ACTE 1
Scène 1
**Off : musique de magasin.
Jean-Charles, le patron, Eddy, le couturier et Colette, la vendeuse s’adressent à la cliente mademoiselle Michemolle qui essaie un vêtement très coloré et surtout très ridicule...
Jean-Charles est content de liquider sa camelote.
Jean-Charles : Mademoiselle Michemolle, vous êtes ravissante ! Oui, vraiment, vous êtes sublime, mademoiselle Michemolle ! Souple, fluide, aéré... C’est ce qu’il vous faut ...
Melle Michemolle : Coincée. Vous trouvez ?
Colette, enceinte jusqu’aux dents, ironise.
Colette : Avec ça, vous ne risquez pas de passer inaperçue, mademoiselle Michemolle.
Eddy : Vous allez faire pâlir d’envie toutes vos copines, je n’vous dit qu’ça ...
Melle Michemolle : Arrêtez, vous me faites rougir, monsieur Eddy.
Jean-Charles : Vous êtes superbe, mademoiselle Michemolle !
Colette : En aparté. Tu parles...
Jean-Charles : Ça vous va comme un gant.
Melle Michemolle : Sceptique. Vous êtes sincère ?
Colette : Il n’y a pas plus sincère que Jean-Charles Martin, mademoiselle Michemolle... Vous n’êtes cependant pas obligée de l’croire...
Melle Michemolle : Mais, j’ai... Comment vais-je dire ? Une petite sensation d’irritation, juste ici, à l’avant du cou.
Jean-Charles : Ah, mademoiselle Michemolle, ne soyez pas ridicule, il n’y a que du coton, là-dedans.
Eddy : Cent pour cent coton !
Colette : Enfin, puisqu’elle te dit que ça l’irrite.
Eddy : Oh, toi, tu commences tout doucement à m’les gonfler...
Jean-Charles : Mais oui, Colette, après tout, occupez-vous de vos fesses. Et puis, retournez à l’atelier, ça vaudra mieux.
Colette : Monsieur Jean-Charles, coton ou pas, si elle vous dit qu’ça l’irrite, c’est qu’ça l’irrite...
Colette rentre à l’atelier.
Melle Michemolle : Pour tout vous dire, j’hésite... D’un côté, je m’trouve bien, mais de l’autre, ça m’irrite...
Eddy, agacé, coupe court
Eddy : Écoutez, mademoiselle Michemolle, gardez la souche, vous avez trois jours pour essayer. Si ça continue à vous gratter, revenez-nous voir... Au revoir, mademoiselle Michemolle...
Melle Michemolle est conduite vers la sortie. Eddy rentre dans l’atelier.
Scène 2
Entrée de Bérangère, épouse de Jean-Charles. Elle fait du rangement en magasin. Arrivée de monsieur Poussin, agent immobilier.
Meur Poussin : Avec (ou sans) accent du sud… Madame Martin...
Bérangère : Monsieur Poussin, je présume ?
Meur Poussin : Madame Martin, vous avez confié la vente de votre commerce à un professionnel de la négociation avec la Chine... Permettez-moi de vous dire que vous ne serez pas déçue.
Bérangère : Je compte sur votre expertise, monsieur Poussin. Après tout, on vous paye assez cher...
Meur Poussin minimise.
Meur Poussin : Deux petits pourcents de la transaction, ce n’est pas le bout du monde.
Bérangère : Alors, racontez-moi, où en êtes-vous avec la Chinoise, monsieur Poussin ?
Meur Poussin : J’ai, avec madame Hu-Tu, des entretiens très prometteurs. Je la sens fabuleusement intéressée par votre affaire. Il est vrai que vous pouvez faire valoir un bel espace commercial...
Bérangère : De plain-pied.
Jean-Charles : Situé dans une rue très fréquentée...
Bérangère : Et proche du piétonnier.
Meur Poussin : L’architecture du bâtiment est appréciable.
Bérangère : Les matériaux sont de qualité.
Jean-Charles : Et les finitions sont très soignées...
Bérangère : Cela voudrait-il dire que nous allons concrétiser ?
Meur Poussin : Écoutez… Madame Hu-Tu est très intéressée... Elle vous en donnerait deux millions cinq cent mille euros... J’emploie volontairement le conditionnel car il faut savoir qu’on ne vend pas un commerce à une Chinoise ...
Jean-Charles : … comme on vend un pantalon à un Belge ... C’est ce que vous voulez nous dire ?
Meur Poussin : Parfaitement. Vous vendrez bien votre établissement, si vous respectez leur culture et leurs traditions.
Bérangère : On attend votre avis sur la question. C’est un peu pour ça qu’on vous a fait venir de Marseille, monsieur Poussin !
Meur Poussin : Madame Martin, si on veut réussir la vente de « tex-création » ...
Jean-Charles : Et on y compte bien, hein, mon poussin... Oh, pardon, je m’adressais à mon épouse, monsieur Poussin.
Meur Poussin : J’avais parfaitement compris. Alors, un principe de base ; quand vous rencontrerez madame Hu-Tu, évitez à tout prix de lui faire perdre la face. Les Chinois détestent ça.
Bérangère : À ce propos, on dit Hu-Tu ou « Hou-Tou », monsieur Poussin ?
Meur Poussin : Prononcez « Hou-Tou » et pas Hu-Tu, sans quoi elle va se vexer et ne vous le pardonnera jamais.
Bérangère : J’ai bien compris... Donc je dis « Hou-Tou » et « surtut » pas Hu-Tu...
Meur Poussin : Parfaitement.
Jean-Charles : Si je comprends bien, la négociation s’annonce délicate. On va devoir marcher sur des œufs..., monsieur Poussin...
