Scène 1 : Confession
Tom allume la caméra, s'assoit sur son canapé, il attend.
Tom :
Une heure et trente-huit minutes. Le temps valeur ? Référence ? Maitre ou esclave ? Tout est une question de temps, celui qui nous échappe, celui qui nous porte, celui qu'il nous reste. Ainsi le temps aujourd'hui me rattrape, me juge et me poursuit pour me tirailler jusqu'au tréfonds de mon âme. Lorsque j'aurai fini ce message vous ne me verrez plus jamais. Vous ne me croiserez plus jamais inopinément au détour d’une rue, dans un magasin ou je ne sais où. Lorsque ce message sera terminé, lorsque le sablier sera écoulé, le temps n'aura plus de générosité avec moi. Je serais mort. J'entends déjà les pleurs de mes proches qui se demanderont certainement ce qui clochait avec moi, le rire de mes ennemis qui se diront que j'étais trop lâche pour assumer cette vie. J'en profite d'outre-tombe pour vous dire déjà. Vous faites erreur. Je voulais vivre, continuer, non pas pour laisser une trace, persuasion éternelle de l'humain qui pense être ici pour graver sa futile empreinte sur le globe, être persuadé que le pire c'est la mort et l'oubli. Le pire ce n'est pas ça. Le pire n'a pas de forme ni de sens. C'est horriblement naïf de penser que la vie est unilatérale. Ce message est pour ceux qui ne croient pas. Qui ne croient pas à toutes ces conneries biologiques. Je ne parle pas de dieu. Je n'ai pas de dieu. Fécondation, naissance, évolution, vieillissement, mort. Voilà ce à quoi nous résumons une existence qui, pourtant, est pleine de rebondissement, d'expérience, de joie et de souffrance. La vie n'est pas un chemin unilatéral de la naissance à la mort. Pourtant aujourd'hui, vous allez assister à la vie hors de moi. La vie qui part, s'évade de mon corps et qui s'attachera peut-être ailleurs. J’entends penser, la folie d'un homme, un drogué, un illuminé. Je m'étais destiné à être quelqu'un de tout à fait normal. Avec une femme et des enfants. Je m'étais destiné à profiter de la vie, je ne demandais rien d'extraordinaire et pourtant aujourd'hui dans une heure et trente-six minutes je vais mourir. J'ai 27 ans, je suis en bonne santé, je n'ai pas pris de substances nocives, je n'ai pas de virus, je ne compte pas me pendre ou me jeter par la fenêtre et pourtant je peux vous assurer que dans exactement une heure et trente-cinq minutes, quelqu'un sera dans cette pièce avec moi et mettra fin à mes jours. Je n'ai rien fait de mal, je n'ai provoqué personne, je n'ai pas d'ennemis au point de justifier un assassinat et pourtant, quoi que je fasse, quoi que je dise, que je me défende ou non, quelqu'un va venir. Quelqu'un me tuera ce soir. C’est ma trace mon histoire.
Scène 2 : Pas de déclaration sans remise en question
Jérusalem 1991. Ahmed est assis sur un bout de quai.
Ahmed :
Le chemin qui mène à son cœur est parsemé du sang de mes frères, cette odeur familière de sang et de sable. Le sable rouge qui comme un avertissement nous contraint à détester, à haïr l’oppresseur. Avant, il n’y avait pas ces murs, ces murmures au travers de la pierre, pas de je t’aime caché qui résonne au bruit des balles. Criminel, voilà ce que je suis pour son peuple, je respire, je vis et je revendique, voilà mon crime. Je suis né à l’est, voilà mon crime. Espérer, voilà mon crime. Sa beauté à elle est criminelle, son odeur, sa voix, son corps et son cœur sont criminels car mon esprit est sorti de ma tête, mon cœur s’est emballé et bat au rythme de ses regards. Son être entier vit en moi. Enfants, une rue nous séparait, mais avec nos forces de volonté et d’inventivité, on se rejoignait ici. C’est assez moche, ça pue, c’est un lieu délaissé, oublié du monde, mais nous, c’était notre paradis, notre rendez-vous, notre lieu pour s’aimer. Le seul lieu où nous pouvions nous aimer librement.
