuelle au service de vos guignoleries. Au moins, si les gens s’ennuient, ils s’instruiront.
Comédien 2. – Eh bien, on va voter. Qui est là pour s’instruire ? Levez la main ! Qui est là pour se divertir ? Levez la main ! Je crois qu’on se passera de vos services, monsieur Trochaud. (Lui montrant la sortie.) Et bonne soirée sur Arte ! (L’expert part en bougonnant.) Je pense que, cette fois, on va pouvoir commencer.
Acte I
Scène 1 : La formule
Le rideau se lève. Asellina s’affaire derrière son comptoir. Sabinus entre dans la popina.
Asellina. – Bienvenue à toi, Gnaeus Helvius Sabinus !
Sabinus. – Bonjour à toi, Asellina. Que proposes-tu de bon, aujourd’hui ?
Asellina. – Chevreau cuisiné à la mode parthe avec garum – la meilleure pâte d’anchois de la région – et prunes de Damas 1 sesterce et 1 as, chou farci au porcelet et à la ricotta 3 as, rouget grillé aux lentilles 3 as aussi, bouillie d’épeautre aux asperges 2 as, priapes au pain d’épices et gâteaux aux raisins et aux noix 1 as pièce. Tu peux prendre un combo qui te permet d’économiser 1 as en formule duo et 2 as en formule trio. Ce n’est pas valable sur le chevreau, mais tu peux prendre un menu chevreau qui équivaut à une formule trio hors boisson pour épargner 2 as sur ta commande. (Sabinus a du mal à suivre.) Bien sûr, si tu veux prendre un vin de qualité, je te conseille la formule premium à 2 sesterces, qui ne marche pas avec le chou farci au porcelet mais qui te permet de prendre 2 parts de gâteau aux raisins et aux noix si tu choisis la bouillie d’épeautre aux asperges.
Sabinus. – J’hésite…
Asellina. – Sinon tu peux combiner une demi-formule duo avec une option garum à volonté, mais c’est hors boisson et le pain n’est pas compris.
Sabinus. – Je vais prendre une formule premium, alors, avec le rouget aux lentilles mais sans pâtisserie.
Asellina. – Ah non ! La formule premium jamais les veilles de jeux du cirque !
Sabinus. – Mais les jeux sont interdits à Pompéi !
Asellina. – Oui mais s’il y avait eu des jeux, ils seraient tombés demain.
Sabinus. – Ah…
Asellina. – Du coup ?
Sabinus, hésitant. – Une formule… trio ?
Asellina. – Avec… ?
Sabinus. – Du rouget ?
Asellina. – Sur place ou à emporter ? Parce que si c’est à emporter et que tu ramènes ton auge, tu économises 1 as sur ta prochaine formule trio, hors produits de la mer.
Sabinus. – Heu… non, sur place, je pense…
Asellina, au public. – Bon, on va y arriver, y a vraiment des clients qui ne savent pas ce qu’ils veulent ! Ça veut se présenter aux élections et ce n’est même pas fichu de comprendre un menu ! (À Sabinus.) Bon, pour le rouget aux lentilles, tu le préfères dans un combo de la mer avec double ration de garum ou bien dans une formule trio petit-déjeuner ? Mais là c’est sans les lentilles…
Sabinus. – Je n’ai plus très faim et je n’ai plus vraiment le temps. Sers-moi juste un verre de vin.
Eutychus entre.
Asellina, au public. – Tout ça pour ça !
Scène 2 : Le banquet de Rectina
Eutychus. – Bonjour à toi, Asellina.
Asellina. – Ah ! Eutychus ! Comment va ta maîtresse ?
Eutychus. – Rectina se porte bien, je lui dirai que tu te préoccupes d’elle.
Asellina. – A-t-elle aimé tous les plats qu’elle a goûtés ? Sais-tu si elle envisage de me commander quelques spécialités pour son prochain banquet ?
Eutychus. – Elle hésite encore, elle a du mal à se décider, elle aimerait tester encore quelques mets pour être sûre.
Asellina. – Bon, que penses-tu qu’elle aimerait ? Du chevreau à la mode parthe ?
Eutychus. – Ah oui, elle adore le chevreau. Ce sont des prunes de Damas ?
Asellina. – Oui.
Eutychus. – Sois généreuse en prunes, elle en raffole. (Il ouvre un dolium et sent les effluves.) Et rajoute quelques gâteaux aux raisins et aux noix, cela lui fera le plus grand plaisir. Sois sûre que ton don est un bon investissement, Asellina. (Entrée d’Infantio.) Ma maîtresse sera livrée en moins de temps qu’il ne faut pour le manger.
Scène 3 : Les dipinti
Asellina. – Bonjour à toi, Infantio. Comment va ta mère ?
Infantio, en colère. – Elle va bien !
Sabinus. – Ah ! Infantio, te voilà enfin ! As-tu récupéré les ouvrages qui nous intéressent ?
Infantio, furieux. – Oui, mais j’ai encore dû jouer des coudes avec tous ces esclaves venus chercher un papyrus pour leur maître. Marre, marre, marre de me faire passer devant par des gens même pas payés ! Ah ! mais c’est facile de venir prendre le boulot des honnêtes gens qui triment ! (Désignant Eutychus.) Regardez-moi ça : sandales dernier cri avec...