Meur Poussin : Parfaitement. Et puis, crédibilisez votre entreprise !
Bérangère : C’est-à-dire ?
Meur Poussin : Bidouillez un peu les comptes, si vous voyez ce que je veux dire... N’hésitez pas à muscler votre chiffre d’affaires. Donnez-lui de la gonflette... Et puis… Il y a mes honoraires... Malheureusement, ce service a un coût... Un petit pourcent de l’offre provisoire à la signature du contrat...
Meur Poussin fait signer le contrat.
Meur Poussin : Et le petit pourcent restant, à la signature du compromis, bien entendu. C’est la réglementation en la matière... J’applique le barème. Vous avez préparé mon enveloppe ?
Bérangère : Dites donc, ça coûte bonbon votre barème...
Bérangère paie monsieur Poussin.
Meur Poussin : C’est un investissement, vous voulez dire !
Jean-Charles : À plus tard, on croise les doigts, monsieur Poussin.
Sortie de monsieur Poussin et de Bérangère.
Scène 3
Jean-Charles appelle Henri qui se trouve à l’atelier.
Jean-Charles : Henri, écoute un peu...
Henri : Lassé. Quoi encore ?
Jean-Charles : Henri, dis-moi directement que je te casse les pieds, ça sera plus simple.
Henri : Pressé, stressé. Le bilan comptable n’est pas terminé, alors accélère, mon vieux...
Jean-Charles : Henri, ce week-end, je suis allé à Bruxelles.
Henri : Au salon international du prêt-à-porter, je sais !
Jean-Charles : Si tu savais ce qui m’est arrivé...
Henri : Jean-Charles, je te rappelle que ça fait un bout de temps que je suis ton frère et autant de temps que tu me racontes les mêmes salades... Souviens-toi aussi que ta femme m’a engagé pour faire ta comptabilité et pas pour écouter tes sornettes... Alors, dépêche-toi, je suis pressé...
Jean-Charles : Moqueur. Tu oublies aussi de dire que la tienne t’a largué et qu’on t’a fait une fleur en t’hébergeant dans un appartement qui nous appartient.
Henri : Gêné. Oui, bon...vas-y, abrège, s’il te plaît.
Jean-Charles : Donc, j’étais au salon du prêt-à-porter...
Henri : Je m’demande d’ailleurs ce que t’allais y glander au salon du prêt-à-porter... Dans un mois, Bérangère vend la boutique et tu te tires avec elle dans un ryad à Marrakech.
Jean-Charles : Attends deux secondes.
Jean-Charles appelle Colette.
Jean-Charles : Colette, venez un peu, s’il vous plaît.
Colette traîne les pieds.
Colette : Oui, monsieur. Qu’est ce que vous m’voulez encore ?
Jean-Charles : Est-ce que ma femme vous a dit à quelle heure elle rentrera ?
Colette : Alors là, pas du tout. Elle, vous la connaissez... On la voit partir, mais on ne sait jamais quand elle reviendra. Elle m’a juste dit qu’elle avait un rendez-vous chez son dentiste. Il paraît qu’il va lui enlever une dent de sagesse. Vous savez bien, celle du fond qui fait toujours mal...
Jean-Charles ricane.
Jean-Charles : À son âge, une dent de sagesse, ce n’est pas trop tôt. Enfin... C’est tout ce que je voulais savoir, Colette. Vous pouvez retourner à l’atelier.
Colette : Eh bien, vous, vous êtes gonflé... Ce n’était pas la peine de me déranger pour si peu...
Jean-Charles : Gonflé... Ah, ah, ah... A votre avis, la plus gonflée, ça ne serait pas vous, par hasard... Allez, hop, au boulot.
Colette : Fâchée. Oh, doucement, je ne suis pas payée à la pièce, non plus, hein, Riquet (Henri) !
Colette rentre dans l’atelier.
Jean-Charles : Offusqué. Quelle impertinence, cette boniche. En plus, depuis qu’elle est enceinte, elle n’en touche plus une ! J’aimerais bien lui dire deux mots, moi, à son copain. Ce clown-là, la fout en cloque... Il la vire avec le polichinelle dans le tiroir et Bérangère ne trouve rien de mieux que de lui faire partager l’appartement avec toi... Et tout ça, pour pas un rond...
Henri : N’empêche que t’en profites bien de ta petite Colette... Rien à déclarer à la « sécu » ... Main d’œuvre gratos ! Bon, maintenant, je vais bosser.
Jean-Charles retient Henri.
Eddy sort de l’atelier, vaque à ses occupations, range des vêtements et écoute discrètement la conversation.
Jean-Charles : Henri, reconnais avec moi qu’elle n’en fout plus une datte... Elle se traîne, je te dis !
Eddy : Je ne dis rien, mais je vais vous le dire quand même... Vous avez raison, monsieur Jean-Charles.
Jean-Charles se calme.
Jean-Charles : Ah, tu vois… Bon, j’en étais où, moi ?
Henri : Au salon de Bruxelles...
Jean-Charles : Au pavillon de la lingerie... Quinze minutes avant la fermeture... Juste de quoi jeter un œil sur les nouveautés printemps-été... Alors là, devine ce qui m’arrive ?
Henri : Vas-y, accélère.
Jean-Charles : Je tombe nez à nez avec une vraie bombe, mon vieux. Elle me colle au corps. Châssis dernier modèle, le genre qu’on ne croise qu’au salon de Paris, et encore, une seule fois dans sa vie. Alors là, tu me connais, Henri.
Henri : Tu plonges dans le décolleté, et après ?
Jean-Charles : Elle me dit : « Je vous observe depuis une demi-heure et j’ai remarqué que vous étiez un homme de goût. Conseillez-moi, j’en brûle d’envie... Faites vite, le salon...