لا تنظر لها
la tanzur lahaNe la regarde pas. Les mots de ma mère lorsque par hasard, j’avais le bonheur de la contempler avec ses parents au détour d’une rue de Jérusalem. הוא לא חבר שלךIl n’est pas ton ami, lui répétait son père. Non il est mon amour. Cette réponse nous a coûté très cher à tous les deux. L’ouest grandissant et l’est devenant de plus en plus insignifiant, ils sont partis. Dans une rue dont je ne connaissais pas le nom. Mes parents étaient heureux, rassurés à l’idée que je ne pourrais plus fréquenter une « colon ». Mon cœur s’était tordu lorsque ce mot si horrible était sorti de leurs bouches, j’ai cru un instant que j’allais commettre un acte que j’aurais regretté, les insultes fusaient et jamais la rage ne m’avait autant atteint. Je criais « Elle est des nôtres, ses ancêtres comme les nôtres ont toujours vécu ici en harmonie. Arabe ou juif j’en ai rien à foutre. » Arabe ou juif, j’en ai rien à foutre, c’est ce que je disais plus jeune. Pour moi arabe ou juif c’était une histoire de rues, les rues des arabes et les rues des juifs. Nos visages n’étaient pas différents, nos cœurs battaient tous aux mêmes rythmes devant les joies et les peurs. J’avais perdu mon amour. J’avais ouvert la petite boite qui contenait nos trésors. Nos mots et nos dessins, nos cadeaux. Petit, parfois lorsque nous avions quelque chose à nous dire et que nous ne pouvions nous voir, en se croisant on s’envoyait des pierres, ainsi les siens pensaient qu’elle me détestait et les miens me trouvaient faible car je n’arrivais jamais à la toucher. Sur les pierres nous gravions des mots, de messages secrets dans la langue de notre amour. ACDMENH« Au centre du monde est notre histoire » Elle avait ri lorsque j’avais déchiffré son message devant elle. « Souviens-toi, si un jour le destin nous sépare, nous nous retrouverons » Pour moi, jamais le destin n’aurait tenté de nous séparer, ainsi mon esprit était bien occupé à l’idée de l’embrasser qu’à celui de déchiffrer son code. Et si elle n’avait pas oublié sa promesse ? Elle qui est si intelligente. Elle parlait souvent de ce mur qui scindait nos vies en deux. Comme si le mur des lamentations était l’écho de notre histoire. J’ai couru comme un fou en direction du mur et je l’ai cherché me faufilant entre les pieux pour voir au travers pour tenter de trouver un signe du destin. La revoir. Je serais tellement fort cette pierre, petite relique, qui doit me guider, mon sang coule sur la pierre, je la serre tellement fort que les bords tranchants traversent ma peau. « Au centre du monde est notre histoire » Le centre du monde ? Le centre du Mur ! Je fis des pas et des pas pour déterminer le centre exact, les gens me regardaient étrangement, le temps m’était compté et bientôt des hommes me chasseront. Des mots il y en avait absolument partout. J’attends un signe. Des hommes s’approchent de moi, et là je le vois dans une petite fente du mur, un papier rose, c’est le même papier que j’avais volé des années auparavant dans mon école pour lui offrir quelque chose de beau.Je le saisis et le range furtivement dans ma poche. « wadih min hunak »Dégage de là toi ! Je pars en vitesse, et au détour d’une ruelle, j’ouvre le petit papier rose, il sent son odeur. Je l’imagine cacher ce petit mot dans sa poitrine avant de le déposer discrètement. « Voici notre nouveau paradis, patience mon amour un jour nous déciderons pour nous et nous nous retrouverons » Depuis ce jour, chaque semaine nous couchons sur du papier nos pensées, nos manques et notre tendresse l’un pour l’autre. Scène 3 : Les pierres se relèveront Rachel : Un jour les pierres se relèveront. Ahmed : Notre amour sera le témoin des bâtisseurs. Rachel : Ou de la destruction. Ahmed : Ensemble rien ne peut nous arriver. Rachel : Ensemble nous souffrirons de voir nos pères et nos frères se déchirer, se décimer. Ahmed : Alors à quoi bon ? Rachel : Quoi ? Ahmed : A quoi cela sert de t’aimer si l’espoir t’a abandonné ? Rachel : Ne prends pas cet air furieux. Ahmed : Les mots et les lettres, les efforts, les rires et les larmes, les risques à quoi cela sert-il si tu ne crois pas ? Rachel : Je crois. Ahmed : Je ne suis pas sûr. Rachel : Je n’ai pas besoin de croire. Je t’aime c’est ça la vérité. Ahmed : C’est la mienne également. Rachel : J’ai peur de te découvrir au petit matin sous les ruines de notre ville, de te voir agoniser, de te voir fauché par ton espoir. Ahmed : Tu ne me perdras pas. Rachel : J’aimerais partir, vivre dans un pays où il suffit d’être pour aimer. Né d’un sang différent, d’un sang que certain veulent considérer comme inégal, nous portons en nous le crime de nos ancêtres. Ahmed : Alors fuyons ! Rachel : Non nous ne fuirons pas, nous partirons digne, sans regret et sans remord, sans peine, sans abandonner. A quoi bon fuir ? Notre amour n’est pas criminel, nous devons le vivre au grand jour. Ahmed : Un jour tout ira mieux tu verras, un jour nos peuples réconciliés se réjouiront de notre amour. Rachel : C’est le bruit de la destruction qui m’obsède, ces nuits passées loin de toi où j’entends la pierre tombée en cascade, l’avalanche de violence des soldats qui détruisent vies et histoire. C’est ce bruit que je veux faire taire, ce sentiment de peur que tu te retrouves au mauvais endroit, au mauvais moment. Ce bruit, je ne veux pas l’oublier, je veux l’exterminer. Je ne veux pas que nos enfants grandissent dans l’horreur de ce bruit. Ahmed : Bientôt les pierres se relèveront. Scène 4 : Exil Rachel est en hauteur relit sa lettre. Rachel : Mon cher amour, je t’écris ici le cœur usé, tailladé par la bêtise.Hier j’ai rêvé que la guerre n’était qu’un prétexte à la paix. Bientôt je quitterai la terre de nos aïeux. Je rencontrerai un pays qui nous est étranger et je serai contrainte de vivre une vie qui n’est pas la mienne. Je n’entendrai plus le bruit des bombes qui m’effraie autant qu’il me rassure car lorsque le bruit de l’horreur est condamné au silence, l’espoir de te revoir entier m’inonde de joie.Je ne souhaite en aucun cas te quitter.Je ne cherche...